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Condamnation de l’absorbante pour pratiques restrictives de concurrence commises par l’absorbée

Continuité économique et fonctionnelle de l’entreprise

01/01/2020

Le concept de « continuité économique et fonctionnelle de l’entreprise » qui prévaut en droit de la concurrence ne contrevient pas au principe de personnalité des peines, garanti par la Convention européenne des droits de l’homme : une société absorbante peut donc être condamnée, sur le fondement de la continuité économique, à une amende civile pour des pratiques restrictives de concurrence commises par la société absorbée avant la fusion. C’est ce que vient de juger en substance la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) (Arrêt du 24 octobre 2019 n° 37858/14).

Ainsi, après le Conseil constitutionnel en 20161, c’est au tour de la CEDH de confirmer la solution dégagée par la Cour de cassation, dans un arrêt 21 janvier 2014 (n° 12-29166), selon laquelle une amende civile peut être prononcée pour pratiques restrictives de concurrence, sans qu’il soit porté atteinte au principe de personnalité des peines, à l’encontre de la personne morale qui n’exploitait pas l’entreprise au moment de la commission des faits mais à laquelle cette entreprise a été transmise à la suite d’une fusion-absorption.

La CEDH est arrivée à la même conclusion au terme d’une analyse empruntant très largement aux arguments des deux institutions françaises mais aussi à ceux que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a développés en matière de pratiques anticoncurrentielles. Pour la CJUE, c’est en effet la notion d’entreprise et non celle de personne morale qui identifie l’auteur d’une infraction au droit de la concurrence ; elle applique en conséquence le critère de la continuité économique de l’entreprise lorsque l’entité ayant commis l’infraction cesse d’exister après la commission de celle-ci (arrêt du 24 octobre 2009, aff. C-125/07 P).

Pour estimer, elle aussi, que l’« approche fondée sur la continuité économique de l’entreprise, qui vise à prendre en compte la spécificité de la situation générée par la fusion-absorption, ne contrevient pas au principe de la personnalité des peines garanti par la Convention », la CEDH s’est appuyée sur le raisonnement suivant :

  •  l’amende civile encourue pour pratiques restrictives de concurrence visées par l’article L. 442-6 du Code de commerce (aujourd’hui art. L. 442-1 et s.) a la nature d’une sanction pécuniaire soumise au principe de personnalité des peines ( art. 6 de la Convention EDH) ;
  • le principe français équivalent à valeur constitutionnelle selon lequel « nul n’est punissable que de son propre fait » vaut pour les personnes morales comme pour les personnes physiques ;en dehors du droit pénal stricto sensu, ce principe peut faire l’objet d’adaptations « justifiées par la nature de la sanction et par l’objet qu’elle poursuit » et « proportionnées à cet objet » ;
  • les dispositions de l’article L. 442-6 du Code de commerce se réfèrent à des activités économiques, quelles que soient les formes juridiques sous lesquelles elles s’exercent ;
  • les amendes civiles prévues par ce texte ont pour objectif, afin de préserver l’ordre public économique, de sanctionner les pratiques restrictives de concurrence commises dans l’exercice de ces activés économiques et l’absorption de la société auteur des pratiques litigieuses ne met pas fin aux dites activités qui se poursuivent au sein de la société absorbante à laquelle elles sont transférées. Du fait de cette continuité économique, la société absorbée n’est pas véritablement « autrui » à l’égard de la société absorbante. 

La CEDH adopte également l’argument éprouvé selon lequel une mise en œuvre sans nuance du principe de personnalité des peines pourrait rendre vaine la responsabilité économique des personnes morales, qui pourraient échapper à toute condamnation pécuniaire en matière économique par le biais d’opérations telles que la fusion-absorption entraînant dissolution sans liquidation avec transmission universelle du patrimoine. Et d’illustrer le propos en relevant que précisément, en l’espèce, la décision de procéder à une fusion-absorption avait été prise par la société absorbante condamnée alors qu’une action du ministre de l’Economie était déjà engagée à l’encontre de la société absorbante à la suite de contrôles de la DGCCRF.

La chose est désormais entendue : en droit de la concurrence, procéder à une restructuration entraînant transmission universelle du patrimoine n’efface pas la responsabilité économique de l’entreprise auteur de l’infraction : cette responsabilité se retrouve entière sur la tête de l’entité juridique qui recueille l’entreprise. 

Cette spécificité du droit de la concurrence mérite d’autant plus d’attention que la CJUE a récemment jugé que le concept de continuité économique s’applique aussi dans le cadre des actions privées en réparation de dommages concurrentiels (CJUE 14 mars 2019, aff. C-724/17).


Actualité du droit de la concurrence : 

Cet article a été publié dans notre Lettre Concurrence/Economie de mars 2020. Cliquez ci-dessous pour découvrir les autres articles de cette lettre.

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1 Cons. const. 18 mai 2016 n° 2016-542 QPC ; voir E. Flaicher-Maneval « Constitutionnalité de l’amende civile imputée à une société absorbante » – Analyse juridique parue dans Option Finance du 30 avril 2016.

Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 23 décembre 2019


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