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Taxe régionale italienne sur les activités de productions : son sort est entre les mains de la CJCE

15/06/2006

La Cour de Justice va bientôt se prononcer sur la compatibilité avec le droit communautaire, en l'occurrence l'article 33 § 1 de la 6ème Directive TVA 1, d'une taxe italienne, généralement appelée IRAP (imposition régionale sur les activités productives) dont les caractéristiques ne sont pas sans rappeler celles de la taxe professionnelle française dans le cas où celle-ci est plafonnée ou établie sur une base minimale. Non seulement la réponse de principe sera importante (1) mais aussi en cas de déclaration d'incompatibilité, la décision que prendra la Cour sur l'éventuelle limitation dans le temps des effets de son arrêt (2).

1. A deux reprises, car il y a eu dans cette affaire une réouverture de la procédure orale, les Avocats généraux, Monsieur JACOBS d'abord et Madame STIX-HACKL ensuite, se sont prononcés pour l'incompatibilité avec l'article 33 § 1 précité de la taxe italienne estimant qu'elle réunissait les quatre conditions exigées par la jurisprudence de la CJCE

Le tout sera de savoir si la Cour adoptera une approche large (qui était celle de son arrêt DANSK-DENKAVIT (C-200/90, arrêt du 31 mars 1992, Rec. p. I-2217), le seul dans lequel la Cour a déclaré une taxe nationale incompatible avec l'article 33 § 1 de la 6ème Directive, en décidant que les différences qui séparent l'IRAP de la TVA ne l'empêchent pas d'en avoir les caractéristiques essentielles ou au contraire une approche plus stricte (qu'illustre la jurisprudence antérieure) en estimant que les différences entre les deux systèmes de taxation sont telles que l'IRAP n'est pas suffisamment comparable à la TVA pour la rendre incompatible avec l'article 33.

Reprenons brièvement les quatre conditions précitées :

1.1 Il n'est pas douteux que, comme la TVA, l'IRAP s'applique de façon générale aux livraisons de biens et prestations de services. Elle n'est toutefois pas calculée sur des opérations individuelles mais cette différence n'a que peu de conséquences en pratique puisque le solde entre les entrées totales et les sorties totales sur une période fiscale donnée devrait être égal à la somme des soldes entre les entrées et les sorties individuelles sur la même période. Le résultat économique devrait donc être le même.

1.2 L'IRAP est proportionnelle au prix de vente aux consommateurs mais là encore, alors que la TVA est une proportion du prix facturé pour chaque livraison ou prestation, la nature globale de l'IRAP permet aux opérateurs économiques de moduler ou même de supprimer la répercussion de la charge de la taxe sur leurs clients. Cette différence ne change en rien l'interférence avec le système de la TVA mais la Cour pourrait aussi considérer que l'absence d'une stricte proportionnalité ou l'utilisation d'une méthode de calcul qui ne permet pas de déterminer le montant exact de la taxe répercutée sur le consommateur final sont des caractéristiques suffisamment distinctives de la TVA pour éviter l'incompatibilité avec l'article 33.

1.3 Si, selon l'ordonnance de renvoi du juge italien, l'IRAP est perçue à chaque stade du processus économique, il faut toutefois souligner qu'elle n'est perçue que sur la base de chiffres annuels. Là encore, selon les Avocats généraux, cela n'enlève rien au fait que l'IRAP a comme la TVA la caractéristique essentielle qu'aucun stade de la chaîne des livraisons ou prestations n'échappe à la taxe.

1.4 Comme on le sait, la TVA est imposée sur la valeur ajoutée à chaque stade, le système permettant la déduction de la taxe payée sur la valeur ajoutée en amont.

De nouveau, l'IRAP, si elle respecte la philosophie de ce système, n'est pas calculée comme la TVA en déduisant la taxe en amont de la taxe en aval mais en déduisant la valeur en amont de la valeur en aval. Cela n'empêche cependant pas que comme la TVA, l'IRAP ne se calcule pas sur une valeur cumulée, ce qui la distingue, comme la TVA, des systèmes cumulatifs à cascade.

De nouveau, la Cour de Justice pourrait cependant considérer que les éléments inclus dans l'assiette d'imposition de l'IRAP sont suffisamment différents de ceux qui sont pertinents pour la TVA pour que l'IRAP n'ait pas toutes les caractéristiques essentielles de cette dernière.

2. Ce qui suit n'a évidemment d'importance que si la Cour de Justice estime que l'IRAP a les caractéristiques essentielles de la TVA et est donc incompatible avec l'article 33 § 1 de la 6ème Directive TVA.

