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Moyens de preuve d’origine illicite : point sur leur admission par les juges en matière fiscale

17/05/2011

Une ordonnance du Président de la Cour d’appel de Paris sanctionnant l’utilisation, par l’administration fiscale, d’informations provenant des fichiers volés à HSBC vient d’être rendue. Il nous semble utile de faire le point sur l’état de la jurisprudence judiciaire et administrative dans le domaine fiscal.

Le contentieux fiscal se partage entre les deux ordres de juridiction, avec parfois des pratiques différentes. Le juge administratif se prononce sur les redressements en matière d’IS ou d’IR. Le juge judiciaire se prononce sur l’ISF et les droits d’enregistrement, mais aussi sur les perquisitions fiscales et sur les poursuites (pénales) pour fraude fiscale concernant l’ensemble des impôts.

I - Le juge judiciaire refuse en principe de s’appuyer sur des pièces d’origine illicite

Le juge judiciaire considère que l’administration fiscale ne peut s'appuyer sur des pièces qu'elle détient de manière illicite ou frauduleuse(1).

Dans la nouvelle procédure de perquisitions fiscales (LPF, art. L 16 B), un juge d’appel procède dorénavant au contrôle de la régularité des ordonnances autorisant les visites domiciliaires. Il vérifie que la demande de l’administration fiscale est bien fondée et contrôle, à cet égard, l’origine licite des documents fournis par l’administration pour justifier les mesures de visite et de saisie(2).

C’est dans ce contexte que le premier Président de la Cour d’appel de Paris vient d’annuler une autorisation de visite domiciliaire fondée sur des données informatiques volées par un employé de la banque HSBC, pièces d’origine illicite, bien que transmises par l’autorité judiciaire en vertu du droit de communication(3). La même solution avait déjà été retenue à propos de pièces obtenues en dehors des règles du droit de communication(4).

Il est rappelé que, devant le Conseil d’Etat, l’annulation de l’ordonnance ayant autorisé la perquisition peut entraîner l’annulation de la procédure d’imposition . Mais les poursuites pénales exercées pour fraude fiscale et la procédure administrative tendant à fixer l'assiette et l'étendue de l'impôt sont indépendantes, et il en résulte que la décision du premier juge ne lie pas le second et vice-versa. Le juge pénal est donc amené à se prononcer à raison des mêmes faits et peut être amené à examiner une exception de nullité tirée de l'irrégularité de la procédure fiscale. On rappelle toutefois que conformément aux règles de la procédure pénale, les exceptions de nullité doivent être présentées avant toute défense au fond.

Le juge pénal ne sursoit pas à statuer en attendant que le juge administratif se prononce sur les impositions, et se détermine selon les modes de preuve propres à la procédure pénale. Il peut prononcer une condamnation pour fraude fiscale, sans tirer la moindre conséquence d’une éventuelle annulation de la procédure d’imposition (qu’elle soit prononcée sur un moyen de procédure ou en raison du caractère non fondé de l'impôt)(6).

La CEDH considère que cette séparation des procédures ne viole pas la présomption d'innocence dès lors que le juge pénal et le juge administratif statuent sur deux infractions différentes.

La Cour de cassation n’annule pas les poursuites pénales en cas nullité de la procédure fiscale, sauf dans des cas exceptionnels où il y a violation d’une garantie essentielle des droits de la défense du fait de l’atteinte au droit à l’assistance d'un conseil et aux garanties du débat contradictoire(7).

Mais la méconnaissance par l'administration fiscale des garanties fondamentales accordées au contribuable dans le cadre d'une vérification de comptabilité (l’assistance d'un conseil et le respect d'un débat oral et contradictoire) reste sans incidence sur la régularité de la procédure pénale pour fraude fiscale lorsque le contribuable est poursuivi pour abstention délibérée de toute déclaration et que la constatation de cette abstention résulte de visites domiciliaires engagées antérieurement à la procédure de vérification(8).

En outre, la violation des garanties de la procédure contradictoire reste sans effet lorsque les poursuites ne sont pas fondées sur la vérification irrégulière, ou bien lorsqu’elles s’appuient sur des demandes de renseignements ou encore lorsque l'administration a obtenu les pièces par l’exercice de son droit de communication auprès de tiers(9).

II - Le juge administratif exige une information sur l’origine des éléments opposés

Par principe, le juge administratif considère que l'administration ne peut s'appuyer, pour établir des redressements, sur des pièces qu'elle a obtenues ou qu'elle détient de manière illicite ou frauduleuse(10). Mais l'incidence d'une telle situation sur la régularité de la procédure d'imposition n'est pas clairement tranchée par la jurisprudence.

