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Fonds d'investissement étrangers: l'avis du Conseil d'Etat

28/07/2011

Dans un avis très attendu(1) le Conseil d'Etat estime que la question du bien-fondé de la soumission à une retenue à la source des dividendes versés à des OPCVM étrangers mérite d'être renvoyée à la CJUE.

Les SICAV et les FCP français ne paient pas d'impôt sur les dividendes qu'ils reçoivent de sociétés françaises alors que le versement de dividendes français à un OPCVM étranger déclenche une retenue à la source de 25% (sous réserve des conventions fiscales).

Cette différence de traitement a amené de nombreux OPCVM étrangers à introduire des contentieux devant le tribunal administratif de Montreuil, lequel a renvoyé la question au Conseil d'Etat qui vient de rendre son avis.

L'existence d'une restriction à la liberté de circulation des capitaux est clairement reconnue, mais pour la condamner, il reste à vérifier si la différence de traitement concerne des situations objectivement comparables ou si la restriction peut être justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général.

L'avis marque une différence entre les relations avec d'autres Etats membres et celles concernant des Etats tiers.

1. OPCVM établis dans d'autres Etats de l'UE

Pour savoir si la différence de traitement est légitime, il faut d'abord déterminer si la comparaison doit porter sur le traitement fiscal des véhicules d'investissement eux-mêmes ou si elle doit également tenir compte du traitement de leurs actionnaires ou membres, comme l'administration le soutient.

1.1. Rester au niveau des OPCVM ?

Dans ce cas, la comparabilité entre OPCVM étrangers et français est acquise, conformément à la jurisprudence communautaire qui admet cette comparabilité en dépit des différences tenant à la spécificité de la forme juridique et du traitement fiscal des entités étrangères.

Et toujours dans ce cas, si différence de traitement il y a, elle peut être justifiée par la possibilité d'imputer la retenue à la source à l'étranger conformément à la convention fiscale applicable si l'administration démontre l'imputation effective, complète et sans désavantage de trésorerie de la retenue à la source française(2). Le Conseil d'Etat adopte ainsi la position selon laquelle un simple désavantage de trésorerie peut constituer une atteinte à la liberté de circulation des capitaux et celle selon laquelle l'octroi par l'autre Etat d'un crédit d'impôt unilatéral n'est pas suffisant.

1.2. Tenir compte de la situation des porteurs de parts ?

Pour le Conseil d'Etat, c'est une possibilité « compte tenu, d'une part, de l'objet exclusif des OPCVM, qui est d'assurer, comme simples intermédiaires, non nécessairement dotés de la personnalité morale, des placements pour le compte d'investisseurs, et d'autre part de l'imposition effective des dividendes pesant, soit directement, du fait du régime fiscal des OPCVM établis en France, soit indirectement, du fait de la retenue à la source appliquée aux OPVCM non résidents, sur les porteurs de parts, qu'ils soient résidents ou non résidents (.. .). La conformité de la retenue à la source au principe de libre circulation des capitaux pourrait être admise dans tous les cas où, soit les situations ne pourraient, compte tenu de l'ensemble du régime fiscal applicable, être regardées comme objectivement comparables, soit une raison impérieuse d'intérêt général tirée de l'efficacité des contrôles fiscaux justifierait la différence de traitement ».

Le Conseil d'Etat, sur ce point, se montre nettement plus en retrait dans son analyse que la CJUE, sans doute pour laisser à celle-ci toute liberté quant au raisonnement à tenir.

La consécration de cette thèse poserait de sérieux problèmes pratiques. Pour que la retenue à la source ne soit pas contraire au droit de l'UE, il faudrait démontrer que ladite retenue augmentée de l'impôt étranger appliqué au porteur de part n'aboutit pas finalement à une charge fiscale supérieure à celle subie par le porteur de part d'un OPCVM français. On peut prévoir des résultats d'une très grande variabilité.

En France, la situation des porteurs de parts varie notamment selon qu'il s'agit de personnes physiques ou morales et que s'applique, ou non, un régime fiscal particulier (PEA par exemple). Pour les porteurs de parts résidant à l'étranger, il faudrait s'intéresser à la façon dont le droit local traite, en premier lieu, les OPCVM et, en second lieu, les investisseurs. Le traitement à l'étranger (imputation ou non) de la retenue à la source française doit-il être pris en compte ? Sachant de surcroît que les porteurs de parts d'un même OPCVM peuvent être résidents d'une multitude de pays, cela représenterait une lourde charge administrative pour les opérateurs.

