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Les parts sociales sont-elles des immeubles ? La Cour de Cassation n’en doute point !

Article paru dans la revue Option Finance le 10 décembre 2012 par Dimitar Hadjiveltchev et Frédéric Roux

10/12/2012


Il est de ces décisions qui démontrent que la théorie de la relativité s’applique à merveille à la pensée fiscale.


I. Le contexte

Le contexte est a priori simple : un défunt ayant eu son dernier domicile à Monaco, une succession portant sur les parts d’une société monégasque qui détient des immeubles en France, des héritiers peu enthousiastes à l’idée de payer des droits de succession en France. La question : les parts de la société monégasque constituent-elles des immeubles au sens de la convention fiscale en matière de droits de succession conclue par la France et Monaco, le 1er avril 1950 ?

Selon l’article 2 de cette convention, les biens et droits immobiliers sont imposables au lieu de situation de l’immeuble, l’alinéa 2 précisant que la nature immobilière d’un droit ou d’un actif est déterminée en vertu du droit interne de l’Etat dans lequel se situe le bien.

A l’opposé, l’article 6 de la convention attribue l’imposition des actions ou parts sociales à l’Etat de résidence du de cujus, cet Etat étant Monaco dans le cas d’espèce.

Pour corser légèrement le contexte juridique, il est prévu, dans un échange de lettres du 16 juillet 1979, que les actions ou parts de sociétés ayant pour objet la construction ou l’acquisition d’immeubles en vue de leur division par fractions destinées à être attribuées aux associés en propriété ou en jouissance suivent le traitement des immeubles.

La Cour d’Appel d’Aix en Provence, suivant la position du Tribunal de Grande Instance, avait jugé que la société objet du litige n’étant pas une société de copropriété, la transmission de ses titres est visée à l’article 6, alors même qu’elle détient des biens immobiliers. Lecture toute somme faite classique des dispositions des conventions fiscales, qui avait conduit à ôter à la France le droit d’imposer la transmission des parts de la société immobilière.

II. Arrêt du 9 octobre 2012 n° 11-22023

La Cour de Cassation casse l’arrêt d’appel dans une décision à la rédaction relativement hermétique, selon laquelle l’échange de lettres précité étend le champ d’application de l’article 2 et que la question de savoir si un bien ou droit a le caractère immobilier sera résolue d’après la législation de l’Etat dans lequel est situé le bien. Chacun de ces postulats pris séparément n’a rien de bien surprenant. C’est la conclusion tirée qui est inattendue : la cour d’appel aurait violé la convention.

La suite logique des affirmations et la conclusion donnée n’étant pas d’une grande évidence, essayons d’analyser l’arrêt.

Première option de lecture : l’échange de lettres qui vise les sociétés de copropriété élargirait la notion d’immeuble au sens de la convention pour englober l’ensemble des titres de sociétés à prépondérance immobilière. Cette position n’est pas évidente à défendre, dans la mesure où les sociétés de copropriété sont une catégorie très spécifique de sociétés en droit français : leurs titres donnent directement droit à une quote-part de l’immeuble sous-jacent et ces sociétés sont fiscalement transparentes.

Certes, l’administration française tend parfois à adopter la position selon laquelle la solution adoptée à l’égard des titres de sociétés de copropriété s’étend à l’ensemble des titres de sociétés qui détiennent des immeubles de façon prépondérante (position adoptée dans ses conclusions dans l’affaire en question, mais également dans ses commentaires de la convention fiscale franco-belge (cf instruction du 6 mai 1966). Pour autant, l’administration adopte également la position diamétralement opposée, dès lors qu’il s’agit de préserver les droits du Trésor français : dans trois réponses ministérielles du 24 février 1992 (AN n° 52230 52231 52232 Ehrmann), elle mentionne que les parts de sociétés civiles immobilières monégasques sont visées à l’article 6 de la convention franco-monégasque et que les droits de succession sont dus en France si le défunt était domicilé en France, « quelle que soient la nature et la localisation de ses actifs ».

Si la position de l’administration peut varier en fonction des cas, il est plus surprenant que la Cour de Cassation lui emboite le pas.

Seconde option de lecture : La Cour entend faire application du principe selon lequel la notion d’immeuble doit être interprétée par référence au droit de l’Etat où le bien est situé. Le principe est juste. Son application au cas d’espèce prête à discussion.

En effet, si les titres de sociétés de copropriété sont fiscalement assimilés à des droits immobiliers, aucun texte français ne permet la même assimilation en présence de sociétés ordinaires détentrices d’immeubles. Les jugent auraient-ils songé à l’article 750 ter du code général des impôts lors de leur décision ? Cela semble peu probable étant donné que cet article se limite à définir si un bien est français ; il ne qualifie pas la nature du bien. Ainsi, selon ce texte, les titres de sociétés qui détiennent des immeubles en France peuvent être considérés (sous certaines conditions) comme des biens français. Les titres ne sont pour autant pas qualifiés d’immeubles.

