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L’acte anormal de gestion

Retour à la normale !

12/09/2019

Les formes multiples que peut prendre l’acte anormal de gestion sont à l’origine d’une jurisprudence ancienne et fournie au gré de laquelle le Conseil d’Etat a précisé les contours d’une théorie selon laquelle l’administration fiscale, sans être autorisée à s’immiscer dans la gestion de l’entreprise, peut corriger son résultat imposable en neutralisant les effets d’opérations contraires à son intérêt propre.

Ces derniers mois, le Conseil d’Etat a rendu plusieurs décisions importantes qui démontrent que si la théorie de l’acte anormal de gestion peut encore être précisée sur certains aspects, notamment s’agissant des règles de dialectique de la preuve, le juge de l’impôt doit également veiller à une correcte application de cet outil par les vérificateurs fiscaux qui en font parfois une utilisation extensive lors de leurs opérations de contrôle.

L’exemple de la cession d’actifs à prix minoré : les preuves à rapporter par l’administration fiscale varient selon que l’actif est immobilisé ou inscrit en stock

Traditionnellement, l’administration fiscale qui entend remettre en cause le résultat fiscal d’une entreprise sur le terrain de l’acte anormal de gestion doit établir la réunion de deux éléments. De première part, un élément matériel ou objectif qui consiste à démontrer que l’entreprise s’est appauvrie.

Lorsque l’administration cherche à caractériser l’existence d’une cession d’actif à un prix anormal, elle doit prouver que le prix pratiqué par l’entreprise s’écarte significativement de la valeur vénale du bien cédé (les praticiens s’accordent à placer cet écart à un taux d’au moins 20 % de sa valeur vénale). Pour les actes de gestion courante, comme par exemple la facturation d’une prestation de service en dessous de son prix de revient, il s’agit pour l’administration d’apporter la preuve que le prix pratiqué est insuffisant. A cet égard, la communauté d’intérêts existant entre les parties à la transaction ne permet pas au vérificateur de s’abstenir d’effectuer une telle démonstration.

De seconde part, un élément intentionnel ou subjectif, qui consiste pour l’administration à prouver que l’entreprise avait conscience d’agir contre son propre intérêt. Toutefois, l’administration fiscale est dispensée d’apporter la preuve de l’élément intentionnel pour certaines opérations considérées comme anormales par nature, à savoir celles réalisées avec des dirigeants ou actionnaires de la société ou des transactions à « prix zéro » comme une avance sans intérêt ou un abandon de créance.

En formation plénière, par sa décision « Croë Suisse » du 21 décembre 2018, le Conseil d’Etat, tout en formulant une définition générale de l’acte anormal de gestion, a élargi ces cas de présomption de l’élément intentionnel dans l’hypothèse d’une cession d’un élément de l’actif immobilisé de l’entreprise à un prix significativement inférieur à sa valeur vénale (en l’occurrence, il s’agissait de la cession de parts d’une société dont l’actif était constitué d’un château à Antibes pour un prix de 6 M€, alors que selon l’administration fiscale, la valeur vénale de ce bien s’établissait à environ 46 M€).

Le Conseil d’Etat énonce d’abord que constitue un acte anormal de gestion « l’acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt » intégrant avec concision au sein d’une même phrase les éléments subjectif (« décide ») et objectif (« s’appauvrir ») de la définition.

Il juge ensuite, et c’est là que réside l’apport essentiel de la décision, que si l’écart de prix est établi par l’administration fiscale, c’est alors au contribuable de démontrer que l’appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l’intérêt de l’entreprise. Le Conseil d’Etat précise que cette preuve peut être rapportée par l’entreprise « soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu’elle en ait tiré une contrepartie ».

Cette décision a pu d’abord surprendre par le renversement de la charge de la preuve qu’elle opère. Elle se justifie toutefois par le fait que la disposition d’un élément d’actif immobilisé est une opération à caractère exceptionnel dans la vie d’une entreprise. Le dirigeant et ses conseils devront ainsi se montrer particulièrement vigilants quant à la détermination du prix de la transaction et des justifications qui peuvent conduire l’entreprise à accepter un prix bradé.

