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Les dirigeants sociaux et la loi PACTE

Les pouvoirs des dirigeants sociaux sont-ils accrus ou réduits par la loi PACTE ?

15/07/2019

La loi PACTE entend repenser la place des entreprises dans la société et cela passe par des mesures « d’ouverture » : intérêt social élargi, possibilité de doter la société d’une raison d’être ou de lui donner une mission. Ces mesures emportent-elles nécessairement un accroissement des pouvoirs des dirigeants, ou n’ont-elles pas pour conséquence d’encadrer davantage les activités des sociétés concernées ?

Dans une section intitulée « Repenser la place des entreprises dans la société », la loi PACTE (L. n° 2019-486 du 22 mai 2019, art. 169 et s.) rassemble une série de mesures dont on a pu dire, au cours des travaux parlementaires, qu’elles constituaient une « fusée à trois étages ». Le premier étage, l’élargissement de l’intérêt social, concerne toutes les sociétés, petites ou grandes, et ne suppose pas de démarche volontaire de leur part, à la différence des deux autres innovations que sont l’insertion d’une raison d’être dans les statuts, deuxième étage de la fusée, et le statut de société à mission, troisième et dernier étage. Raison d’être et statut de société à mission ne concernent en effet que les sociétés qui souhaitent les adopter et qui procèdent à une modification de leurs statuts.

 
 

Le contenu précis de ces trois innovations mérite d’être rappelé avec un peu plus de précision, avant de s’interroger sur leur incidence sur les pouvoirs des dirigeants : ces pouvoirs sont-ils étendus ou se trouvent-ils au contraire limités par la loi PACTE ? Si la finalité du dispositif est, comme on l’a dit, de permettre aux sociétés de jouer davantage un rôle social, on pourrait imaginer que le législateur a voulu donner aux dirigeants sociaux les moyens de parvenir à ces nouvelles fins. Paradoxalement, il n’est pas exclu que les nouvelles missions des sociétés se traduisent par… un amoindrissement des pouvoirs de leurs dirigeants.

I – Rappel des trois innovations 

Toutes les sociétés, qu’il s’agisse d’une petite EURL ou de la plus gigantesque des sociétés anonymes cotées en bourse, en passant par les sociétés de professionnels, les SCI, les sociétés agricoles, les sociétés d’économie mixte, seront concernées par le premier étage de la fusée PACTE, c’est-à-dire la nouvelle définition de l’intérêt social. Précisons : la société doit être gérée dans son intérêt, et le législateur s’est bien gardé de définir celui-ci, mais il a précisé que cette gestion dans l’intérêt de la société doit se faire en « prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité » (nouvel alinéa ajouté à l’art. 1833 du Code civil). Les sociétés, qu’elles soient constituées avant ou après l’adoption de la loi PACTE, n’ont aucune démarche particulière à accomplir pour que leur intérêt soit désormais cet intérêt élargi. L’un des aspects les plus impressionnants de cet aspect de la réforme est que ces quelques mots ajoutés dans le Code civil vont potentiellement influer sur la manière dont plusieurs millions de sociétés sont gérées.

La deuxième modification, très simple, prend place à l’article 1835 du Code civil. Une fois listées les mentions qui doivent figurer dans les statuts, il est ajouté une mention facultative : une société peut insérer dans ses statuts une « raison d'être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». On ne sait pas grand-chose encore sur le régime juridique de la raison d’être, mais un certain nombre de sociétés de premier plan ont déjà modifié leurs statuts en ce sens ou à tout le moins entrepris une réflexion sur leur raison d’être.

 
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Lire également : Loi PACTE : et si votre société n'avait aucune raison d'être

Dernière innovation et troisième étage de la fusée : le statut de société à mission. Ce statut suppose lui aussi une démarche particulière, qui passe par l’adoption d’une raison d’être et par la mise en place d’un organe particulier dédié au suivi de la mission. L’idée est de permettre aux sociétés commerciales (mais curieusement pas aux sociétés civiles) qui le souhaitent d’élargir leurs visées à des « objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité », selon le nouvel art. L. 210-10 du Code de commerce. Une série de conditions doivent être respectées, et une véritable démarche doit être entreprise.

