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Flash info Concurrence | Projet de révision des lignes directrices en matière de contrôle des concentrations

25/03/2013

Les lignes directrices publiées en 2009 par l’Autorité de la concurrence (ADLC) en matière de contrôle des concentrations constituent un ensemble de règles dépourvues de portée normative mais opposables aux entreprises et invocables par elles. L’ADLC s’engage à appliquer ces lignes directrices chaque fois qu’elle examine une opération soumise à son contrôle, sous réserve qu’aucune circonstance exceptionnelle ou aucune considération d’intérêt général ne justifie de s’en écarter. Annoncé depuis quelques mois, le projet de l’ADLC de réviser les lignes directrices vient d’être rendu public dans le cadre d’une consultation ouverte jusqu’au 22 avril prochain. Cette consultation vise à enrichir le projet grâce aux observations qui seront fournies par les professionnels de la matière et les entreprises intéressées.

Les modifications et clarifications envisagées par l’ADLC à ce stade n’opèrent pas de bouleversements majeurs par rapport aux lignes directrices actuelles. Néanmoins, le projet, qui reprend la pratique décisionnelle de l’ADLC de ces quatre dernières années, a le mérite de préciser davantage l’analyse suivie par l’ADLC, notamment en matière d’opérations complexes et de réseaux de distribution et de laisser une place plus grande à l’analyse économique. Ce flash d’information n’a pas pour ambition de faire une revue exhaustive des modifications envisagées mais vise à faire ressortir les principaux points d’intérêt pour les entreprises que nous accompagnons dans des procédures de notification d’opérations de concentration.

A ce titre, les aspects suivants retiendront notre attention :

  • La plus grande prise en compte des opérations complexes (I)
  • L’encadrement des mesures correctives (II)
  • Les développements concernant l’analyse spécifique aux réseaux de distribution (III)
  • Les avancées limitées sur les aspects purement procéduraux (IV).

I. La plus grande prise en compte des opérations complexes

Plusieurs précisions importantes nous semblent être apportées par le projet en ce qui concerne les opérations complexes :

  • L’ADLC fait le point sur la pratique décisionnelle récente en matière de sanction pour mise en œuvre anticipée d’une opération de concentration (A).
  • Le recours aux opérations de portage est consacré comme moyen de transférer la propriété mais pas le contrôle (B).
  • Certaines opérations, dites « opérations sur marché », sont intégrées au dispositif de dérogation prévu pour les OPA/OPE (C).
  • Les entreprises sont incitées à intégrer davantage d’analyse économique dans leurs notifications lorsque cela s’avère nécessaire (D).
A - Réalisation de la concentration en violation de l’interdiction de mise en œuvre anticipée

Le droit français, à l’instar du droit de l’Union européenne, interdit la mise en œuvre des opérations de concentration dépassant certains seuils avant qu’elles ne soient autorisées par l’ADLC (et a fortiori notifiées). On parle de l’« effet suspensif » du contrôle des concentrations. L’article L. 430-8-I C. com. prévoit que le défaut de notification est sanctionné d’une amende allant jusqu’à 5% du chiffre d’affaires réalisé en France.

Sans être véritablement révolutionnaire sur ce point, le projet de révision a le mérite de transcrire la pratique décisionnelle particulièrement ferme de l’ADLC en matière de réalisation anticipée d’une opération de concentration. Sur la prescription d’abord, le projet de révision rappelle qu’une mise en œuvre anticipée peut être sanctionnée jusqu’à cinq ans après sa réalisation (cf. décision Colruyt du 11 mai 2012), à l’instar de la prescription prévue par le code de commerce en matière de pratiques anticoncurrentielles.

Il précise ensuite que le manquement est imputable à la personne qui acquiert de façon ultime le contrôle de la cible, c'est-à-dire pas nécessairement seulement à celle qui conclut l’acte d’acquisition (le véhicule d’acquisition) mais aussi à celle qui, de façon directe ou non, peut exercer une influence déterminante sur l’activité de la cible (le cas échéant la tête de groupe).

