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Etablissement stable et TVA (1er volet)

Cette notion ne recouvre pas forcément celle qui figure dans les conventions fiscales bilatérales

17/10/2006

En matière de TVA, la notion d'établissement stable ne recouvre pas forcément celle qui figure dans les conventions fiscales bilatérales pour régler le partage de l'imposition des bénéfices entre l'Etat du siège et celui de l'établissement.

Au-delà de la question de la territorialité, la caractérisation d'un établissement stable entraîne d'importantes conséquences qu'il faut impérativement mesurer. Ce sera l'objet du second volet de cette étude, publié la semaine prochaine.
La sixième directive 77/388 du Conseil du 17 mai 1977 fait appel à la notion d'établissement stable pour déterminer le lieu d'imposition de certaines opérations, sans définir cette notion.

Ainsi son article 9 § 1 dispose :
"Le lieu d'une prestation de services est réputé se situer à l'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel la prestation de services est rendue ou, à défaut d'un tel siège ou d'un tel établissement stable, au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle."
Ce critère de taxation à l'endroit du siège ou de l'établissement stable à partir duquel la prestation de services est rendue est repris fidèlement à l'article 259 du CGI.

L'article 9 § 2 de la sixième directive se réfère une deuxième fois à l'établissement stable sans davantage le définir :
"Toutefois : 
[...] 
e) Le lieu des prestations de services suivantes, rendues à des preneurs établis en dehors de la Communauté ou à des assujettis établis dans la Communauté mais en dehors du pays du prestataire, est l'endroit où le preneur a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable pour lequel la prestation de services a été rendue, ou à défaut, le lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle: 
- les cessions et concessions de droits d'auteurs, de brevets, de droits de licences, de marques de fabrique et de commerce, et d'autres droits similaires [...]
".

Cet article est transposé en France aux articles 259 B et 259 D du CGI, qui ont respectivement trait à l'imposition des prestations de services immatérielles et à celle des prestations de services fournis par voie électronique.
Suivant la jurisprudence de la CJCE, le critère de rattachement à l'établissement stable n'est pris en considération qu'à titre subsidiaire et la caractérisation d'établissement stable n'est retenue que si deux conditions sont simultanément remplies :

  • le rattachement à l'établissement débouche sur la solution la plus rationnelle et utile du point de vue fiscal,
  • l'établissement dispose en permanence de moyens matériels et juridiques lui permettant d'exercer son activité avec un certain degré d'autonomie.

La Cour interprète l'article 9 de la sixième directive comme visant à établir une répartition rationnelle des sphères d'application des législations nationales en matière de TVA, en déterminant de manière uniforme le lieu de rattachement fiscal des prestations de services, et à éviter notamment des conflits de compétence entre Etats membres.

L'arrêt Berkholz du 4 juillet 1985 (aff. 168/84) et l'arrêt DFDS du 20 février 1997 (aff. 260/95) ont jugé que l'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique apparaît comme un point de rattachement prioritaire, la prise en considération d'un autre établissement à partir duquel la prestation de services est rendue ne présentant un intérêt que dans le cas où le rattachement au siège ne conduit pas à une solution rationnelle du point de vue fiscal ou crée un conflit avec un autre Etat membre.

La prééminence du rattachement au siège figure également dans l'arrêt Faaborg-Gelting-Linien AS du 2 mai 1996 (aff. 231/94) qui rappelle que le rattachement d'une prestation de services à un établissement autre que le siège "n'entre en ligne de compte que si cet établissement présente une consistance minimale, par la réunion permanente des moyens humains et techniques nécessaires à des prestations de services déterminées".

La Cour conclut en l'espèce que tel n'est pas le cas pour des opérations de restauration sur un navire, surtout lorsque le siège permanent de l'exploitant du bateau fournit un point de rattachement utile en vue de l'imposition.
La CJCE est toutefois soucieuse de ne pas laisser s'appliquer une solution qui serait en contradiction avec la réalité économique, critère fondamental pour l'application du système de TVA. Les arrêts précités soulignent qu'il convient de tenir compte de la réalité économique et donc de l'endroit où s'exerce effectivement l'activité économique considérée.

Plus récemment, dans son arrêt Gillan Beach Ltd du 9 mars 2006, la CJCE a rappelé l'importance qu'elle accorde à ce critère du lieu d'exercice de l'activité. C'était à propos des prestations d'un organisateur de salons : "Le législateur communautaire a ...considéré que, dans la mesure où le prestataire fournit ses services dans l'Etat dans lequel de telles prestations sont matériellement exécutées et que l'organisateur de la manifestation perçoit dans ce même Etat la TVA acquittée par le consommateur final, la TVA, ayant pour assiette l'ensemble des prestations dont le coût entre dans le prix de la prestation globale payée par ce consommateur, devait être versée à cet Etat et non à celui dans lequel le prestataire a établi le siège de son activité économique".