II – L’incidence sur les pouvoirs des dirigeants sociaux 

Sur les trois innovations, la création du statut de société à mission apparaît a priori la plus porteuse d’élargissement des pouvoirs des dirigeants. Même si la terminologie de « société à objet social élargi » n’a pas été retenue, l’idée est celle-là. Si l’on permet à une société de préciser dans ses statuts « un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité » (art. L. 210-10 nouveau du Code de commerce), on imagine mal que cela ne se traduise pas par une extension des pouvoirs des dirigeants. Sauf à considérer que les objectifs sociaux et environnementaux ne sont pas une mission en plus, mais qu’ils s’insèrent dans l’objet social dont était déjà dotée la société, pour en encadrer la réalisation. Imaginons qu’une société de transport se propose d’œuvrer pour la réinsertion des personnes en difficulté. Voilà certainement un objectif social de nature à faire de la société concernée une société à mission au sens des articles L. 210-10 à L. 210-12 du Code de commerce créés par la loi PACTE.

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Mais cela permet-il à la société d’ajouter à la compétence de ses dirigeants le pouvoir d’accomplir des actes entrant dans ce nouvel objectif ? Ou faut-il considérer davantage la mission comme une limitation, et estimer que les dirigeants ne pourront plus accomplir les actes qui relevaient précédemment de leur compétence que si ceux-ci correspondent bien à la mission nouvelle de la société ?

La formulation de l’article L. 210-10, qui mentionne des objectifs sociaux et environnementaux à poursuivre par la société « dans le cadre de son activité » laisse entendre qu’on va plutôt vers une réduction : le contrat que conclura la société dans le cadre de son activité pourrait se trouver contesté s’il ne permet pas la réalisation de sa mission, à moins que l’on accepte l’idée que la société a la possibilité, dans certaines circonstances, d’oublier temporairement sa mission, ou qu’il est possible que celle-ci ne concerne pas l’ensemble des activités de la société et qu’existent des « zones franches » non concernées par la mission…

Tout comme le statut de société à mission, la raison d’être dont la société peut se doter, aux termes du nouvel article 1835 du Code civil, apparaissait de prime abord comme conduisant à un élargissement des pouvoirs des dirigeants sociaux. Si la raison d’être est constituée des « principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité », il semble qu’on ajoute à l’existant. Dès lors, on imagine que les principes dont la société se dote vont permettre davantage d’actes à ses dirigeants sociaux. Pourtant, la raison d’être pourrait aussi jouer un rôle réducteur. Ces principes dont la société se dote ne devraient-ils pas, en effet, lui interdire la réalisation d’actes contraires à sa raison d’être ? Les sanctions ne sont pas évidentes, mais la responsabilité des dirigeants qui réalisent des actes contraires à la raison d’être de la société vient rapidement à l’esprit. Il est donc possible que les dirigeants hésitent à accomplir certains actes, par peur de contrevenir à la raison d’être de la société.

Ce que l’on a appelé « l’intérêt social élargi » doit enfin être évoqué. On conçoit difficilement que l’élargissement de l’intérêt social ne conduise pas à ouvrir de nouveaux horizons aux dirigeants sociaux. Pourtant, et de manière paradoxale, l’élargissement de l’intérêt social pourrait se traduire en réalité par… une réduction des actes que la société peut réaliser. Si ces actes ne prennent pas en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité, ils deviennent, sinon contraires à l’intérêt de la société, du moins non conformes à la manière de gérer le groupement sociétaire prescrite par le nouvel alinéa de l’article 1833 du Code civil. La loi PACTE a précisé que la violation de cette nouvelle norme n’était pas susceptible d’entraîner l’annulation des actes sociétaires, mais on peut douter que la violation d’une norme légale soit commise avec désinvolture par les dirigeants sociaux. Certes, la rédaction particulière du nouveau texte suscitera de belles discussions – qu’est-ce, par exemple, que « prendre en considération » les enjeux relevant de la sphère sociale et environnementale de l’activité de la société ? On perçoit tout de même que, à l’encontre de la première impression, l’élargissement de l’intérêt social pourrait être synonyme de réduction des pouvoirs des dirigeants sociaux.

Analyse juridique parue dans le magazine Option Droit & Affaires le 3 juillet 2019


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