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TVA et frais de cession de titres de participation

30/11/2010

Retour sur l'arrêt AB SKF de la CJUE(1)

Le juge administratif français a été saisi de nombreuses actions contentieuses visant à faire reconnaître que les honoraires supportés dans le cadre de la cession de titres de participation ouvrent droit à déduction de la TVA. L’issue dépend désormais de l'analyse des réponses qu'a données la CJUE aux questions préjudicielles dont elle a été saisie dans un litige opposant l'administration fiscale suédoise à la société AB SKF.

Dans cette affaire, la CJUE s'est prononcée en faveur d'une très large détaxation des dépenses en cause(2). Mais l'administration fiscale française demeure très réticente à accorder un quelconque droit à déduction et les cours administratives d'appel ont des avis divergents.

I. Rappel des faits de l'affaire AB SKF

La société holding AB SKF fournit, contre rémunération, des prestations de services à ses filiales. Dans le cadre d'une restructuration de son groupe industriel, elle cède 100% de sa participation dans une filiale et 26,5 % de sa participation dans une autre filiale (détenue auparavant à 100 %).

A ce titre, elle a recours à des services d'évaluation des titres, d'assistance aux négociations et de conseil juridique pour la rédaction des contrats.

Le fisc suédois s’est opposé à la déductibilité de la TVA acquittée sur ces prestations.

Pour trancher le litige, le juge suédois a posé à la CJUE plusieurs questions préjudicielles visant en substance à déterminer:

  • si la cession des participations constitue ou non une opération placée dans le champ d'application de la TVA ;
  • dans l‘affirmative, si la cession des actions est exonérée de TVA ;
  • enfin si, indépendamment de la réponse aux deux questions précédentes, le droit à déduction de la TVA est ouvert pour les dépenses rattachables à cette cession, comme c'est le cas des frais généraux.

II. Réponses de la CJUE

La CJUE estime que la cession des actions des filiales auxquelles la société AB SKF a fourni des prestations de services soumises à la TVA constitue une activité économique relevant du champ d'application de la directive TVA et est exonérée de cette taxe.

Elle considère en outre qu'un droit à déduction de la TVA grevant les prestations effectuées pour les besoins de ces cessions exonérées est ouvert à condition que le coût de ces prestations ne soit pas incorporé dans le prix de cession des titres et qu’un lien direct et immédiat existe entre ces prestations et l'ensemble des activités économiques de la société AB SKF.

Pour la Cour, le droit à déduction repose sur le principe de neutralité fiscale qui interdit de traiter différemment des prestations de services semblables ou des opérateurs économiques effectuant les mêmes opérations.

La Cour considère plus particulièrement qu'admettre le droit à déduction pour des frais de conseil se rapportant à une cession située hors du champ d’application de la TVA, ce qu’elle a déjà fait à de maintes reprises en jugeant qu’il s’agissait de frais généraux, et refuser ce droit pour des frais de conseil se rapportant à une cession d'actions située dans le champ mais exonérée de TVA en raison de l'immixtion dans la gestion de la société dont les actions sont cédées aboutirait à un traitement fiscal différent d’opérations objectivement similaires, en violation du principe de neutralité fiscale.

En résumé, quel que soit le régime de la cession des titres de participations (hors champ ou dans le champ mais exonérée de TVA), un droit à déduction de la TVA grevant les dépenses effectuées pour les besoins de cette cession est ouvert lorsque ces dépenses constituent des frais généraux. Tel est le cas, pour une cession exonérée, lorsque les dépenses ne sont pas incorporées dans le prix de cession mais sont imputables aux activités économiques de l’assujetti.

III. La position de l'administration et de la cour de Paris

L'administration fiscale française considère que la TVA d’amont n'est pas déductible au motif que les dépenses entretiennent un lien direct et immédiat avec une opération n'ouvrant pas droit à déduction. Peu importe, à cet égard, que la cession soit placée hors du champ de la TVA ou dans le champ mais exonérée de cette taxe (BOI 3 A-1-06).

Suite à l'arrêt AB SKF, cette position a été partagée par la CAA de Paris dans deux décisions du décembre 2009 (Sté AFE n° 06-3320 et Sté Faurecia n° 07-1455) refusant la déduction.

Dans son arrêt AFE, la CAA de Paris juge que « lorsqu'elles présentent un lien direct et immédiat [avec la vente], les dépenses du cédant sont susceptibles d'être incorporées dans le prix de ces actions, ce qui fait obstacle à la déduction de la TVA d'amont ».

