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La réforme précipitée du dispositif de lutte contre la sous-capitalisation, source d’interrogations

05/05/2011


L’article 12 de la Loi de Finances pour 2011, issu d’un amendement proposé par le Sénat en la personne de Philippe MARINI le 18 novembre 2010, est venu étendre, pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2010, le champ d’application de l’article 212 du CGI relatif au dispositif de lutte contre la sous-capitalisation.


1. Le principe posé par l’article 212, II-3 du CGI

1.1 Le nouveau paragraphe 3 du II de l’article 212 assimile à des intérêts servis à une entreprise liée directement ou indirectement au sens du 12 de l’article 39, les intérêts qui rémunèrent des sommes laissées ou mises à disposition dont le remboursement est garanti par une sûreté accordée par une entreprise liée au débiteur ou par une entreprise dont l’engagement est garanti par une sûreté accordée par une entreprise liée au débiteur, à proportion de la part de ces sommes dont le remboursement est ainsi garanti.

Il ressort des explications fournies par le Sénateur MARINI lors de la présentation de son amendement (n° I-6) que ce nouveau texte vise à contrer le contournement du dispositif de lutte contre la sous-capitalisation par le biais du mécanisme du "back to back", visant à substituer à un prêt intra-groupe un prêt bancaire hors groupe garanti par une société du groupe dans des conditions telles que l’économie du schéma reste similaire à un prêt intra-groupe.

1.2 La rédaction du nouvel article conduit à s’interroger sur la signification du terme "sûreté".

1.2.1 En effet, cette notion, qui n’est pas précisée par le nouveau texte, ne l’est pas davantage par un quelconque texte légal ou par la jurisprudence civiliste. Le Code Civil se contente d’énumérer un certain nombre de sûretés personnelles et réelles, sans que cela signifie qu’il n’en existe pas d’autres.

La majorité de la doctrine tend à retenir la définition donnée par le Professeur Pierre CROCQ(1) et en déduit que la "sûreté" se caractérise par trois éléments :

  • une finalité : l’amélioration de la situation du créancier sans l’enrichir ;
  • un effet : l’extinction de la créance ; et
  • une technique : celle de l’accessoire dont l’intensité peut être variable. Ce troisième critère est plus faible que les autres en raison de la consécration par le Code Civil de la garantie autonome (par nature non accessoire).

Cette définition conduit à distinguer la sûreté de la garantie, définie par le Professeur CROCQ comme un avantage quelconque spécifique à un ou plusieurs créanciers dont la finalité est de suppléer à l’exécution d’une obligation ou d’en prévenir l’inexécution.

1.2.2 L’éclairage fiscal fourni par les débats parlementaires relatifs au nouveau texte conduit, selon nous, à retenir comme visés par l’article 212 du CGI les dispositifs qui répondent à la définition de "sûreté" admise par la doctrine civile.

En effet, le Sénateur MARINI a précisé que « les sûretés concernées peuvent être personnelles (caution, garantie à première demande, et le cas échéant une lettre de confort si elle comporte une obligation de résultat) ou réelles (…) ».

Le secrétaire d’Etat Georges TRON a par ailleurs indiqué lors des débats parlementaires, sans être contredit : « Si j’ai bien compris, votre proposition vise des garanties qui peuvent prendre diverses formes, mais seulement celles qui ont pour objet le remboursement de ces prêts ».

Or les garanties ayant pour objet le remboursement de la créance sont uniquement celles qui entraînent, lors de leur mise en œuvre, l’extinction de celle-ci, ce qui renvoie aux exigences retenues par la doctrine pour qualifier une sûreté sur le plan civil.

2. Les exceptions à la mise en œuvre du nouveau dispositif

Le nouveau texte prévoit quatre exceptions au nouveau principe. Ainsi, la nouvelle mesure n’est pas applicable :

2.1 Aux sommes laissées ou mises à disposition à raison d’obligations émises dans le cadre d’une offre au public au sens de l’article L 411-1 du Code monétaire et financier (CMF) ou d’une réglementation étrangère équivalente.

Il est à espérer que cette exception sera étendue aux titres admis aux négociations sur un marché règlementé ou un système multilatéral de négociation d’instruments financiers français ou étranger ainsi, éventuellement, qu’aux titres admis, lors de leur émission, aux opérations d’un dépositaire central ou à celles d’un gestionnaire de systèmes de règlement et de livraison d’instruments financiers au sens de l’article L 561-2 du CMF, ou d’un ou plusieurs dépositaires ou gestionnaires similaires étrangers(2).

2.2 Aux sommes laissées ou mises à disposition pour leur fraction dont le remboursement est :

  • exclusivement garanti par le nantissement des titres du débiteur ou des créances sur ce débiteur ; ou
  • exclusivement garanti par une société membre d’un groupe d’intégration fiscale au moyen d’un nantissement des titres d’une société qui détient directement ou indirectement les titres de la société débitrice, elle-même membre du même groupe d’intégration fiscale.