Quelques mois plus tard, le 4 juin 2019, le Conseil d’Etat a jugé que ce qui vaut pour la cession d’un actif immobilisé ne joue pas s’agissant de la cession d’un élément de l’actif circulant de l’entreprise. Dans cette affaire, il était également question de la cession à un prix anormalement bas d’un bien immobilier situé sur la côte d’azur, mais à la différence de la décision précédente, la villa en cause était inscrite en stock à l’actif de l’entreprise redressée qui exerçait une activité de marchand de biens.

La seule circonstance que la société avait cédé le bien pour un prix minoré est jugée insuffisante pour fonder le rehaussement car, selon les conclusions du rapporteur public sous cet arrêt, la cession d’un élément de stock constitue une opération courante de l’entreprise pour laquelle les règles traditionnelles de l’acte anormal de gestion doivent continuer de s’appliquer.

Ainsi, il incombe à l’administration fiscale de démontrer, outre la faiblesse du prix consenti, que la société acceptant la cession d’un élément de stock à un prix trop faible, avait conscience d’agir contre son intérêt propre.

Le cas des détournements de fonds subis par l’entreprise : une distinction à opérer selon que les détournements sont commis par un salarié de l’entreprise ou par un tiers

On sait que depuis la décision Alcatel du 5 octobre 2007, le Conseil d’Etat admet que l’administration peut remettre en cause, sur le terrain de l’acte anormal de gestion, la déductibilité des pertes constatées par une entreprise lors de détournements de fonds, non seulement lorsque ces derniers sont commis par les dirigeants de l’entreprise mais également lorsque « par leur comportement, délibéré ou par leur carence manifeste dans l'organisation du département et la mise en œuvre des dispositifs de contrôle, contraires à l'intérêt de l'entreprise, ces dirigeants avaient été à l'origine, directe ou indirecte, des détournements en cause ».

Croyant faire une correcte application de ce principe, une cour administrative d’appel avait confirmé le rehaussement d’une entreprise victime de vols commis par un tiers (il s’agissait de vols de billets de banque livrés par une société de transport de fonds et destinés à alimenter le distributeur automatique attenant au supermarché exploité par l’entreprise) au motif que « l'attentisme et l'abstention inexplicables dont la société a fait preuve face aux détournements dont elle a été victime faisaient (...) obstacle à ce que ces vols puissent être regardés comme faisant partie des risques normaux de la vie de l'entreprise dans le cadre d'une gestion commerciale normale ».

Dans la lignée de l’abandon de la théorie du « risque manifestement excessif » par la décision Monte Paschi Banque du Conseil d’Etat, les juges du Palais Royal censurent cette motivation dans une décision du 12 avril 2019 en rappelant d’abord qu’en cas de détournements de fonds commis au détriment d'une société, les pertes qui en résultent sont, en principe, déductibles des résultats de la société, ce qui est notamment le cas lorsque ces détournements ont été commis par des tiers.

Le Conseil d’Etat précise ensuite que ne peuvent être constitutif d’un acte anormal de gestion que, d’une part, les détournements commis par les dirigeants, mandataires sociaux ou associés ainsi que, d’autre part, les détournements commis par un salarié de la société « qui ont pour origine, directe ou indirecte, le comportement délibéré des dirigeants, mandataires sociaux ou associés ou leur carence manifeste dans l'organisation de la société et la mise en œuvre des dispositifs de contrôle ».

Le champ d’application de la jurisprudence Alcatel se trouve ainsi clairement restreint, et c’est heureux, à la seule hypothèse des détournements de fonds commis par des salariés de l’entreprise, à l’exclusion de ceux commis par des tiers sur lesquels l’entreprise est considérée comme n’ayant aucun pouvoir de contrôle.

Ainsi, par ces évolutions jurisprudentielles récentes, le Conseil d’Etat veille à ce que la liberté de gestion de l’entreprise par son dirigeant demeure la norme, tandis qu’un rehaussement fondé sur la théorie de l’acte anormal de gestion ne peut en constituer qu’une exception dont le maniement reste strictement encadré par le juge de l’impôt.

Article paru dans le magazine Option Finance le 2 septembre 2019


Acte anormal de gestion

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