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Manquement des contribuables à leurs obligations formelles : le juge de l'impôt plus exigeant avec l'administration fiscale

13/11/2008

Dans un litige où l'administration remet en cause le bénéfice d'un régime fiscal favorable au motif qu'il n'a pas été satisfait aux formalités requises au moment de la souscription de la déclaration, la première question est souvent celle de la réalité du manquement. La tâche du juge dans de telles circonstances n'est guère aisée car il doit trancher sans mettre à la charge d'une des parties une preuve négative.

Or précisément les cours administratives d'appel ont eu tendance à faire porter sur le contribuable la charge de la preuve. Cette tendance pouvait certes se réclamer de quelques précédents jurisprudentiels selon lesquels il appartient toujours au contribuable de prouver qu'il entre dans les prévisions d'une disposition dérogatoire au bénéfice de laquelle il prétend3. Mais cette tendance a été très sérieusement tempérée depuis une quinzaine d'années par le Conseil d'Etat qui juge désormais en règle générale que c'est au vu des résultats de l'instruction que le juge de l'impôt doit se déterminer sur ce point4.

L'intérêt des décisions du Conseil d'Etat Thomas du 30 juin 2008 et Fournier du 16 juillet 2008 est d'étendre ce mode de raisonnement, dégagé pour le respect des conditions substantielles d'un avantage fiscal, à la question du respect des obligations formelles.

Dans la décision Thomas, le contribuable entendait bénéficier d'une réduction d'impôt au titre de l'acquisition d'un logement destiné à la location, mais le bénéfice de ce régime lui avait été refusé au motif que l'engagement de donner le logement en location n'avait pas été joint à sa déclaration. Pour débouter M. Thomas la CAA avait estimé qu'il n'établissait pas avoir joint ce document.

La situation de M. Fournier était similaire. Il soutenait avoir porté dans sa déclaration une mention expresse qui lui permettait d'échapper à l'intérêt de retard, mais l'administration le contestait et la CAA lui avait également donné raison en relevant que M. Fournier n'établissait pas avoir fait figurer une telle mention dans sa déclaration.

Dans ces deux affaires le Conseil d'Etat a censuré l'erreur de droit consistant à avoir fait porter sur le contribuable la charge de la preuve de l'existence de ces formalités, et a rappelé que c'est sur les résultats de l'instruction que le juge de l'impôt doit se fonder. Mais c'est aussi le raisonnement suivi par le Conseil d'Etat, redevenu juge du fond, pour donner raison aux contribuables qui retient l'intérêt.

En ce qui concerne M. Thomas, la Haute assemblée relève que dès lors que l'intéressé avait mentionné dans sa déclaration l'acquisition d'un logement en vue de bénéficier de la réduction d'impôt sollicité et qu'il soutenait avoir joint à sa déclaration l'engagement de le donner en location, l'administration ne pouvait remettre en cause le bénéfice de cette réduction qu'en faisant état de démarches ayant invité le contribuable à régulariser ce manquement.
Dans l'affaire Fournier, le Conseil d'Etat relève que l'administration n'ayant pas produit l'original de la déclaration du contribuable, ce qui aurait permis au juge de vérifier que la mention expresse y figurait ou non, elle n'est pas fondée là non plus à contredire les affirmations du contribuable.

Dans les deux cas, la confrontation des éléments apportés par chacune des parties est défavorable à l'administration car cette dernière n'a pas produit les éléments, qu'elle seule avait ou aurait dû avoir en sa possession. C'est ainsi clairement au bénéfice du contribuable que l'approche réaliste retenue par le juge rétablit l'équilibre dans le prétoire.

Dans les litiges ayant donné lieu aux décisions Berland du 16 juillet 2008 et Fretin du 27 juin 2008, les contribuables ne contestaient pas avoir manqué à une exigence formelle à la date à laquelle ils avaient souscrit la déclaration, mais ils soutenaient que dès lors qu'ils y avaient satisfait postérieurement, ce manquement ne pouvait pas les priver du bénéfice de l'avantage qu'ils réclamaient.

