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Quelques rappels utiles en matière de prix de transfert

20/04/2010

D'un côté, une jurisprudence protectrice pour les entreprises auxquelles l'administration oppose des comparables puisés dans les pratiques d'autres groupes, de l'autre, une loi qui renforce substantiellement les armes du fisc. Evolutions à méditer.


1. Le principe de la charge de la preuve

Le 11 juillet 2009, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise(1) a rendu une décision dont le dispositif aura permis de rappeler quelques principes de fond et de procédure essentiels en matière de prix de transfert, dans la continuité de deux récents arrêts du Conseil d’Etat : si la comparaison par l’administration fiscale de pratiques entre deux sociétés liées avec celles pouvant exister entre d’autres sociétés liées est recevable, elle nécessite un très fort degré de précision dans les comparables opposés.

Les faits de l’espèce sont simples : une entité française rémunère une société hollandaise capitalistiquement liée pour l’utilisation de neuf marques sur le territoire français dans le domaine des soins, des cirages et des insecticides. L’entité concessionnaire française est considérée par l’administration fiscale française comme versant à ce titre des redevances trop importantes par comparaison avec les taux pratiqués au sein d’autres groupes internationaux, c’est-à-dire entre des sociétés liées et non entre parties indépendantes. L’écart est redressé.

Le tribunal ne rejette pas la comparaison avec d’autres taux internes à un groupe. Il semble même à cet égard accepter l’idée qu’il puisse être difficile d’agir autrement pour une concession de marque.

Toutefois, la juridiction donne raison au contribuable en rappelant ce qu’implique, en termes de charge de la preuve, l’utilisation de comparables intragroupe au regard de la présomption édictée par l’article 57 du Code général des impôts. Selon l'interprétation faite de ce texte par plusieurs décisions du Conseil d’Etat(2), si l’administration démontre qu’il existe un écart entre les taux (ou prix) pratiqués entre une entreprise établie en France et une entreprise étrangère qui lui est liée, d’une part, et ceux pratiqués entre des entreprises dépourvues de liens de dépendance, d’autre part, elle peut alors invoquer la présomption de transfert anormal de bénéfices et s’en tenir là. Le contribuable pourra alors tenter de démontrer à son tour que l’écart avec les comparables de marché se justifie par les nécessités de l’exploitation, c’est-à-dire qu’il existe des contreparties au moins équivalentes à agir ainsi(3).

En revanche, si l’administration fonde son redressement sur un écart entre un taux (ou prix) pratiqué entre le contribuable et une société liée et ceux pratiqués entre deux autres sociétés liées, la charge de la preuve ne bascule pas. Le chemin n’est alors qu’à moitié parcouru puisque l’administration doit encore démontrer que l’écart s’applique à une relation identique à celle observée entre les entreprises liées utilisées comme comparables.

C’est ce qu’énonce le tribunal lorsqu’il juge insuffisant d’opposer un seul taux moyen entre entreprises liées pour des taux de redevances de marque dans un secteur donné, « sans assortir cette allégation d’autres précisions que l’identité des groupes internationaux lui ayant servi de références pour déterminer les taux ordinairement usités et ce alors même que les différents contrats de concessions prévoyaient neuf taux distincts selon les marques en cause et la nature des droits concédés (…). »

A comparer des relations intragroupe à d’autres relations intragroupe, le tribunal attendait à tout le moins une plus forte précision dans les relations comparées, pouvant porter, on peut l’imaginer, sur le niveau de notoriété des marques en question, certaines caractéristiques des contrats critiqués par rapport à ceux opposés (au premier rang desquelles l’exclusivité d’utilisation mais aussi la durée…).

Dans ce sens, le Conseil d’Etat avait donc récemment eu l’occasion de juger, à l’avantage du contribuable, qu’en l’absence de démonstration d’un écart par rapport à des pratiques de marché, le basculement de la charge de la preuve ne s’était pas opéré :

  • par l’établissement de la différence entre des taux de redevances de marques pratiqués auprès de filiales françaises et auprès de filiales étrangères d’un même groupe, alors même que des considérations objectives pouvaient le justifier (différence de notoriété de part et d’autre de la frontière par exemple) ;
  • ou par la seule application de la méthode de répartition des marges nettes, sans même que l’administration ne conteste les critiques du contribuable sur sa pertinence de principe.