La décision AFE laisse craindre que les dépenses en cause ne puissent jamais être détaxées. Néanmoins l'arrêt FAURECIA, tout en reprenant le considérant de principe de l'arrêt AFE, n'écarte pas totalement la possibilité d'un lien direct et immédiat entre les prestations de conseil et l'ensemble des activités économiques de l'assujetti sous réserve qu'il soit possible d’établir que les coûts des prestations font partie des frais généraux.

IV. Notre analyse

La solution donnée par la CJUE à propos de dépenses exposées par un assujetti pour les besoins de la cession de titres de participation repose sur le raisonnement suivant.

Lorsque la cession des titres se situe hors du champ de la TVA (absence d'immixtion dans la gestion de la société dont les titres sont cédés), il est impossible d'opérer un « fléchage » entre les services acquis en amont et une opération réalisée en aval se situant dans le champ de la TVA. Un droit à déduction peut cependant être reconnu si les dépenses font partie des frais généraux de l'assujetti, c'est-à-dire si elles présentent un lien direct et immédiat avec l'ensemble de son activité économique.

Lorsque la cession des titres se situe dans le champ de la TVA (immixtion dans la gestion de la société dont les titres sont cédés), il est possible d'opérer un « fléchage » entre les services acquis en amont et une opération en aval exonérée de TVA si les coûts des services font partie des éléments constitutifs du prix de cession des actions. Le droit à déduction est alors fermé(3). En revanche, ce « fléchage » ne peut pas être effectué lorsque les coûts des services ne sont pas incorporés dans le prix de vente des actions. Un droit à déduction peut cependant être reconnu si les dépenses font partie des frais généraux de l'assujetti, c'est-à-dire si elles présentent un lien direct et immédiat avec l'ensemble de son activité économique.

La notion de « frais généraux » devrait prévaloir dans la très grande majorité des cas. En effet, le prix de vente des titres est, en règle générale, déterminé en retenant la valeur économique de la société dont les titres sont cédés, laquelle ne dépend pas des coûts exposés à l'occasion de la cession. En outre, de nombreux actes de cession prévoient que les frais en cause sont à la charge du vendeur, ou encore que chaque partie à la vente supporte les frais qu'elle a engagés, ce qui exclut l'incorporation des frais du vendeur dans le prix de cession des titres.

La qualification de frais généraux a d'ores et déjà été retenue par le Conseil d'Etat à propos des frais de courtage acquittés par une société industrielle et commerciale à l'occasion de la cession de titres de placement se situant hors du champ de la TVA et dont la recette a été consacrée au désendettement de l'entreprise (CE 10-6-2010 n° 292389 SA Siva).

Cette décision est conforme à la position exprimée par la CJUE dans l'affaire AB SKF. En présence d'une cession de titres ne relevant pas du champ de la TVA, le Conseil d'Etat a recherché si les dépenses exposées devaient être regardées comme des frais généraux présentant un lien direct et immédiat avec l'ensemble de l'activité économique de l'assujetti.

On constate que, dans cette situation, le Conseil d'Etat n'applique pas la notion de « lien direct et immédiat » entre la dépense en amont et une opération en aval se situant hors du champ d'application de la TVA : il estime que les frais généraux sont inhérents à l'ensemble de l'activité économique de l'entreprise. Après avoir exposé les circonstances dans lesquelles la cession des titres a été effectuée, le Conseil d'Etat indique en effet, dans son dernier considérant, que « les frais de courtage acquittés par la société à l'occasion de ces opérations faisaient partie de ses frais généraux et étaient, en tant que tels, des éléments constitutifs du prix des produits qu'elle fabriquait, [...] qu'ils entretenaient ainsi un lien direct et immédiat avec l'ensemble de l'activité économique taxable de la société [...] ».

Cette qualification de frais généraux a été reprise par la CAA de Versailles dans deux affaires rendues le 8 juillet 2010 (n° 08-970 Ets Rémy Martin et Cie et n° 08-985 SA Cointreau) à propos de frais de conseils supportés par deux sociétés commerciales à l'occasion de la cession et de l'apport de titres de participation se situant hors champ d'application de la TVA réalisés en vue de constituer une alliance destinée à préserver la compétitivité du groupe.

La route de la déduction tracée par la CJUE semble donc libre de tout obstacle...


(1) Cet article est une version condensée de celui que l'auteur a publié dans le Feuillet Rapide 40/10 des Editions Francis Lefebvre, p.13

(2) Aff. C-29/08 du 29 octobre 2009

(3) Sauf si les titres sont cédés à une personne établie en dehors de l'UE (Directive TVA art. 169 c, CGI, art. 271 V b)

Ariane Beetschen, avocat associé

Article paru dans la revue Option Finance du 18 octobre 2010

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