On peut penser que des documents litigieux sont dépourvus de valeur probante. Toutefois, en vertu du principe de l'indépendance des procédures, le Conseil d’Etat considère que la circonstance que des pièces saisies et communiquées à l'administration fiscale par l'autorité judiciaire, auraient été ultérieurement annulées par le juge pénal ne s’oppose pas, ni sur le domaine du bien-fondé de l'imposition ni sur celui de la régularité de la procédure, à ce que l'administration puisse valablement se prévaloir de ces pièces pour établir les impositions(11).

Hormis la constatation matérielle des faits, c'est donc le principe de l'indépendance des procédures qui s’applique. Ainsi, dès lors que l'administration fiscale a obtenu régulièrement communication de pièces détenues par l'autorité judiciaire, la circonstance que ces pièces auraient été ultérieurement écartées par le juge pénal n'a pas pour effet de priver l'administration du droit de s'en prévaloir pour établir les sanctions administratives.

En d'autres termes, la procédure d'imposition demeure régulière et l'administration n’est pas privée du droit de se prévaloir de ces pièces, certes annulées au plan pénal mais dont l'existence matérielle demeure. Il en résulte que la communication régulière de pièces à l'administration fiscale, par l'exercice de son droit de communication, a pour effet de « purger » les irrégularités de la procédure judiciaire, sans qu’y fassent obstacle les dispositions du Code pénal, ou bien celles du Nouveau Code de procédure pénale.

On sait toutefois qu’il ressort d’une jurisprudence constante qu’il incombe à l’administration, quelle que soit la procédure d’imposition mise en œuvre, d’informer le contribuable dont elle envisage de rehausser les bases d’imposition, de l’origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers, qu’elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour permettre à l’intéressé de discuter utilement leur provenance ou de demander que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions(12).

Lorsque le contribuable en fait la demande à l’administration, celle-ci est tenue de lui communiquer les documents ou copies de documents contenant les renseignements obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés, sous peine de nullité de la procédure d’imposition. Il en va ainsi alors même que le contribuable a pu avoir connaissance de ces renseignements ou de certains d’entre eux, afin notamment de lui permettre d’en vérifier, et le cas échéant d’en discuter, l’authenticité et la teneur. L’omission de communiquer les documents ou copies demandés constitue un vice substantiel de la procédure d’imposition(13).

Plus particulièrement, l’administration est aussi tenue, lorsque, faisant usage de son droit de communication, elle consulte au cours d’une vérification de comptabilité les pièces comptables détenues par l’autorité judiciaire, de soumettre l’examen de ces pièces à un débat oral et contradictoire avec le contribuable. Et la Cour d’appel de Douai vient de préciser que la circonstance que les documents contenant les renseignements obtenus auprès de tiers ont déjà été communiqués au contribuable à l’occasion d’une précédente procédure de redressement ne dispense pas l’administration de les communiquer à nouveau, sur demande de l’intéressé, dans le cadre d’une nouvelle procédure de redressement, distincte de la première procédure d’imposition(14).

Ainsi, l’annulation par le juge judiciaire d’actes rattachables à la procédure d’imposition ne signifie pas nécessairement que l’administration ne pourra pas valablement émettre des impositions complémentaires à l’encontre du contribuable concerné, soit dans certains cas par l’exercice de son droit de communication, soit par l’utilisation d’éléments externes aux actes annulés.




1 Cass. crim. 28 octobre 1991, n° 90-83692 PF, documents volés par un ancien salarié

Cass. com., 7/04/10, n° 09-15.122

CA Paris, ord. 8 février 2011, n° 104-145.7

Cass. com. 7 avril 2010, n° 09-15.122, informations provenant d’un opérateur Internet

5 CE, 1er mars 1996, n° 174245-174246, Finibéton

Cass. crim., 4 juin 1970, Delfaux : Bull. crim. n° 186, p. 444

7 Cass. crim., 21 janvier 1991, n° 90-82296

Cass. crim, 14 mars 2007, n° 06-85.865

9 Cass. crim, 6 juin 2007, n° 06-82.857

10 CE, 1er juillet 1987, n° 54.222. ou CAA Lyon, 5 juillet 1994, n° 92-392 et 92-619, pour des documents volés par un ancien salarié

11 CE, 6 janvier 1986, n° 49.162 ; CE 26 octobre 1992, n° 90.914

12 CE, 7 novembre 2008, n° 300662

13 CE, 31 juillet 2009, n° 297308

14 CAA Douai, 21 octobre 2010, n°10-462, Krumholz

Par Patrick Philip, Avocat

Chronique parue dans la revue Option Finance du 11 avril 2011