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Une nouvelle affaire de famille : que facturer à ses filiales ?

14/10/2010

Une décision surprenante de la Cour administrative de Douai estime qu'une société holding qui fournit une prestation informatique à ses filiales ne doit pas assumer seule les frais de refonte informatique, lesquels doivent être répercutés sur ses filles.

1. La société mère fournit à ses filiales le logiciel qui est la clé de leur réussite commerciale

Un groupe spécialisé dans la vente de biens de grande consommation aux entreprises a essentiellement fondé sa réussite économique sur l'excellence de ses outils informatiques, qui permettent à chacune de ses filiales de répondre, en un temps record, aux commandes de ses clients.

Le groupe est structuré ainsi : la société holding assure les prestations informatiques liées au traitement des commandes faites aux filiales, service pour lequel elle est évidemment rémunérée, sur la base de stipulations contractuelles extrêmement précises. Les relations entre la société holding et les filiales sont ainsi celles qui s'établissent entre un prestataire de services informatiques et ses clients.

Tout se passe donc pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu'au jour où la société holding décide qu'il est temps pour elle de moderniser son logiciel de traitement de commandes. D'une part, elle y est contrainte par les événements, puisque le passage à l'an 2000 et le passage déjà annoncé à l'euro obligent à un travail de "maintenance" du système. D'autre part, on l'a vu, la performance du système informatique est une des clés du succès du groupe qui se doit donc d'être toujours à la pointe en matière informatique pour continuer à se démarquer profondément des concurrents grâce à un outil informatique spécifique permettant d'offrir à la clientèle une prestation de premier ordre. Une refonte complète est donc programmée, qui va s'étendre sur les années 1997, 1998 et 1999.

Cette décision "de bon père de famille" va malheureusement entraîner pour la société holding un redressement majeur, que viennent confirmer le Tribunal administratif de Lille puis la Cour administrative de Douai (arrêt du 8 octobre 2009 n°07-01406). Que s'est-il passé ?

2. Elle décide de le moderniser à ses frais

En 1997, la société holding décide, comme on l'a dit, de moderniser son outil informatique. Elle supporte à cet effet de lourds frais de recherche, qui sont déductibles, et qui la rendent, sur les exercices en cause, déficitaire. Pendant ce temps, les filiales continuent de bénéficier exclusivement du système informatique ancien, qui leur rend les mêmes prestations qu'avant, lesquelles leur sont facturées pour un montant inchangé, et ce, en application des dispositions contractuelles d'origine. Cette situation, qui nous semble assez saine, est pourtant regardée par l'administration comme caractérisant un acte anormal de gestion de la part de la société mère. Les vérificateurs appliquent en effet le raisonnement suivant : dès lors que le nouveau système informatique, une fois mis au point, aura vocation à être utilisé par l'ensemble des filiales du groupe, celles-ci auraient dû prendre en charge les frais de refonte informatique. L'absence de facturation de ces coûts par la société holding entraînant une facturation de services pour un montant devenu inférieur à leur coût de revient, la société holding est redressée à hauteur de la prétendue renonciation à recettes correspondante.

Cette décision laisse perplexe. Comment peut-on décider que les coûts d’investissement liés à la mise en place d’un nouveau logiciel supportés par un prestataire juridiquement indépendant doivent être immédiatement répercutés sur les clients alors même que la nouvelle prestation informatique n’est pas encore rendue par le prestataire (mise en service du nouveau logiciel sur un exercice postérieur aux années contrôlées) ?

Nous touchons là du doigt la complexité des liens qui unissent au cas particulier la société holding à ses filiales.

3. A-t-elle eu raison ? Discussion

La société holding agit d'abord comme un classique prestataire de services informatiques indépendant. Or, excepté les coûts de refonte, les prestations qu'elle rend sont facturées pour un prix normal, non remis en cause par l’administration.