Dans cette hypothèse, les deux Avocats généraux se prononcent pour une limitation dans le temps des effets de l'arrêt de la Cour, car, selon eux, les deux conditions traditionnellement exigées par la jurisprudence de la Cour se trouvent réunies : un risque de graves répercussions économiques (la remise en cause de tout le système de financement des régions en Italie et les montants considérables que pourraient représenter les demandes de remboursement) et la bonne foi de l'Etat-membre qui avait toutes les raisons de croire que son comportement était parfaitement légal (ce qui résulte notamment ici du fait que la Commission avait explicitement fait savoir à l'Italie qui lui avait notifié son projet de législation, que cette dernière était compatible avec le droit communautaire).

Resteraient alors deux problèmes à trancher : le choix de la date et l'étendue de l'exception réservée à ceux qui, avant cette date, ont introduit une réclamation auprès de l'administration fiscale italienne ou des tribunaux italiens.
Madame l'Avocat général STIX-HACKL reprend à ce sujet l'idée de Monsieur l'Avocat général JACOBS en proposant, en raison « des circonstances particulières de l'affaire », de fixer dans le futur la date à compter de laquelle l'arrêt devrait sortir ses effets. En effet, selon l'Avocat général, « on ne peut raisonnablement attendre des autorités italiennes qu'elles modifient d'un jour à l'autre leur système tout entier de financement des dépenses régionales ». Par contre, « il importe que la date ne soit pas fixée à un moment trop éloigné dans l'avenir », ce qui incite l'Avocat général STIX-HACKL à proposer que la décision de la Cour de Justice ne puisse éventuellement être invoquée qu'à l'égard des taxes perçues au titre des exercices fiscaux postérieurs à l'exercice fiscal prenant fin le 31 décembre 2006.
L'Avocat général Madame STIX-HACKL a été sensible à la fois au fait que par définition l'interprétation des dispositions communautaires en cause est encore incertaine jusqu'à la date de l'arrêt (ce qui plaiderait pour faire bénéficier de la rétroactivité toutes celles et tous ceux qui ont introduit avant la date de l'arrêt ou avant le 31 décembre 2006 une action en justice ou une réclamation équivalente) mais aussi à la probabilité qu'étant donné la durée de la procédure et sa large médiatisation, beaucoup de demandes de remboursement de l'IRAP aient été purement spéculatives « introduites sans grands efforts ni dépenses en vue de profiter de l'arrêt à venir » (§ 167).

Elle ajoute qu'il y a maintenant en Italie une impression largement répandue et en tout cas un espoir que la Cour soit susceptible de rendre un arrêt dont il résultera que l'IRAP doit être considérée comme incompatible avec le droit communautaire. L'Avocat général reconnaît qu'établir une date à partir de laquelle cette impression s'est concrétisée ne peut se faire sans un certain degré d'arbitraire mais elle estime que la moins arbitraire et la plus objective à cet égard est probablement la date de la présentation de ses conclusions par l'Avocat général JACOBS le 17 mars 2005 (§ 172). Seuls donc ceux qui auraient introduit une procédure avant cette date pourraient bénéficier de la « contre-exception », l'Avocat général espérant ainsi écarter les demandes qui n'ont été introduites que lorsque la probabilité de succès a été perçue comme plus grande.

S'il tranche dans le sens des conclusions, cet arrêt sera également d'importance pour d'autres pays.

La France pourrait être concernée au travers des mécanismes, qui ont tendance à se généraliser, par lesquels elle limite la taxe professionnelle de certaines entreprises en les allégeant d'une fraction de leurs cotisations excédant un certain pourcentage de leur valeur ajoutée et rehausse celle de certaines autres en les soumettant à une cotisation minimale assise sur la valeur ajoutée.

Il semblerait que d'autres Etats-membres appliquent des taxes qui auraient de nombreuses caractéristiques communes avec l'IRAP.

Si tel est le cas, il sera certes difficile d'échapper à un arrêt allant dans le même sens mais aussi de plaider la bonne foi puisque l'interprétation de la disposition communautaire aura été fixée dans l'arrêt IRAP et que, dès son prononcé au plus tard, les autres Etats-membres auront dû penser à mettre sur pied un autre système. On peut toutefois plaider que la Cour devrait là aussi limiter les effets dans le temps de son arrêt mais à la date de l'arrêt IRAP, car c'est à partir de cette date que les Etats ne pouvaient plus ignorer le risque d'illégalité de leurs dispositions nationales et que les demandes de remboursement des contribuables sont devenues spéculatives.

1 Selon cet article, la 6ème Directive TVA ne fait pas obstacle au maintien ou à l'introduction par un Etat-membre « ... de tous impôts, droits et taxes n'ayant pas le caractère de taxe sur le chiffre d'affaires, à condition toutefois que ces impôts, droits et taxes ne donnent pas lieu dans les échanges entre Etats-membres à des formalités liées au passage d'une frontière ».
Article paru dans la revue Option Finance du 9 mai 2006


Authors:

Melchior Wathelet, Of Counsel