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STRUCTURATION DES FINANCEMENTS D’ACQUISITION

Panorama des contraintes fiscales a anticiper et des bons reflexes a adopter

08/02/2021

En 2020, l’actualité jurisprudentielle relative à la déductibilité des intérêts intragroupes a été particulièrement riche. Dans ce contexte, également marqué par l’introduction en France de dispositifs anti-abus issus des travaux BEPS[1] de l’OCDE, plusieurs contraintes fiscales susceptibles d’influer sur le choix du financement méritent d’être identifiées et anticipées.

1er critère : l’existence ou non de relations de contrôle entre prêteurs et emprunteurs et les conséquences sur la déduction des intérêts versés

Au sein de l’arsenal législatif relatif à la déductibilité des charges financières, les mesures fiscales visant à appréhender les situations de contrôle entre prêteurs et emprunteurs sont particulièrement nombreuses. Des contraintes de taux visent à limiter la déductibilité des intérêts versés par une entreprise à ses associés et entités liées, tandis que des mécanismes "anti-abus" spécifiques, tels que "l’amendement Charasse", ont vocation à lutter contre les effets fiscaux de certaines restructurations intragroupes.

Face à ce constat, la caractérisation des relations de contrôle entre les parties prenantes à l’opération est un enjeu majeur pour la structuration du financement (même si la dimension fiscale s’inscrit parmi d’autres) et la détermination des règles fiscales à appliquer.

  • Financement consenti par un prêteur, actionnaire minoritaire ou majoritaire : détermination du taux maximum des intérêts déductibles

Les intérêts servis par une entreprise à ses associés à raison des sommes mises à sa disposition ne sont en principe déductibles qu’à hauteur d’un taux plafond relativement bas, prévu par l’article 39, 1-3 du Code général des impôts (CGI) et publié chaque trimestre (i.e., 1,18% pour les exercices clos au 31 décembre 2020).

En pratique, l’application de ce taux plafond est limitée aux intérêts servis aux seuls associés minoritaires non contrôlants puisque, pour les prêteurs "liés" à l’emprunteur (c’est-à-dire les actionnaires directs ou indirects exerçant un contrôle de droit ou de fait sur l’emprunteur au sens de l’article 39, 12 du CGI), l’article 212, I du CGI autorise la déduction des intérêts à un taux supérieur, qualifié de "taux de marché".

Pour donner son plein effet à cette exception du taux de marché et sécuriser une déduction fiscale supérieure au taux plafond, encore faut-il que l’emprunteur soit en mesure de démontrer par tout moyen que le taux servi à ses actionnaires contrôlants correspond au taux qu’il aurait obtenu d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues (CE avis., 10 juillet 2019, n° 429426, SAS Wheelabrator Group; voir également notre article "Affaire Wheelabrator : suite !"). A cet égard, la réticence de l’administration fiscale et de certaines juridictions face à la production d’études financières fondées sur des comparables obligataires rendait l’exercice extrêmement difficile[1].

L’horizon semble néanmoins se dégager à la lumière de décisions récentes (CAA Paris, 22 octobre 2020, n° 18PA01026, Société Studialis et CE, 11 décembre 2020, n° 433723, Société BSA), qui reconnaissent la valeur probante d’une étude de taux préparée à partir d’un logiciel de scoring (par exemple, Risk-calc développé par l’agence de notation Moody’s) et marquent un infléchissement bienvenu en faveur de plus de pragmatisme.

Dans ce contexte encourageant, on relève également la publication récente par l’administration fiscale de 8 fiches pratiques destinées à préciser, à partir de cas concrets, la manière dont les contribuables peuvent justifier de l’existence d’un taux de marché.

Pour autant, en pratique, la prudence reste de mise et le plus grand soin doit être apporté à la détermination et à la documentation des taux d’intérêt, dès la mise en place du financement, lorsqu’ils sont versés à des "entreprises liées".

