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Une nouvelle obligation imposée au législateur fiscal : le respect des droits garantis par la citoyenneté européenne

12/03/2007

Issu du traité de Maastricht, l'article 17 du traité CE institue la citoyenneté européenne. L'article 18 dispose pour sa part que « tout citoyen de l'Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres ». Cet article, dont la Cour de justice des Communautés européennes a déjà eu l'occasion de juger qu'il est d'effet direct, c'est-à-dire qu'il peut être invoqué devant les administrations et juridictions nationales, peut être invoqué en matière de fiscalité directe, par un citoyen de l'Union ayant usé de son droit de circuler librement, lorsque le revenu imposable n'est pas en relation directe avec les principes de libre circulation à caractère économique (libre circulation des personnes, des marchandises, des capitaux et libre prestation des services). En effet, « une réglementation nationale désavantageant certains ressortissants nationaux du seul fait qu'ils ont exercé leur liberté de circuler et de séjourner dans un autre Etat membre engendrerait (...) une inégalité de traitement contraire aux principes qui sous-tendent le statut de citoyen de l'Union, à savoir la garantie d'un même traitement juridique dans l'exercice de sa liberté de circuler » (CJCE, 09.11.06, Turpeinen, C-520/04, point 22). 

C'est ce que vient de juger la CJCE dans un litige opposant Mme Turpeinen, de nationalité finlandaise, à l'administration fiscale finlandaise. 

Mme Turpeinen exerçait dans le secteur public finlandais. En 1999, elle a pris sa retraite et est allée s'installer en Espagne. En application de la convention fiscale, la pension de retraite perçue par Mme Turpeinen est imposable en Finlande. Or, la législation finlandaise frappe le revenu en cause d'un prélèvement à la source fixé forfaitairement à 35 %, alors que, si elle était résidente fiscale finlandaise, Mme Turpeinen serait imposée au taux moyen de 28,5 %. 

Mme Turpeinen se plaint de la discrimination dont elle fait ainsi l'objet. Après avoir rappelé que, si les non-résidents et les résidents, qui ne sont pas dans une situation comparable, peuvent faire l'objet d'un traitement différent, c'est à la condition que cette différence soit objectivement justifiée - ce qui n'est pas le cas en l'espèce - et constaté que l'article 39, relatif à la libre circulation des travailleurs, n'est pas applicable en l'espèce, dès lors que le contribuable a cessé son activité professionnelle, la CJCE donne gain de cause à Mme Turpeinen directement sur le fondement de l'article 18 du traité en jugeant que cet article « s'oppose à une réglementation nationale selon laquelle l'impôt sur le revenu relatif à la pension de retraite versée par une institution de l'Etat membre concerné à une personne résidant dans un autre Etat membre dépasse (...) l'impôt qui serait dû dans l'hypothèse où cette personne résiderait dans ce premier Etat membre (...) ». L'article 18 du traité CE, relatif à la citoyenneté de l'Union, permet aux non-résidents établis dans un Etat membre autre que l'Etat d'imposition de réclamer l'égalité de traitement fiscal chaque fois que le revenu imposable n'est pas constitué par un revenu d'activité au sens strict, comme c'est le cas d'une pension de retraite. 

L'apport principal d'une telle solution réside dans le fait que, alors que traditionnellement le principe communautaire de non-discrimination est défini comme l'interdiction faite aux Etats membres de réserver à leurs nationaux un traitement plus favorable que celui qu'ils consentent aux non-nationaux, le test de la non-discrimination s'effectue ici non pas par la comparaison entre nationaux et non-nationaux mais directement par la comparaison de la situation entre deux nationaux, le principe posé étant que le franchissement de frontière opéré par un national ne peut avoir pour effet de placer celui-ci dans une situation plus défavorable que celle réservée aux nationaux qui, au contraire, « sont restés au pays ». 

La novation ainsi opérée permet ainsi à un national de critiquer directement sa propre législation au regard du principe de non-discrimination. Cette novation est d'importance puisqu'habituellement c'est la législation étrangère du pays d'accueil qui est soumise à un tel test. A terme, une telle novation pourrait peut-être conduire à la remise en cause, au moins dans certaines circonstances, de la discrimination dite « à rebours », c'est-à-dire de la discrimination faite par un Etat membre à l'égard de ses propres nationaux, jusqu'ici tolérée.

Article paru dans la revue Option Finance du 18 décembre 2006

Authors:
Bernard Geneste, Avocat Associé