Mais la société est aussi holding, et trouve un intérêt de holding à ce que ses filiales bénéficient du meilleur service informatique possible, leur permettant d'améliorer leur rentabilité et ainsi leurs capacités de distribution. Cette situation se retourne en définitive contre elle. Le juge y voit une bonne raison pour décider que le nouveau système informatique "in fine bénéficie à ses filiales, ainsi qu'elle (la société holding) le reconnaît, puisqu'il est destiné à améliorer leur gestion commerciale et leur compétitivité". Le juge refuse manifestement de prendre en considération les deux facettes de la situation de la société holding : son rôle de prestataire indépendant d’une part, lui conférant à l'évidence un intérêt marqué à supporter seule l’investissement destiné à améliorer sa prestation vis-à-vis de ses clients en vue de préserver et même renforcer son propre chiffre d’affaires, et sa position de holding d’autre part, lui assurant en tout état de cause le bénéfice indirect de toute initiative prise par elle en vue d'accroître la rentabilité de ses filiales.

Soulignons que l'amélioration d'un système informatique décidée par un prestataire indépendant a toujours au moins un double effet. Elle permet de préserver l’avance concurrentielle et consécutivement de conserver la clientèle et le chiffre d’affaires y attachés. Elle permet aussi, en général, de facturer davantage la prestation rendue, contrepartie naturelle, pour les clients, d'un service plus efficace. Si tel n'était pas le cas, pourquoi les clients accepteraient-ils un nouvel outil informatique plus onéreux ?

Justement, plaçons-nous maintenant du côté des clients, ce que l'administration et le juge se gardent bien de faire. On l'a vu, au cours des périodes vérifiées, les filiales continuent d'utiliser exclusivement le système ancien qui leur est facturé conformément au contrat qu'elles ont signé avec leur prestataire-holding. Or jamais les filiales ne se sont engagées à prendre à leur charge les frais d'amélioration futurs des logiciels utilisés, et elles n'ont pas non plus demandé la refonte du système informatique. Auraient-elles accepté de participer financièrement à ces travaux, qu'il aurait fallu trouver de sérieux arguments pour étayer une telle décision : l'assurance de disposer en "avant première" d'un logiciel, une réduction du coût des prestations assurées au moyen du nouvel outil informatique, ou un pourcentage sur les bénéfices futurs engrangés grâce au nouveau logiciel, toutes contreparties dont on ne retrouve pas trace dans l'affaire qui nous occupe.

Sans compter que la recherche n'aboutit pas toujours ! En la matière, seule la dépense est certaine…Quelle aurait été la réaction de l'administration face à une filiale qui aurait pris à sa charge et en pure perte des dépenses engagées par une société tierce, sur lesquelles elle n'aurait eu aucun contrôle ?

Ainsi, si l'administration voit un acte anormal de gestion chez la mère qui s'abstient de répercuter des coûts d'une refonte informatique dont l'aboutissement est encore incertain, nous verrions de notre côté un acte anormal de gestion pour la filiale à accepter de payer des coûts qu'elle n'a pas engagés ni forcément souhaités.

4. Quelle sera l’issue de la discussion ?

L'arrêt de la CAA de Douai a été porté devant le Conseil d'Etat. Ce dernier n'est pas juge du fond, et seule une erreur de droit permettra la cassation. Il nous semble que la Cour, en s'abstenant de répondre par un considérant motivé aux questions de fond et notamment au point principal de savoir si les coûts de refonte informatique pouvaient légitimement être refacturés aux filiales sur la période vérifiée alors que les nouvelles prestations informatiques n'avaient pas encore été délivrées aux intéressées, et, par une inversion anormale de la charge de la preuve, en estimant qu'il incombait à la société holding d'établir qu'elle n'a pas commis un acte anormal de gestion en renonçant à cette refacturation, offre au contribuable l'occasion de faire juger de nouveau l'affaire au fond. Nous avons donc bon espoir que le bon sens triomphe.

Emmanuelle Féna-Lagueny, Vanessa Mougeolle, avocats

Article paru dans la revue Option Finance du 13 septembre 2010

Auteurs

Portrait deFena-Lagueny-Emmanuelle
Emmanuelle Fena-Lagueny
Counsel
Paris
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Vanessa Mougeolle
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Paris