  • Restructurations intragroupes : la délicate question de l’amendement Charasse

La notion de "contrôle" n’étant pas harmonisée en matière fiscale, un investisseur peut être considéré comme un actionnaire minoritaire "non lié" et donc privé de l’exception du taux de marché, tout en étant néanmoins "contrôlant" au sens d’autres régimes défavorables, tels que le dispositif prévu par "l’amendement Charasse".

Schématiquement, ce dispositif "anti-abus" (qui, contrairement aux règles de taux, couvre tout type de prêts) limite la déduction des intérêts engagés lors d’une acquisition dite "à soi-même" de titres d’une filiale destinée à rejoindre le groupe intégré de la holding de reprise.

Pour l’application de ce dispositif, la référence au contrôle entendu au sens du Code de commerce (art. L.233-3 du Code de commerce) rend applicable les notions de "contrôle conjoint" et "d’action de concert" à l’égard de la société cessionnaire, dont le maniement n’est pas toujours aisé en pratique.

Compte tenu des enjeux et des effets parfois dévastateurs de l’amendement Charasse, une opération susceptible de tomber dans le champ de ce dernier doit donc nécessairement faire l’objet d’une structuration adaptée, car certaines exceptions légales peuvent permettre d’en diminuer la portée, voire de l’écarter complètement.

2e critère : la résidence fiscale française ou étrangère des prêteurs, et les mesures anti-abus visant à lutter contre certains schémas transfrontaliers

La transposition en droit français des mesures de lutte contre "l’érosion de la base d’imposition" issues des travaux de l’OCDE ajoute une strate au corpus fiscal applicable lors de la mise en place de financements comportant un élément d’extranéité. En particulier, ces financements doivent désormais être analysés à l’aune des dispositions issues de la directive "DAC 6" et de la directive "Anti-évasion fiscale" dite "ATAD 2".

  • Déclaration des dispositifs transfrontières prévue par la directive DAC 6

L’obligation déclarative issue de la directive DAC 6 impose aux intermédiaires, entendus au sens large comme des concepteurs ou prestataires de services, ou à défaut au contribuable, de déclarer certains "dispositifs transfrontières" réalisés au sein de l'Union européenne ou entre un pays de l’Union et un État tiers, lorsque ces dispositifs sont visés par différents "marqueurs", établissant leur caractère "potentiellement agressif".

Dans le cadre de la mise en place d’un financement, le fait qu’un paiement soit déductible, par hypothèse en France, mais non imposable à l’étranger, serait un marqueur conduisant à la déclaration du financement mis en place (et ce indépendamment du dispositif de lutte contre les dispositifs hybrides présenté infra). La conversion d’un revenu en capital ou en une autre catégorie de bénéfices imposés à un taux inférieur est également susceptible de constituer un motif de déclaration.

Cette nouvelle obligation (dont la première échéance déclarative a commencé à courir le 1er janvier 2021) constitue un enjeu significatif puisque le défaut de déclaration par les parties prenantes de tels dispositifs peut entraîner l’application d’une pénalité de 10 000 euros, applicable par opération, et par intermédiaire et contribuable. Par ailleurs, on constate que certains acteurs (établissements bancaires, compagnies d’assurance, etc.) demandent désormais dans quelle mesure l’opération devrait potentiellement être déclarée, conditionnant ainsi leur intervention.

En pratique, il est donc primordial pour les groupes internationaux d’anticiper les obligations susceptibles de leur incomber, en mettant en place un processus d’identification des dispositifs à déclarer en coordination avec chacun des intervenants (conseils, acquéreur, vendeur, investisseurs, etc.), voire en adaptant le financement proposé.

  • Renforcement de la lutte contre les dispositifs hybrides

Jusqu’à récemment, les entreprises françaises effectuant des paiements d’intérêts au profit d’entités liées à l’étranger devaient s’assurer, pour les déduire, que ces intérêts avaient été assujettis à un impôt au moins égal à 25 % de l’impôt français[2], afin d’éviter une situation de déduction en France et de non-imposition à l’étranger.

