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Protection du conjoint survivant : la fiscalité complique l'exercice

14/11/2005

Permettre au conjoint survivant de recueillir l'usufruit des biens de son époux prédécédé permet au veuf ou à la veuve le maintien de ses conditions de vie ; si l'usufruit s'exerce sur des biens de jouissance (résidence principale, résidence secondaire par exemple), il lui permet de continuer à occuper ce bien ; s'il s'exerce sur des biens de rapport (bien immobilier loué, portefeuille-titres générateur de dividendes ou d'intérêts) il lui permet de maintenir un certain niveau de revenus.

Il faut pouvoir compter sur une bonne entente entre le conjoint survivant et les autres héritiers du défunt. En effet, les objectifs de l'usufruitier, motivé par les revenus, et du nu-propriétaire, intéressé par la valorisation du patrimoine qu'il recueillera, sont naturellement en opposition. C'est la raison pour laquelle la loi du 3 décembre 2001 relative à la protection du conjoint survivant a réservé l'option pour la totalité en usufruit de la succession du prédécédé à l'hypothèse où tous les enfants des époux sont communs.

Il faut également veiller à ce que cette protection ne soit pas un leurre comme ce serait le cas si l'usufruit s'exerçait sur des biens non productifs de revenus (par exemple un portefeuille de SICAV de capitalisation) et avoir en tête que les droits légaux en usufruit du conjoint survivant ne s'exercent que sur les biens du défunt existants au décès, ce qui peut parfois réduire leur assiette à peu de choses.

Ainsi, l'usufruit est une bonne solution mais qu'il convient d'ajuster à chaque situation familiale et patrimoniale.

Hors les hypothèses d'usufruit successoral (né de dispositions légales, testamentaires ou d'une donation dite au dernier vivant), le cas est fréquent où le conjoint recueille ses droits en exécution d'une clause de réversibilité d'usufruit, stipulée le plus souvent à l'occasion d'une donation aux enfants. Exemple : l'ascendant donne en nue propriété une partie de ses biens à ses descendants et prévoit à son profit une réserve d'usufruit et au profit de son conjoint un usufruit réversible appelé également usufruit successif ou usufruit en second. Cet usufruit est constitué dès la donation aux enfants mais n'aura vocation à s'exécuter qu'en cas de survie du conjoint à l'ascendant donateur.

Dans toutes ces situations, les droits en usufruit sont lourdement taxés aux droits de mutation à titre gratuit.

La loi de finances pour 2004 a fortement revalorisé l'usufruit viager dans le nouveau barème fiscal codifié sous l'article 669 du CGI.

Pour prendre un seul exemple, l'usufruit viager du conjoint âgé de 70 ans au décès de son époux représente 30 % de la valeur en pleine propriété du bien au lieu de 10 % avant 2004.

Pour autant le législateur de 2004 n'a pas augmenté l'abattement qui s'applique à la part du conjoint survivant (76.000 Euro).

Deux récentes mesures viennent pallier les effets négatifs de la revalorisation de l'usufruit :

  • D'une part, la loi a supprimé toute perception au profit du Trésor sur les actes portant changement de régime matrimonial, passés au cours des années 2004 et 2005 en vue de l'adoption d'un régime communautaire. En pratique, c'est la taxe de publicité foncière de 0,60 % qui peut ainsi être évitée en cas de transfert de droits réels immobiliers du patrimoine d'un époux à la communauté. Cela étant, c'est moins cette économie fiscale limitée et temporaire que les époux doivent viser que le traitement fiscal des "avantages matrimoniaux". On sait, en effet, que les avantages matrimoniaux que se consentent les époux dans le cadre d'un contrat de mariage communautaire ne sont pas analysés comme des libéralités ni au plan civil, ni au plan fiscal, sauf cependant en cas de présence d'enfants d'autres lits lorsque l'avantage matrimonial excède la quotité disponible spéciale entre époux.
  • D'autre part, le décret du 6 mai 2005 a institué au profit du conjoint survivant le droit à un différé de paiement des droits de succession dus sur sa part jusqu'à l'expiration d'un délai de six mois à compter, soit de la date de son décès, soit de la date de la donation ou de la cession partielle ou totale des biens transmis par succession. On peut penser que le conjoint survivant aura des réticences à demander ce différé qui risque de reporter sa dette sur ses héritiers. Cette possibilité de crédit est subordonnée au défaut de liquidité des biens de la succession qui doivent comprendre au moins 50 % de biens non liquides (par exemple des immeubles ou des actions non cotées). Le conjoint survivant doit acquitter un intérêt égal aux deux tiers de l'intérêt légal, soit 1,3 % pour les successions ouvertes en 2005 et constituer des garanties.