Le projet de révision développe enfin « les déterminants de la sanction », précisant notamment que le non-respect de l’obligation de notification est une infraction à l’ordre public économique, grave par nature, et ce quels que puissent être les effets possibles sur la concurrence de l’opération projetée. Ainsi, la sanction pour absence de notification sera maintenue à supposer même qu’une décision ultérieure autorise l’opération de concentration. Peu importe par ailleurs que l’omission de notifier l’opération relève d’une négligence ou d’une réelle volonté de se soustraire à cette obligation. Cette fermeté à l’encontre du défaut de notification est également celle des instances de l’UE, comme en témoigne l’arrêt récent du Tribunal sanctionnant la société Electrabel (TUE, 12 décembre 2012, T-332/09, Electrabel(1)).

B - Consécration du recours au portage

Le projet de révision consacre des développements spécifiques aux opérations transitoires, dites « opérations de portage », consistant en l’acquisition provisoire d’un actif cible par un établissement financier en vue de sa revente à un tiers. Le recours au portage permet d’isoler les actifs dont le contrôle ne peut être acquis immédiatement - en raison notamment de l’obligation de ne pas mettre en œuvre la concentration avant qu’elle ait été autorisée - et de réaliser le reste de l’opération sans avoir à attendre l’issue d’une éventuelle phase approfondie d’examen au titre du contrôle des concentrations (dite phase 2). Le portage de titres est ainsi susceptible d’être utilisé dans le cadre d’opérations complexes - impliquant le cas échéant des notifications multiples auprès de plusieurs juridictions - pour lesquelles on peut craindre qu’une ou plusieurs autorités de concurrence ouvrent une phase 2. S’inspirant des dispositions du règlement européen n°139/2004 relatif au contrôle des concentrations qui retiennent que la détention temporaire par un établissement financier (ou une société d’assurance) de titres en vue de leur revente ne constitue pas une opération de concentration pour autant que les droits attachés à ces titres ne sont pas exercés, l’ADLC indique clairement qu’elle considère, sous certaines conditions, que le portage de titres ne constitue pas une opération de concentration. A ce titre, l’ADLC sera amenée à vérifier :

Si l’établissement financier est en mesure d’exercer une influence déterminante sur les actifs cibles pendant la durée du portage. Si tel n’est pas le cas, l’opération d’achat échappe au contrôle et seule la revente de ces actifs à l’acquéreur final est susceptible d’être notifiée.

Si l’opération de portage ne permet pas à l’acquéreur final d’exercer avant le débouclage final de l’opération un contrôle sur les actifs cibles soumis au contrôle de l’ADLC, en violation de l’interdiction de mise en œuvre anticipée d’une opération de concentration.

A supposer que l’opération de portage ne soit pas notifiable en elle-même, la revente des actifs faisant l’objet du portage à l’acquéreur final ne pourra pas intervenir avant que l’ADLC ne l’ait autorisée, le cas échéant sous réserve d’engagements ou d’injonctions (de cession partielle notamment). C - Extension du dispositif de dérogation automatique à l’effet suspensif prévu pour les opérations sur marché Le code de commerce prévoit une dérogation légale à l’interdiction de mise en œuvre anticipée pour les opérations qui consistent en l’achat ou l’échange de titres sur un marché réglementé, pour autant que les droits de vote associés aux titres ne soient pas exercés.

Dans ce cas, le transfert de propriété des titres peut intervenir avant l’autorisation de l’ADLC, contrairement à l’exercice des droits attachés aux titres qui ne peut être mis en œuvre tant que l’opération n’a pas été approuvée par l’ADLC. Ce mécanisme s’applique en principe pour les OPA, les OPE et l’acquisition d’un contrôle par simple achat de titres sur un marché réglementé sans lancement d’OPA (ou sans qu’une OPA, si elle est rendue obligatoire par le droit boursier, soit nécessaire pour l’obtention du contrôle). Dans son projet, l’ADLC clarifie les conditions d’extension de cette dérogation dans le cas d’une opération en deux temps constituée, dans un premier temps, de l’acquisition d’un bloc d’actions par un accord de gré à gré et, dans un second temps, d’une OPA obligatoire sur le capital restant (hypothèse d’acquisition de plus que 30% des titres hors marché). L’ADLC précise ainsi que, même si l’acquisition d’un premier bloc d’actions de gré à gré permet d’ores et déjà à l’acquéreur de détenir une participation dite « de contrôle », le droit boursier conduit à retenir le caractère indissociable des deux étapes de prise de contrôle, de sorte que cette première prise de contrôle peut ne pas être notifiée immédiatement à l’ADLC.