Pour les exercices ouverts depuis le 1er janvier 2020[3], cette condition d’imposition minimale a été remplacée par des mesures bien plus complexes de lutte contre les dispositifs hybrides[4] issues la directive ATAD 2. En synthèse, ces mesures visent à lutter contre les situations dans lesquelles, en raison d’une divergence de qualification d’un paiement entre deux ou plusieurs Etats, un paiement est déduit dans un Etat sans être inclus dans la base taxable d'un autre Etat, ou fiscalement déduit deux fois.

En matière de financement, l’identification de dispositifs hybrides est un enjeu majeur et doit amener à un travail d’introspection et d’analyse du traitement fiscal en France et à l’étranger de l’ensemble des paiements reçus ou versés à des entreprises "associées".

3e critère : l’accès à terme au capital et les pièges et opportunités fiscales de cette flexibilité financière

Les instruments permettant d’accéder à terme au capital, que l’on retrouve classiquement dans les tranches de dettes subordonnées des opérations de LBO, présentent indiscutablement des attraits pour l’émetteur et le souscripteur mais doivent être fiscalement maniés avec attention.

  • Non-conversion des obligations convertibles : avantages et inconvénients liés aux primes de non-conversion

Dans une décision remarquée rendue le 13 novembre 2020, le Conseil d’Etat a jugé qu’au regard de l’articulation des textes applicables, les dotations aux amortissements comptabilisées à raison de primes de non-conversion ne voyaient pas leur déduction limitée par la règle relative au taux maximum d’intérêts déductibles servis aux associés (CE, 10e et 9e ch., 13 novembre 2020, n° 423155, Sté Iprad Group).

Cette décision impactera sans nul doute la structuration des emprunts obligataires convertibles émis au profit d’actionnaires minoritaires non contrôlants puisqu’elle permet en pratique d’affranchir la prime de non-conversion de la contrainte de taux prévue par l’article 39, 1-3° du CGI.

Il convient néanmoins de rester prudent puisque l’administration fiscale s’efforcera de lutter contre tout contournement abusif du plafond de déduction et qu’en tout état de cause, les primes de non-conversion pourront devoir être réintégrées en application du mécanisme plafonnant la déductibilité des "charges financières" entendues au sens large, à 30% de "l’EBITDA fiscal" ou 3 m€ si ce dernier montant est supérieur (sauf situation de sous-capitalisation). 

A cet égard, la position de l’administration fiscale, consistant à tenir compte du montant total de la prime versée au titre de l’exercice au cours duquel la décision de non-conversion devient certaine[5], peut s’avérer défavorable à l’émetteur, notamment en présence de primes conséquentes, rattachables à des émissions d’une maturité supérieure à cinq années.

  • Emission d’OBSA : conséquences fiscales liées à l’exercice des BSA

L’émission d’instruments de dette prenant la forme d’obligations à bons de souscription d’actions (OBSA) présente la particularité de permettre au souscripteur de devenir associé de l’émetteur du fait de l’exercice des BSA. Dans ces conditions, il est crucial d’anticiper les conséquences fiscales liées à l’exercice de tels instruments, compte tenu du fait que (nous l’avons vu) les intérêts servis à un prêteur devenant actionnaire minoritaire non contrôlant se trouvent soumis au taux plafond prévu par l’article 39, 1-3° du CGI.

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Lire également :


[1] Relatifs à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices.

[2] Par exemple : CAA Paris, 2e ch., 23 septembre 2020, n°20PA00585, SAS Willink.

[3] Ancien article 212, I-b du CGI.

[4] A l'exception des dispositions relatives aux dispositifs hybrides "inversés", qui s'appliquent aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2022.

[5] Codifiées aux articles 205 B, 205 C et 205 D du CGI.


 

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