M. Berland faisait valoir que le fait qu'il n'avait pas joint à sa déclaration l'engagement de conserver les parts pendant 5 ans ne pouvait pas le priver de la réduction d'impôt au titre de souscription de parts de FCPI dès lors que cet engagement avait été postérieurement produit; et M. Fretin soutenait qu'il pouvait bénéficier de l'abattement de 20 % en tant qu'adhérent à une association de gestion agréée, alors même qu'il avait omis de joindre à sa déclaration l'attestation d'adhésion, dès lors que là aussi il avait établi postérieurement qu'il était bien adhérent.

L'administration se prévalait de dispositions réglementaires qui subordonnaient le bénéfice de l'avantage fiscal réclamé à la condition que la formalité soit accomplie à la date de souscription de la déclaration. Mais c'est précisément parce qu'il a estimé que de telles dispositions, en raison de leur nature réglementaire, ne pouvaient priver les contribuables de la possibilité de régulariser l'omission initiale soit dans le délai de réclamation, soit même au cours de la procédure contentieuse, que le Conseil d'Etat a écarté l'argumentation de l'administration.

Ainsi que l'explique Célia Vérot dans ses conclusions sous la décision Berland, trois situations doivent être distinguées :

  • soit la loi elle-même a subordonné le bénéfice d'un avantage fiscal à la condition qu'une formalité soit mise en oeuvre au moment de la déclaration, et dans ce cas, à défaut d'accomplissement de cette formalité dans le délai de déclaration, cette omission n'est pas régularisable ;
  • soit ce n'est pas la loi mais de simples dispositions réglementaires intervenues pour l'application de ces dispositions législatives qui imposent cette exigence, et ces dispositions ne peuvent en principe avoir légalement pour effet de priver le contribuable de la possibilité de régulariser cette omission dans le délai de réclamation ;
  • soit ces dispositions réglementaires sont intervenues sur la base d'une habilitation précise du législateur qui impliquait nécessairement une impossibilité de régularisation après l'expiration du délai de déclaration, et dans ce cas comme dans le premier, aucune régularisation n'est possible dans le délai de déclaration.

Toutefois, les cas où le législateur pourra être regardé comme habilitant avec suffisamment de précision le pouvoir réglementaire à déroger à la possibilité de régularisation dans le délai de réclamation seront certainement limités. C'est ainsi que dans la décision Berland le Conseil d'Etat n'a pas jugé suffisamment explicité un simple renvoi au décret pour la fixation des " modalités d'application du présent article, notamment les obligations déclaratives incombant aux contribuables " et a jugé dès lors suffisant que l'engagement de conservation soit produit dans le délai de réclamation. Dans l'affaire Fretin, le Conseil d'Etat est allé à certains égards au-delà de cette solution puisqu'il a admis de prendre en considération une attestation d'adhésion produite seulement au cours de la procédure contentieuse, donc bien après l'expiration du délai de réclamation. Mais la décision relève que cette attestation a eu ici pour objet d'apporter la preuve de l'adhésion, ce qui peut être fait, eu égard à l'objet de ce document, à tout moment de la procédure. Cette solution n'est sans doute pas transposable aux hypothèses dans lesquelles le bénéfice d'un avantage fiscal est subordonné à un engagement du contribuable, qui doit être en principe souscrit ab initio.

1 CE, 30 juin 2008, n°274 512, Thomas ; CE, 27 juin 2008, n°301 472, Fretin
2 CE, 16 juillet 2008, n°300 839, Berland ; CE, 16 juillet 2008, n°289 948 , Fournier
3 Par ex. CE, 18 février 1987, n°45 461, RJF 4/87, n°409 ; CE, 14 octobre 1987, n°48 185, RJF 12/87, n°1294
4 Par ex. pour les conditions d'application du taux réduit d'IS (CGI, art. 39 terdecies), CE, 18 mai 1998, n°159 846, ministre c/ SA Yves Saint Laurent, RJF 7/98, n°771, concl. F.Loloum, DF 48/98, c.1047; ou sur le point de savoir si une association satisfait au critère de non lucrativité qui commande son exonération des impôts commerciaux - CE, Section, 1er octobre 1999, association jeune France, RJF 11/99, n°1354

Article paru dans la revue Option Finance du 29 septembre 2008


Authors:

Stéphane Austry, Avocat Associé