Bien que cette seconde thèse apparaisse contraire à plusieurs arrêts de la Cour de justice(3), le Conseil d'Etat, sous l'impulsion de son rapporteur public, estime que les arrêts rendus par la CJUE n'apportent pas de solution claire, ce qui justifie que la question soit soumise, à titre préjudiciel, à la CJUE.

2.OPCVM établis dans des Etats tiers

Les Etats membres peuvent laisser subsister à l'égard des Etats tiers à l'UE des restrictions existant au 31 décembre 1993 (art. 64 TFUE). Encore faut-il que les investissements en cause soient « directs », c'est-à-dire qu'ils permettent notamment à l'actionnaire de participer effectivement à la gestion ou au contrôle, ce qui n'est pas le cas ici.

La restriction à la liberté de mouvement des capitaux avec des pays tiers peut aussi se justifier par le motif tiré de l'efficacité des contrôles fiscaux. Mais cette justification ne peut être retenue, selon le Conseil d'Etat, lorsque l'Etat tiers (tels les Etats-Unis) est lié à la France par une convention fiscale prévoyant une assistance administrative mutuelle visant à prévenir l'évasion et la fraude fiscales.

3. Applicabilité du délai de réclamation allongé

Les requérants avaient en principe jusqu'au 31 décembre de la deuxième année suivant celle au cours de laquelle la retenue à la source a été acquittée pour introduire une réclamation. Ayant laissé passer ce délai, ils ont invoqué le fait que l'incompatibilité du 2 de l'article 119 bis du CGI aurait été révélée par l'arrêt Amurta du 7 juin 2007, ce qui avait pour effet de rouvrir le délai de réclamation en application de l'article L.190 du LPE. Cet arrêt est celui par lequel la CJCE avait jugé contraire à la liberté de circulation des capitaux la loi néerlandaise prévoyant une retenue à la source sur des dividendes sortants.

Cette décision pouvait-elle être considérée comme révélant l'incompatibilité du droit français avec le droit de l'UE alors qu'elle concernait un Etat étranger ?

Le refus de l'administration était connu (BOI 13O-1-06 § 28).

Le Conseil d'Etat est plus nuancé : « Seules les décisions de la CJUE retenant une interprétation du droit de l'Union qui révèle directement une incompatibilité avec ce droit d'une règle applicable en France » relèvent du délai de réclamation allongé. Ce n'est pas le cas, précise le Conseil d'Etat, d'arrêts concernant la législation d'autres Etats membres sauf si la Cour révèle, « par l'interprétation qu'elle donne d'une directive, la transposition incorrecte de cette dernière en droit français ».

La révélation de l'imcompatibilité de la loi française par un arrêt de la CJUE relatif à un autre Etat membre sera donc rare, mais néanmoins imaginable, notamment en matière de TVA.

4. Conditionsformelles de recevabilité d'une réclamation

Le contentieux avait été introduit par les OPCVM eux mêmes. Ceux-ci n'ont généralement pas été en mesure de produire la déclaration 2777 souscrite par l'établissement payeur des dividendes, généralement une banque française. L'administration avait soutenu que le réclamant n'avait pas joint, comme il y était tenu, « les pièces justifiant le montant de la retenue ou du versement » (LPF art.R. 197-3 d).

Le Conseil d'Etat se montre plus souple et estime que le requérant « peut produire toutes pièces établissant le versement de la retenue litigieuse pour peu qu'elles en précisent la date et l'établissement payeur » (ici des attestations établies par le dépositaire des actions).

5. Prochaine étape

Le TA de Montreuil va maintenant se prononcer sur les requêtes dont il est saisi. Les réponses apportées vont lui permettre de trancher définitivement certains litiges, notamment pour les retenues versées au titre d'années désormais prescrites compte tenu de l'interprétation de l'article L. 190 du LPF retenue par le Conseil d'Etat, mais le tribunal devrait suivre l'invitation à saisir la CJUE d'une question préjudicielle avant de régler les autres. La CJUE est par ailleurs saisie par la Commission de recours en manquement formés contre de nombreux autres Etats membres dont la France. Sa position est donc très attendue.

1. Avis CE 23 mai 2011, n° 344678, Société Santander Asset Management.

2. Cf. CJUE, 7 juin 2007 C-379/05, Amurta.

3. Notamment Aberdeen Property, 18 juin 2009, C-303/07 ; Commission c. Italie, 19 novembre 2009, C-540/07

par Stéphane Austry, avocat associé et Daniel Gutmann, of counsel,

Article paru dans la revue Option Finance du 20 juin 2011

Auteurs

Portrait deStéphane Austry
Stéphane Austry
Associé
Paris
Portrait deDaniel Gutmann
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