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La décision QPC Imnoma : une première en faveur des droits du contribuable

31/03/2011


Première déclaration d’inconstitutionnalité d’une loi rétroactive en matière fiscale susceptible de concerner plus d’un contribuable, la décision du Conseil constitutionnel est riche en enseignements(1)


Dans l'affaire société Imnoma, il s’agissait de soumettre au contrôle de constitutionnalité un texte dont la rétroactivité avait d'ores et déjà été contestée, mais sans succès, devant le juge de l'impôt.

A la suite de l'abandon par le Conseil d'Etat de sa jurisprudence de 1973 sur l'intangibilité du bilan d'ouverture, l'article 43 de la loi de finances rectificative (LFR) pour 2004 était intervenu non seulement pour rétablir, pour les exercices clos à compter du 1er janvier 2005, le principe en question, mais également pour valider les impositions établies avant cette date, ainsi que les décisions prises sur les réclamations, en tant qu'elles seraient contestées sur ce point par le contribuable.

De nombreux contribuables s’étaient plaints de cette validation rétroactive, mais, devant le juge de l'impôt, cette contestation n'avait pas prospéré.

Pourtant, Nathalie Escaut, dans ses conclusions sous l’affaire Getecom (CE 19 novembre 2008, n° 92948) et Laurent Olléon, sous la décision de renvoi de la QPC présentée par la société Imnoma, ont fait état des doutes que suscitaient les motifs d'intérêt général avancés par l’administration (préservation de la sécurité juridique, suppression de l’effet d’aubaine et motif budgétaire).

Le Conseil constitutionnel s’est toutefois placé sur un autre terrain pour censurer la validation rétroactive. Le commentaire de la décision aux Cahiers du Conseil constitutionnel fait apparaître que les motifs tirés de la préservation de la sécurité juridique et de la suppression de l'effet d'aubaine pouvaient apparaître au Conseil constitutionnel comme des motifs susceptibles de justifier la validation. La décision société Imnoma semble donc confirmer, en creux, l'approche très extensive par le Conseil constitutionnel de la notion de motifs d'intérêt général de nature à justifier une loi de validation et cristalliser sur ce point une divergence d'approche assez nette avec la jurisprudence de la CEDH.

L'atteinte à l'égalité des armes : une innovation jurisprudentielle

Pour censurer la loi de validation relative à l'intangibilité du bilan d'ouverture, le Conseil constitutionnel se fonde sur la méconnaissance du principe de valeur constitutionnelle de l’équilibre des droits des parties dans un procès. C’est ce fondement qui le dispense de s'interroger sur le motif d'intérêt général susceptible de justifier la validation rétroactive.

Le principe, qui découle du droit au recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la DDHC, n'avait jusqu'à maintenant été reconnu par sa jurisprudence qu'en matière de procédure pénale. Compte tenu de la formulation très générale retenue cette fois, il semble clair que toute loi ou règle fiscale rétroactive « asymétrique » doit être tenue pour inconstitutionnelle, quels que soient les motifs d'intérêt général qui pourraient être mis en avant. Et cette décision semble concerner d'autres domaines où la procédure fiscale contentieuse comporte encore des règles « asymétriques » entre contribuables et administration.

On pense naturellement à l'article R 200-18 du LPF qui ménage au ministre un délai d'appel qui peut excéder celui dont le contribuable dispose. Par le passé, ces dispositions réglementaires ont été jugées conformes au principe d’égalité des armes découlant de l’article 6§1 de la CEDH. Mais la question de la conformité de ces dispositions au principe constitutionnel de l'équilibre des droits des parties pourrait permettre de rouvrir le débat. La jurisprudence du Conseil constitutionnel n'interdit pas seulement au législateur d'instituer des « distinctions injustifiées » mais lui impose aussi d'assurer « aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties ».

Conséquence de la décision Imnoma sur la règle contestée

En vertu de l'article 62 de la Constitution la décision par laquelle le Conseil constitutionnel déclare une disposition non conforme à la Constitution a pour effet d'abroger pour l’avenir cette disposition à la date de la décision.

Pour le passé, le Conseil constitutionnel doit déterminer « les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». Il précise ici que la déclaration d'inconstitutionnalité du paragraphe IV de l'article 43 de la LFR pour 2004 « peut être invoquée dans les instances en cours à cette date et dont l'issue dépend de l'application des dispositions déclarées inconstitutionnelles ».

La théorie de l'intangibilité peut parfois jouer en faveur des contribuables, et c'est précisément le fait que la loi de validation ne maintenait les effets pour le passé de cette théorie que lorsqu'ils étaient favorables à l'administration qui a conduit à la censure. Mais la déclaration d'inconstitutionnalité se borne à rétablir la symétrie en privant l'administration de la possibilité d'invoquer la théorie de l'intangibilité pour les exercices antérieurs au 1er janvier 2005. Elle ne saurait en revanche être interprétée comme permettant aux contribuables qui y auraient avantage d'invoquer cette théorie. Cela étant, les contribuables ne seraient-ils pas en mesure de se prévaloir, sur le fondement de l'article L 80 A du LPF, des commentaires faits par l'administration de la théorie de l'intangibilité du bilan dans la documentation de base 4 A-215, à jour au 9 mars 2001, n° 20 s ? L'administration ne les a rapportés que le 29 juin 2006 (BOI 4 A-10-06). Ils paraissent donc invocables ratione temporis pour la détermination des résultats des exercices clos avant le 1er janvier 2005.

La limitation des effets de la déclaration d'inconstitutionnalité aux « instances en cours » nous semble être source de difficultés.

Que faut-il entendre par « instances en cours » ? Cela ne semble viser que les instances juridictionnelles. Mais en matière fiscale, il résulte d'une jurisprudence constante que la réclamation préalable devant l’administration constitue une « instance ressortissant à la juridiction contentieuse » et est pour ce motif assimilé à une instance devant les juridictions. En toute logique, le juge de l'impôt devrait donc considérer que la décision Imnoma peut être invoquée par tous les contribuables qui ont introduit une réclamation préalable à la date du 10 décembre 2010, non irrévocablement tranchée par le juge de l'impôt.

Qu'en est-il pour les autres contribuables, ceux qui n'auraient pas introduit une telle réclamation à cette date ? A s'en tenir au texte de la décision Imnoma, les contribuables auxquels ont été notifiés des AMR fondés sur les dispositions déclarées inconstitutionnelles mais qui, alors même que le délai de réclamation ne serait pas expiré, n'avaient pas formé de réclamation à la date de cette décision ne sauraient utilement l’invoquer. Il en va a fortiori de même à nos yeux pour les contribuables pour lesquels le délai de réclamation serait expiré.

Qu’en est-il enfin des contribuables qui ont vu leur requête tranchée quelques mois avant l'entrée en vigueur de la réforme instaurant la QPC ? Il n'existe en plein contentieux fiscal aucune voie de droit permettant à ces derniers de faire valoir la décision Imnoma. Mais la voie d'une action en responsabilité fondée sur l'article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH pourrait être explorée.


1. Cet article est une version condensée de celui que l’auteur a publié au Feuillet rapide fiscal-social n°2 du 14 janvier 2011, p. 15


Par Stéphane Austry, Avocat associé,

Article paru dans la revue Option Finance du 21 février 2011

Auteurs

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Stéphane Austry
Associé
Paris