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La société mère n’est en principe pas tenue des dettes de sa filiale à moins qu’elle ne s’immisce fautivement dans ses affaires

03/09/2012


« On n’épouse pas la mère avec la fille » dit-on. Se ferait-il que la maxime soit si certaine qu’elle ait envahi le droit des groupes ? On pourrait bien le penser car tel est, en substance, le message délivré par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans son arrêt du 12 juin 2012 (pourvoi n° 11-16.109).

Ici, pourtant, nulle question d’époux mais simplement d’un agent commercial travaillant pour le compte de la filiale et ayant assigné ensemble la société mère et sa filiale en paiement de diverses sommes dues par cette dernière. Les juges du fond avaient fait droit à sa demande en déclarant les deux sociétés solidairement responsables. L’arrêt est cassé. Selon la Cour de cassation, les juges du fond auraient dû rechercher si la société mère ne s’était pas immiscée fautivement dans les affaires de sa filiale, c'est-à-dire en créant une « apparence trompeuse propre à lui permettre de croire légitimement que cette société était aussi son cocontractant ».

La solution ne surprend guère. Il suffit, pour bien la comprendre, de suivre le raisonnement de la Cour de cassation. D’abord, comme le rappelle régulièrement la Haute juridiction, un groupe de sociétés n’a pas la personnalité juridique, ce qui signifie que l’on ne peut pas conclure un contrat avec le groupe dans son ensemble mais seulement avec des sociétés déterminées. Or, il est de principe qu’un contrat ne produit d’effet qu’entre les parties. Par dérogation à ce principe, la jurisprudence admet toutefois que le contrat puisse produire des effets juridiques à l’égard de la partie qui a cru, de bonne foi, s’engager avec un cocontractant apparent. En l’espèce, il n’a pas été prouvé que l’agent commercial ait légitimement cru contracter avec la société mère. Donc, la responsabilité de la société mère à l’égard de sa filiale est écartée, faute de preuve d’une immixtion fautive de sa part dans les affaires de sa filiale.

Cette référence à l’apparence trompeuse n’est pas sans rappeler l’affaire dont on avait, en 2006, fait grand cas. On se souvient que, sous réserve qu’elle ait pu être prouvée devant la cour de renvoi, l’immixtion d’un banquier avait été considérée comme pouvant permettre au cocontractant de croire que celui-ci était partie au contrat et ainsi d’engager sa responsabilité contractuelle.

C’est d’ailleurs à la lumière de la jurisprudence passée que l’arrêt du 12 juin soulève une interrogation. En théorie, la mise en cause de la mère peut prendre appui sur trois fondements classiques : l’idée d’immixtion qui est chère au droit des sociétés ; l’idée de faute commune qui se rattache au droit de la responsabilité civile ; l’idée d’apparence qui trouve application tant dans le droit des biens que dans le droit des obligations. Pour la jurisprudence, l’immixtion n’est pas un fondement autonome : elle n’est pas sanctionnée comme telle. C’est l’apparence créée qui fonde l’action des tiers. On observera que déjà, dans un arrêt du 25 février 2004 (pourvoi n° 01-11.764), la Troisième Chambre civile avait retenu une approche assez restrictive de l’immixtion en introduisant l’idée de faute.

Mais l’arrêt examiné semble aller plus loin en rapprochant furtivement les trois fondements. Ce cumul d’exigences n’est sans doute pas neutre. L’immixtion, la faute et l’apparence seraient-elles devenues un seul et même critère de responsabilité de la mère ?


Analyse juridique parue dans la revue Option Finance du 3 septembre 2012

Auteurs

Christophe Blondeau