Dans les deux cas, la question se pose de déterminer le sens qu’il convient de donner à la condition d’exclusivité introduite par le législateur pour l’éligibilité à cette exception.

Si on replace l’exception en cause dans le contexte de la nouvelle mesure qui vise les emprunts bancaires garantis par les entreprises liées à la société débitrice, il nous semble que l’exclusivité ne doit s’apprécier qu’au niveau des sûretés fournies par les sociétés liées, quelles que soient celles accordées par le débiteur lui-même sur les actifs qu’il détient.

En revanche, l’exception ne paraît pas susceptible de jouer dans les hypothèses où :

  • la société liée qui a consenti un nantissement sur les titres ou les créances de la société débitrice ou un nantissement sur les titres de la société qui détient directement ou indirectement les titres de la société débitrice octroie en outre d’autres garanties à la banque prêteuse,
  • une ou plusieurs autre(s) société(s) liées octroie(nt) des garanties à la banque prêteuse.

Ainsi, cette exception risque de ne pas pouvoir être mise en œuvre dans le cas notamment de contrats de prêt conclus entre un établissement bancaire et différents emprunteurs en vue de l’acquisition de portefeuilles immobiliers, dans le cadre desquels les emprunteurs et leurs associés s’accordent mutuellement des garanties croisées visant à couvrir le remboursement de la totalité de l’emprunt et des intérêts y afférents ("cross-mutualisation").

Cette constatation met en évidence l’une des imperfections du nouveau texte : son application à des situations non visées par l’objectif de son adoption (la lutte contre les abus). Le secteur immobilier notamment, pourrait être considérablement impacté par la nouvelle réglementation.

2.3 Aux sommes laissées ou mises à disposition à la suite du remboursement d’une dette préalable, rendu obligatoire par la prise de contrôle du débiteur, dans la limite du capital remboursé et des intérêts échus à cette occasion.

Cette exception n’est susceptible de s’appliquer, selon nous, que (i) si une clause du contrat de prêt initial prévoit le remboursement immédiat du prêt en cas de changement de contrôle du groupe ou (ii) si une clause du contrat de prêt initial impose que l’établissement bancaire donne son autorisation préalable au changement de contrôle et que l’établissement en cause refuse de l’accorder (entraînant la nécessité de rembourser le prêt initial pour en souscrire un nouveau).

2.4 Aux sommes laissées ou mises à disposition à raison d’emprunts contractés antérieurement au 1er janvier 2011 à l’occasion d’une opération d’acquisition de titres ou de son refinancement.

Cette exception n’est pas susceptible de jouer pour les emprunts contractés à l’occasion d’une opération d’acquisition d’immeubles ou de droits réels portant sur un immeuble ou du refinancement de tels emprunts.

Si, dans le cadre de cette exception, l’emprunt contracté pour acquérir les titres doit avoir été souscrit avant le 1er janvier 2011, le refinancement peut, de notre point de vue, intervenir indifféremment avant ou après cette date.

3. Conclusion

L’entrée en vigueur immédiate d’une réforme qui soulève autant d’interrogations quant aux modalités pratiques de sa mise en œuvre place les entreprises dans une situation inconfortable car elles doivent prendre position au 31 décembre 2010 sans l’appui des commentaires administratifs.

L’extension du dispositif visé à l’article 212 du CGI entraîne la nécessité pour les entreprises de (i) procéder à un audit de leurs contrats de prêt existants, afin de déterminer si ceux-ci tombent ou non sous le coup des nouvelles règles, mais également (ii) de prendre toutes les précautions utiles dans la conclusion de leurs prêts futurs afin de s’assurer de ne pas entrer dans le champ d’application de l’article 212, II-3 du CGI.

Il conviendra notamment de s’interroger prioritairement sur les sûretés susceptibles d’être accordées à l’établissement financier sans tomber sous le coup du dispositif de sous-capitalisation. La difficulté va résider dans la tentative de concilier le souhait de l’entreprise d’échapper aux règles de limitation de la déduction des frais financiers et celui de la banque de sécuriser les risques liés à l’octroi du prêt.


1 P. CROCQ, Propriété et garantie, LGDJ, 1995, n°282.

2 Rappelons à cet égard que l’administration fiscale inclut ces 3 types de titres (et non les seuls titres offerts au public) comme bénéficiant automatiquement de la clause de sauvegarde prévue à l’article 125 A, III du CGI, s’agissant des intérêts versés à un Etat ou territoire non coopératif (rescrit n° 2010/11 du 22 février 2010).


Par Hubert Bresson, avocat associé et Stéphanie Riou, avocat, CMS Bureau Francis Lefebvre

Article paru dans la revue Option Finance du 28 mars 2011

Auteurs

Hubert Bresson
Stéphanie Riou