Au cas présent, nous apprenons donc, grâce à un jugement désormais devenu définitif, que le basculement ne s’est pas opéré par la simple opposition de taux différents de ceux pratiqués dans le groupe dont le contribuable fait partie si les taux pratiqués entre d’autres sociétés dépendantes sont, d’une certaine manière, livrés bruts.

Nul doute qu’un tel jugement permet de dessiner peu à peu une nouvelle philosophie des prix de transfert, pour le moins contraire à la définition de la comparabilité du comité fiscal de l’OCDE en ce qu’il requiert des pratiques de marché.

2. Les nouvelles obligations déclaratives en matière de prix de transfert

Si la jurisprudence affirme avec constance que l’administration fiscale doit apporter la preuve du caractère comparable des transactions invoquées pour servir de base à un redressement, il devient de plus en plus difficile pour le contribuable d’adopter une attitude attentiste et de se contenter de réfuter les tentatives de l’administration fiscale d’apporter la preuve d’un transfert de bénéfices.

Dès 1996, l’article L13 B du Livre des Procédures Fiscales permettait à l’administration de réclamer au contribuable des informations détaillées sur sa politique de prix de transfert lorsque le vérificateur avait réuni suffisamment d’éléments pour présumer qu’un transfert de bénéfices à l’étranger avait été opéré ; mais une réponse incomplète n’était sanctionnée que d’une amende forfaitaire de 7500 € par année vérifiée sans que la charge de la preuve soit renversée.

La loi de finances rectificative pour 2009 du 30 décembre 2009 a instauré une véritable obligation documentaire, sanctionnée par une pénalité proportionnelle pouvant aller jusqu’à 5 % du redressement appliqué par le service, codifiée à l’article L13AA du Livre des Procédures Fiscales. Cette obligation est applicable aux entreprises ayant un chiffre d’affaires annuel ou un actif brut supérieur à 400 M€, ou qui détiennent ou sont détenues par des entreprises remplissant ces conditions ; en conséquence, une société française qui serait considérée comme une PME, mais qui serait détenue par une société étrangère remplissant les conditions ci-dessus serait soumise à ces obligations documentaires. Il faudra alors pouvoir communiquer à l’administration dans le cadre du contrôle, dans un délai de trente jours, des informations générales sur le groupe (activité, structures juridiques impliquées dans les transactions intragroupe, analyse fonctionnelle des entités parties aux transactions avec la société française contrôlée, liste des actifs incorporels détenus, et description générale de la politique de prix de transfert du groupe), mais aussi des informations spécifiques sur l’entreprise contrôlée : description de l’activité déployée et des transactions réalisées avec le groupe (y compris le montant des flux), liste des accords de répartition des coûts et des accords préalables sur les prix affectant les résultats de l’entreprise vérifiée, présentation de l’analyse fonctionnelle et des méthodes de prix de transfert en découlant et analyse des éléments de comparaison qui sous-tendent la détermination des prix de transfert.

Ainsi l’administration fiscale devrait être plus à même d’apporter les éléments de comparaison du type de ceux réclamés par le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, en constituant des bases de données à partir des documentations obtenues auprès de groupes multinationaux et ce même si, une fois encore, les praticiens restent circonspects quant au caractère acceptable de tels comparables.

En pratique, la nouvelle règle est effective pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2010, ce qui signifie que les entreprises ayant un exercice calendaire devront disposer au plus tôt d’une documentation à partir d’avril 2011. Cela laisse toute l’année 2010 pour s’assurer que les transactions intragroupe répondent effectivement au principe de pleine concurrence et pourront être documentées en toute quiétude dans le courant de l’année 2011…


(1) Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, deux décisions liées, Sté Sara Lee Southern Europe et Sté SNC Kiwi Holding c/DVNI n° 0600230-5 et 0600231-5.
(2) Conseil d’Etat 7 novembre 2005 n° 266436 et 266438, 3e et 8e s.-s., min. c/Sté Cap Gémini et CAA Paris 25 juin 2008 n° 06-2841, 2e ch., Sté Novartis Groupe France SA.
(3) Notamment, doc. adm. 4 A-1212 n° 1 et 2, 9 mars 2001.


par Stéphane Gelin, avocat associé
Dimitri Leboff, avocat

Article paru dans la revue Option Finance du 15 mars 2010

Auteurs

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Stéphane Gelin
Associé
Paris
Dimitri Leboff