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Prêteur ou emprunteur : qui doit prouver la remise des fonds ?

28/05/2010

Celui qui est assigné en remboursement d'un prêt dispose d'un moyen de défense radicale : prétendre n'avoir jamais reçu les fonds et donc n'avoir rien à restituer en capital. Se posera alors la question à la base de tout débat judiciaire : celle de la charge de la preuve.

Plus concrètement encore, lorsque l'emprunteur, ou prétendu tel, conteste avoir à rembourser les sommes qui lui sont réclamées, est-ce à celui qui se présente comme un créancier de prouver l'existence du prêt et la remise des fonds, ou bien est-ce au contraire au défendeur d'établir qu'il n'a rien reçu ou en tout cas qu'aucun prêt ne lui a été consenti ?

C'est à cette interrogation aux enjeux pratiques considérables que la Cour de cassation répond dans deux arrêts rendus le 14 janvier 2010. Dans les deux cas, le demandeur avait naturellement pris la précaution de faire signer un écrit, attestant l'existence du contrat.

Mais cet écrit est-il suffisant pour le dispenser d'avoir à établir la réalité de la remise des fonds à l'emprunteur ? Tout dépend, juge la Cour de cassation, de la nature du contrat de prêt. On se rappelle que, depuis un arrêt du 28 mars 2000, celle-ci considère que le prêt consenti par un professionnel du crédit est un contrat consensuel, c'est-à-dire un contrat dont la formation résulte d'un échange des consentements.

Dans les autres cas, c'est-à-dire lorsqu'un prêt est consenti soit entre deux particuliers, soit entre deux professionnels à titre isolé ou comme accessoire d'une opération commerciale principale (par exemple, dans le cas des contrats de distribution), le prêt demeure un contrat réel, qui ne se forme pas tant que les fonds n'ont pas été remis entre les mains de l'emprunteur.

Quelle est la conséquence de cette différence de nature sur le terrain de la preuve ?

Lorsque le prêt s'analyse comme un contrat réel, la Cour de cassation décide que la reconnaissance de dette signée par l'emprunteur établit suffisamment l'existence du prêt. Plus exactement, si l'emprunteur conteste avoir reçu les fonds ou conteste que les fonds reçus l'ont été à titre de prêt, par exemple il considère qu'il s'agit d'une donation, c'est à lui d'établir ce qu'il avance. La solution, sur le terrain technique, s'évince de l'article 1315 du Code civil, texte de droit commun de la preuve, qui dispose que «celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation».

Doit-il en aller pareillement dans le cas d'un crédit à la consommation délivré par une banque ? En d'autres termes, l'offre préalable de prêt régulièrement signée du client suffit-elle à établir que les fonds correspondant ont bien été versés par l'organisme de crédit ?

Non répond la Cour de cassation, dans cette configuration, «il appartient au prêteur qui sollicite l'exécution de l'obligation de restitution de l'emprunteur d'apporter la preuve de l'exécution préalable de son obligation de remise des fonds».

L'affirmation peut paraître étonnante car, en présence d'un contrat consensuel valablement formé, c'est en principe à celui qui se prévaut d'une inexécution de l'autre partie d'en établir la réalité. L'explication tient au caractère nécessairement chronologique des obligations réciproques dans le prêt : avant que l'emprunteur ait quelque chose à restituer, il faut que les sommes convenues lui aient été effectivement remises. Dès lors, la solution du litige est à nouveau déduite de l'article 1315, ici envisagé en son premier alinéa, qui prévoit que «celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver».

Quelles sont les conséquences pratiques à tirer de cette décision ? Il est impératif que les établissements de crédit ne se contentent pas du document écrit prévu par le Code de la consommation portant offre de crédit. Il faut qu'ils se ménagent la preuve de la remise effective des fonds. Preuve d'un fait, donc pouvant être établie par tous moyens. Notons toutefois que dans l'arrêt commenté les documents comptables produits par l'organisme de crédit n'ont pas été jugés pertinents au motif qu'ils émanaient de ses propres services comptables. Sans doute, la production d'un reçu signé de l'emprunteur établirait-elle la preuve désormais exigée.


Arnaud Reygrobellet, Of Counsel, Professeur à l'université Paris X,

Analyse juridique parue dans la revue Option Finance du 6 avril 2010

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Arnaud Reygrobellet
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