La CJCE était animée du même souci de réalisme économique lorsqu'elle avait jugé dans l'arrêt DFDS précité : "Lorsqu'un organisateur de circuits touristiques dont le siège est situé dans un Etat membre fournit à des voyageurs des prestations de services par l'intermédiaire d'une société opérant en qualité d'agent dans un autre Etat membre, ces prestations sont imposables à la TVA dans ce dernier Etat, dès lors que cette société, qui agit comme un simple auxiliaire de l'organisateur, dispose des moyens humains et techniques qui caractérisent un établissement stable". 

Pour la CJCE, il n'y a qualification d'un établissement stable que dès lors que ce dernier présente "une consistance minimale par la réunion permanente des moyens humains et techniques nécessaires à des prestations de services déterminées".

Cette définition, dégagée par l'arrêt Berkholz précité, est éclairée comme suit par les conclusions de l'avocat général M.Mancini sur cette affaire, présentées le 6 juin 1985 : "Le concept d'établissement stable est plus complexe. Nous dirons tout d'abord que "stable" équivaut à "durable" ou "fixe" et est le contraire de "précaire" ou "occasionnel". Mais cela ne suffit pas. Un centre d'activité économique, plus encore lorsqu'il fournit des services qui s'étendent dans le temps, exige un minimum d'organisation. Or, il n'existe pas d'organisation, c'est à dire de complexe ordonné de biens et de personnes qui n'implique pas une division du travail. Le prestataire de services devra donc disposer soit de moyens matériels, soit de collaborateurs qui l'aident à les exploiter et à les gérer".

La notion d'établissement stable a été affinée par l'arrêt ARO Lease BV du 17 juillet 1997 (aff. 190/95), en vertu duquel pour qu'un établissement puisse utilement être considéré, par dérogation au critère prioritaire du siège, comme lieu des prestations de services d'un assujetti, il est nécessaire qu'il présente un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l'équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées.

Cette affaire a conduit la CJCE à juger qu'une société de leasing qui donne des véhicules en location ou en leasing à des clients établis dans un autre Etat membre, ne dispose pas du fait même de cette mise en location d'un établissement stable dans cet autre Etat membre dès lors que lesdits clients ont pris contact avec elle par des intermédiaires locaux indépendants, qu'ils ont eux-mêmes recherché les voitures de leur choix auprès des concessionnaires locaux, qu'elle a loué les voitures par des contrats établis et signés à son siège, que les clients supportent les frais d'entretien et paient dans cet Etat la taxe de circulation, mais qu'elle n'y dispose elle-même ni de bureau ni de lieu d'entreposage des voitures.

La définition dégagée par le Conseil d'Etat dans ses trois arrêts Schlosser, Hofman et Gebhart et Stark du 31 janvier 1997 (n°170166, n°170164 et n°150828-157689) est étroitement inspirée de la définition de l'établissement stable donnée par la CJCE dans son arrêt Berkholz pour l'application de l'article 9 § 1 de la sixième directive : l'établissement stable est caractérisé par "la disposition personnelle et permanente d'une installation comportant les moyens humains et techniques nécessaires à l'activité de l'assujetti".

On doit considérer cette définition comme étant devenue par trop imprécise du fait qu'elle met uniquement l'accent sur la réunion permanente des moyens humains et techniques nécessaires aux prestations de service, sans mentionner leur nécessaire autonomie et, surtout, sans reprendre l'importante réserve que pose la CJCE, à savoir l'impossibilité de rattacher les prestations au siège de l'activité économique du prestataire.

L'Administration donne de l'établissement stable une définition différente de celles retenues par les jurisprudences française et européenne. En effet, est réputé tel "tout centre d'activité où l'assujetti effectue de manière régulière des opérations imposables. Ce centre d'activité est généralement constitué par un magasin ou un bureau, une usine, un atelier ou un chantier connu de la clientèle, dirigé par le chef d'entreprise ou par un préposé qui a le pouvoir d'engager des opérations pour le compte du chef d'entreprise 1 ".


Cette définition met l'accent sur l'autonomie, ce qui est conforme à la position de la CJCE. Mais, comme celle du Conseil d'Etat, elle néglige de rappeler le principe du rattachement prioritaire au siège de l'activité économique du prestataire.
On remarquera ses similitudes avec celle figurant à l'article 5 du modèle de convention de l'OCDE concernant le revenu et la fortune, aux termes de laquelle "l'expression "établissement stable" désigne une installation fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité".

En effet, elle repose sur des critères cumulatifs semblables, i.e une installation, présentant un caractère de fixité, et permettant l'exercice d'activités. Mais la recherche d'un alignement serait vain car les critères établis par les conventions fiscales internationales pour déterminer l'existence d'un établissement stable n'ont de portée que pour la détermination du partage de l'imposition des bénéfices, sans concerner aucunement la TVA. 


Etablissement stable

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Lire également : 

Article paru dans la revue Option Finance le 10 juillet 2006


1 Documentation administrative 3 A-2141, n°3


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