Ainsi, au choix des parties, ce transfert de titres en deux étapes indissociables peut être notifié au stade de la conclusion de l’accord de gré à gré (hors marché), si le projet de concentration est suffisamment abouti, ou à l’issue du lancement de l’OPA lorsque la concentration est engagée de façon irrévocable. Il appartient à l’entreprise concernée de procéder à cet exercice délicat consistant à définir ce qu’est un projet suffisamment abouti ou une opération engagée de manière irrévocable. A ce titre, se pose notamment la question de l’articulation de ces notions avec la réforme projetée par l’AMF en matière d’OPA et visant à instituer un seuil de caducité obligatoire de 50% pour toute offre de prise de contrôle. S’agissant du périmètre de la dérogation, celle-ci n’a vocation à bénéficier qu’au transfert de propriété des titres, de sorte que l’acquéreur restera tenu de ne pas exercer les droits de vote attachés aux titres acquis tant hors marché que via l’OPA jusqu’à ce que l’ADLC lui délivre une autorisation.

A noter que la dérogation n’est pas applicable si la deuxième étape ne consiste qu’en une offre dite « privée » de rachat de titres sur un marché libre ou hors cote. D - Incitation des entreprises à intégrer davantage d’analyse économique dans leur notification des opérations complexes Dans les opérations complexes, la seule analyse juridique est parfois insuffisante pour faire accepter l’opération par les autorités de concurrence.

L’analyse économique est susceptible d’intervenir sur plusieurs aspects du dossier : afin de délimiter le marché pertinent et d’y apprécier la part de marché des parties, dans l’analyse concurrentielle des possibles effets négatifs de l’opération et dans l’analyse des possibles gains d’efficacité susceptibles de contrebalancer ces risques. Dans son projet, l’ADLC se dit ouverte au recours à des outils économiques analytiques (dites « méthodes quantitatives ») en complément de l’analyse juridique et notamment à des tests quantitatifs fondés sur des modèles économiques reconnus (analyse des ratios de diversion ; tests UPP, GUPPI ou IPR). Il est à noter que l’ADLC annonce la publication prochaine de recommandations pour la soumission d’études économiques (l’annexe correspondante des lignes directrices n’étant maintenue qu’à titre provisoire).

En outre, le projet de révision déplore les développements « très limités » consacrés par les entreprises aux gains d’efficacité, alors qu’il y aurait « de bonnes raisons de penser que certaines opérations peuvent générer des gains d’efficience susceptibles de profiter aux consommateurs ». Il invite expressément les parties à engager des discussions approfondies sur les gains d’efficacité très en amont, estimant qu’elles sont les seules à maîtriser l’ensemble des éléments nécessaires à leur évaluation.

II. L’encadrement des mesures correctives

Les mesures correctives, notamment les engagements, occupent une place importante dans le projet de révision qui reprend pour l’essentiel la pratique décisionnelle de l’ADLC en la matière et s’inspire également largement de la pratique de la Commission européenne(2). Le projet de révision propose en annexe des modèles d’engagements plus particulièrement adaptés aux engagements de cession d’actifs. Le projet explicite également la mission du mandataire chargé de surveiller la bonne exécution des engagements conditionnant l’autorisation de l’opération. Un modèle de contrat de mandat est aussi annexé au projet, incluant notamment des stipulations relatives à la nomination et à la révocation du mandataire, ainsi qu’au rôle de ce dernier en cas de cession d’actifs. Ces divers modèles sont également soumis à la consultation publique lancée par l’ADLC.

La possibilité est ainsi donnée aux premières concernées par ces mesures, à savoir les entreprises qui s’engagent, de les faire évoluer en contribuant à la consultation. Le projet précise en outre le choix des mesures correctives effectué en fonction des effets de l’opération : les remèdes structurels sont ainsi privilégiés en cas de chevauchement horizontal des activités des parties. L’accent est tout particulièrement mis sur la cession d’activités, soulignant ainsi la préférence de l’Autorité pour ce type d’engagements. Par ailleurs, le projet prend soin de rappeler la pratique décisionnelle de l’ADLC en matière de non-respect des engagements ou injonctions auxquels est susceptible d’être assortie l’autorisation de procéder à une opération de concentration (pratique notamment acquise dans le cadre de l’affaire Canal Plus/ TPS)(3). Il en ressort une volonté claire d’encadrer a priori les engagements, en précisant leur contenu, et a posteriori en veillant à leur exécution effective.