Si ces mesures doivent, malgré tout, être saluées, elles sont insuffisantes pour compenser les augmentations du coût fiscal de la revalorisation de l'usufruit.

Dans ce contexte fiscal défavorable, il serait souhaitable que la fiscalité des donations soit appliquée aux réversions d'usufruit avec notamment les réductions de droit, qui leur sont propres (50 % lorsque l'âge du donateur est inférieur à 65 ans, 30 % s'il est compris entre 65 et 75 ans, aucune réduction au-delà - article 790 II du CGI) et non plus la fiscalité successorale qui ne connaît pas ces réductions. L'analyse civile de la réversibilité d'usufruit a été profondément modifiée par l'arrêt de la Chambre Civile de la Cour de Cassation du 21 octobre 1997. Jusqu'à cette date, la clause de réversion d'usufruit s'analysait en une donation de "biens à venir", également dénommée donation "à cause de mort". Logiquement, l'administration fiscale appliquait la fiscalité successorale. En 1997, la Cour de Cassation a jugé que la clause de réversibilité d'usufruit insérée dans l'acte de donation-partage s'analyse en une "donation à terme de bien présent, le droit d'usufruit du bénéficiaire lui étant définitivement acquis dès le jour de l'acte ; seul l'exercice de ce droit d'usufruit s'en trouve différé au décès du donateur". Cette analyse a été ultérieurement confirmée par deux arrêts de la même Chambre.

Malgré ce changement radical de position, l'administration fiscale n'a pas modifié sa doctrine et la pratique notariale continue à taxer la réversion d'usufruit aux droits de succession. Une telle situation non fondée au plan civil et préjudiciable au plan fiscal semble devoir être revue.

S'agissant d'une donation de biens présents et non d'une transmission par décès, la réversion d'usufruit relève, à notre avis, des droits de donation et non des droits de succession.

Le changement de régime matrimonial constitue une autre piste de réflexion pour protéger le conjoint sans alourdir la fiscalité. La transmission de l'usufruit est alors réalisée en exécution du contrat de mariage comme l'incite le législateur dans la loi de finances pour 2004 (voir ci-dessus). Ainsi, dans le cadre d'un régime communautaire, les époux peuvent stipuler une clause de partage inégal aux termes de laquelle, outre la moitié en pleine propriété de la communauté, le conjoint aurait droit à l'autre moitié en usufruit. L'usufruit est ainsi attribué au conjoint survivant au titre d'un avantage matrimonial. Il est aussi envisageable de prévoir un simple préciput en usufruit s'exerçant sur un bien déterminé. Bref, les solutions, à déterminer de manière adaptée à chaque situation en cause, ne manquent pas.

La pratique s'est beaucoup interrogée, face à des clauses de réversibilité d'usufruit déjà stipulées, sur la possibilité de transmettre les usufruits ainsi constitués, en recourant à la technique des avantages matrimoniaux dans le cadre d'un contrat de mariage. Le notariat a, semble-t-il, adopté une position qui consiste à apporter les usufruits successifs de la communauté des époux, existante ou à créer pour l'occasion, de manière à pouvoir les attribuer au conjoint survivant in fine au moyen d'un avantage matrimonial. La question de savoir si l'usufruit attribué au conjoint l'est alors au titre de la réversion d'usufruit initiale (c'est-à-dire d'une donation entre époux) ou au titre d'un avantage matrimonial n'est pas clairement tranchée dans ses implications fiscales, ce qui exige certaines précautions.

Il n'en reste pas moins que ceux qui réfléchissent à la protection de leur conjoint, que ce soit à l'occasion d'un projet de transmission patrimoniale au profit d'enfants ou sur un plan plus général d'organisation de leur succession, doivent s'interroger sur les mécanismes juridiques à utiliser. Quant aux donations déjà effectuées avec stipulation de clauses de réversibilité d'usufruit, les questions de leur maintien et d'une éventuelle substitution d'un mécanisme plus favorable doivent être posées.

Chronique parue dans la Revue Option Finance du 3 octobre 2005



Authors:

Sylvie Lerond, Avocat