Notons à cet égard que l’administration a bien admis le principe selon lequel les titres d’une société restent des valeurs mobilières, indépendamment de la composition de l’actif social (cf. réponses ministérielles Ehrmann précitées).

Dès lors, la référence, faite par la Cour, à la qualification d’un bien d’après la loi de l’Etat où il est situé aurait dû la conduire à considérer que les titres de la société monégasque restent des valeurs mobilières visées à l’article 6 de la convention, imposables es qualité uniquement à Monaco.

Quelle que soit la méthode de lecture adoptée, la décision apparaît donc surprenante. Il ne s’agit pourtant pas d’un arrêt d’espèce, dans la mesure où l’arrêt rendu en formation plénière a été publié au bulletin.

Le lecteur averti se souviendra que la chambre commerciale de la Cour de cassation avait déjà rendu, en matière de droit d’enregistrement, un arrêt allant dans le sens de l’assimilation des titres à des immeubles (arrêt Chicoyneau de Lavalette du 10 décembre 2003) : selon la Cour, la cession de parts de SCI entraînait l’application du droit de 5,09% directement sur la valeur vénale de l’immeuble sous-jacent, au motif que les parts de la SCI conféraient à l’actionnaire la jouissance de cet immeuble. Abstraction était faite de la personnalité morale de la société (et des dettes de cette dernière pour l’assiette des droits de mutation). Pourtant cette solution n’avait jamais été réellement suivie d’effet, notamment au niveau de l’administration fiscale.

III. Portée potentielle de l’arrêt

Il existe donc un certain danger à ce que la Cour de Cassation réitère sa position à l’avenir, dans son domaine de compétence, à savoir les droits d’enregistrement et l’impôt sur la fortune.

Si on imagine un instant que la volonté de la Cour de Cassation est de considérer que, fiscalement, le caractère immobilier d’un droit est à déterminer par référence à l’article 750 ter du CGI (notre option 2), seraient considérés comme immeubles situés en France tous les titres de sociétés françaises ou étrangères qui détiennent principalement des immeubles situés en France. Il en irait de même de toutes les participations de plus de 50 % dans des sociétés qui détiennent, même de manière secondaire, des immeubles en France. On peut même se demander comment l’administration fiscale n’y avait pas pensé plus tôt, alors qu’elle est en train de dépenser une énergie considérable à renégocier la convention franco-suisse en matière de droits de succession, qui empêche justement à ce jour la France d’imposer les transmissions portant sur des titres de sociétés, lorsque le défunt avait son dernier domicile en Suisse.

D’un autre côté, si on devait comprendre que la Cour a considéré que l’échange de lettres mentionnant les sociétés de copropriété s’applique in extenso aux autres sociétés qui détiennent des immeubles (notre option 1), l’impact de la décision serait limité aux seules conventions qui contiennent une référence expresse aux sociétés de copropriété (pour les besoins de l’ISF ou des droits de donation / succession) et sa portée serait très réduite, car seules deux conventions contiennent cette mention : celles signées avec les Pays-Bas et Monaco.

On peut enfin rester optimiste et espérer que la Cour de Cassation a avant tout reproché à la Cour d’Appel d’avoir insuffisamment analysé le traitement en droit interne des titres de sociétés détenant des immeubles et que la juridiction de renvoi devra affiner son analyse avant de conclure à l’absence d’imposition en France.

En tout état de cause cet arrêt pourrait inciter l’administration à adopter une position plus courageuse à l’égard des conventions fiscales et à tenter, en pratique, de considérer que les conventions fiscales signées par la France en matière de droits de donation / succession ne sauraient l’empêcher d’appliquer les dispositions de l’article 750 ter du CGI et exiger le paiement des droits en France chaque fois que la transmission porte sur des immeubles situés en France, sur des titres de sociétés qui détiennent de tels immeuble, voire même lorsque les transmissions profitent tout simplement à des bénéficiaires établis en France. Rappelons en effet que dans une réponse ministérielle Morel-A-L'Huissier (AN 8 février 2011 n° 92034), l’administration a considéré que les biens situés en Italie reçus par un donataire en France peuvent être imposés en France (alors même que la France et l’Italie ont conclu une convention fiscale en matière de droits de donation).

Il resterait alors à espérer que le Conseil d’Etat, qui lui est compétent en matière d’impôts directs (impôt sur le revenu et impôt sur les sociétés) saura garder une lecture plus classique des conventions fiscales internationales.

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Dimitar Hadjiveltchev
Associé
Paris