III. Les développements concernant l’analyse spécifique aux réseaux de distribution

Le projet propose un contrôle portant sur les « réseaux » de distribution et non plus sur les « contrats » de distribution, à la différence de ce qui est prévu dans les lignes directrices actuelles. Cette modification n’est pas purement d’ordre terminologique, elle permet à l’ADLC de prévoir sous ce titre de nouveaux développements propres aux relations, au sein des réseaux de distribution, entre les têtes de réseaux et les sociétés d’exploitation des points de vente. Le projet s’attache ainsi à exposer les cas où il peut être considéré qu’une tête du réseau exerce une influence déterminante sans participation majoritaire, en se fondant notamment sur les statuts des sociétés d’exploitation et sur les contrats d’enseigne.

On relève par ailleurs que le secteur de la grande distribution occupe une place importante dans le projet de révision qui illustre fréquemment l’analyse concurrentielle préconisée d’exemples pris dans ce secteur. Il est toutefois permis de regretter que le projet n’ait pas saisi l’occasion de cette révision pour clarifier l’application des seuils abaissés de chiffre d’affaires dans le secteur du commerce de détail. Les lignes directrices actuelles entretiennent en effet une certaine ambiguïté quant au chiffre d’affaires à retenir lorsque les entreprises concernées exploitent à la fois des magasins en dur et d’autres formes de commerce (notamment des sites de vente en ligne). Cette question pratique mérite d’être élucidée.

IV. Les avancées limitées sur les aspects purement procéduraux

Alors que de réelles avancées dans la procédure de notification actuelle (A) et la procédure simplifiée (B) pouvaient être espérées, les apports du projet sur ces deux points sont pour le moins décevants. A - Les phases de pré-notification et de notification En dépit de la demande des professionnels du droit de la concurrence pour que soient formalisées des « bonnes pratiques » tant en matière de pré-notification (phase informelle facultative en amont de la notification permettant de premiers échanges avec l’ADLC), que de notification, l’ADLC envisage très peu d’amendements à ses lignes directrices sur ces points. Tout au plus, les lignes directrices précisent que l’ADLC s’engage à faire un « premier retour » aux parties dans un délai de 5 jours ouvrés à compter du dépôt de la pré-notification, sans que l’on sache très bien en quoi consistera ce premier retour. B - Champ d’application de la procédure simplifiée Une procédure simplifiée est déjà prévue depuis janvier 2011 pour les opérations qui ne sont pas susceptibles de poser de problèmes de concurrence.

Elle se caractérise par un raccourcissement des délais d’examen (15 jours ouvrés au lieu de 25) et une décision d’autorisation simplifiée de l’ADLC indiquant simplement que « au vu des éléments du dossier, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés ». Le présent projet se contente de préciser les conditions dans lesquelles les fonds d’investissement et les têtes de réseaux de grande distribution sont susceptibles de bénéficier de cette procédure. Cependant, l’ADLC ne semble pas vouloir assouplir les conditions d’éligibilité à la procédure simplifiée, tandis que la Commission européenne a exprimé récemment son intention d’élargir le champ de cette procédure en augmentant notamment les seuils de parts de marché cumulées à partir desquels une analyse approfondie est menée(4).
***
En définitive, ce projet tend à assurer une meilleure compréhension du droit des concentrations et à privilégier davantage de coopération et d’interactivité avec les entreprises dans l’exercice du contrôle par l’ADLC. Toutefois, des améliorations apparaissent encore devoir être apportées afin de prévoir de bonnes pratiques notamment en matière de pré-notification ou de procédures simplifiées.

1 V. sur cette décision, le commentaire de Virginie Coursière-Pluntz, « Contrôle des concentrations : gare à l’acquisition d’un contrôle de fait ! », Options Droit et Affaires, 30 janvier 2013. 2 Pratique explicitée dans la Communication de la Commission concernant les mesures correctives recevables conformément au règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil relatif au contrôle des concentrations, JOUE, 22 oct. 2008. 3 Cf. Lettre Concurrence/Economie, octobre 2012, Focus ; v. également sur la décision de l’ADLC relative à la sanction de la société Bigard pour non-respect des engagements, l’article de Denis Redon et Jérôme D’Huart, « Respect des engagements dans une opération de concentration : la vigilance est de rigueur ! », Options Droit et Affaires, 19 septembre 2012. 4 Comm. UE, Merger Simplifcation Project (Roadmap), COMP/A-2, 1/2013.

Auteurs

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Nathalie Petrignet
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Denis Redon
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