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La double imposition au sein du marché unique : bilan et perspectives

30/01/2012


La Commission européenne souligne la nécessité de poursuivre la lutte contre les cas de double imposition au sein de l’Union européenne et propose dès à présent des actions concrètes


I. La Commission européenne recommande de renforcer la lutte contre les cas de double imposition

Dans une communication du 11 novembre 2011, la Commission présente la double imposition comme « une entrave majeure et un réel enjeu pour le marché intérieur » (Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen, La double imposition au sein du marché unique, COM (2011) 712 final).

On ne peut en effet se satisfaire de la jurisprudence de la Cour de justice selon laquelle, en l’état actuel du droit de l’Union européenne, la double imposition n’est contraire à aucune règle ni à aucune liberté fondamentale inscrites dans les Traités.

Ce constat conduit la Commission, après avoir recensé l’ensemble des cas résiduels de double imposition dans l’Union européenne, à formuler plusieurs propositions à l’intention des Etats membres.

Il faut tout d’abord réformer la directive « intérêts et redevances » : les modalités envisagées pour cette réforme sont contenues dans la proposition de directive présentée dans la seconde partie de cet article.

Il faut ensuite étendre le champ d’application des conventions fiscales conclues entre Etats membres à des impôts non couverts par elles. La Commission accorde à cet égard beaucoup d’importance au cas des successions transfrontalières à propos desquelles elle a publié, le 15 décembre 2011, une communication et une recommandation spécifiques.

La Commission estime également qu’il est essentiel d’harmoniser au niveau de l’UE l’interprétation de certaines notions clés des conventions fiscales concernant les revenus : c’est le cas, par exemple, des notions d’établissement stable, de résidence fiscale, de redevances, de revenus commerciaux, de dividendes etc.

Il convient enfin de faciliter et d’accélérer la résolution des litiges au sein de l’UE en stimulant le recours à la procédure d’arbitrage prévue dans la convention multilatérale de 1990 et désormais aussi dans le modèle de convention fiscale de l’OCDE.

Au titre des annonces, la Commission prévoit de présenter des solutions en 2012 en ce qui concerne la double imposition transfrontalière des dividendes versés aux investisseurs en portefeuille, de créer un forum sur la double imposition pour les questions fiscales relevant purement de l’Union européenne et de proposer un code de conduite en matière de double imposition.

Il ne reste qu’à espérer que les Etats membres suivront le mouvement initié par la Commission. Si l’harmonisation des systèmes fiscaux est sans doute un vœu pieu, la coordination des politiques fiscales des Etats membres est un objectif moins ambitieux mais qui pourrait suffire à remédier aux insuffisances les plus criantes de la construction européenne.

II. La Commission européenne fait une proposition de directive sur les paiements d’intérêts et de redevances

Une proposition de directive dont la transposition est prévue pour le 1er janvier 2013 vise à élargir le champ de la dispense de retenue sur les paiements d’intérêts et de redevances entre entreprises associées (proposition de directive COM/2011/714).

La directive 2003/49 du 3 juin 2003 (JO du 26 juin 2003 L 157/49), dont la France a assuré la transposition dans les articles 119 quater et 182 B bis du CGI à compter du 1er janvier 2004, a posé le principe d'une dispense de retenue à la source sur les paiements d'intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d'Etats membres différents.

Les sociétés concernées - qui doivent être soumises à l'impôt sur les sociétés ou à son équivalent étranger - sont limitativement désignées par leur forme, les formes retenues étant celles énumérées par les directives « fusion » et « mère filiales » dans leur version d’origine du 23 juillet 1990(1). Du côté français, seules les sociétés qui revêtent la forme de SA, de SARL ou de société en commandite par actions sont ainsi aptes à se prévaloir de la dispense de retenue sur les versements que leur font leurs associés établis au sein de l’Union européenne, ce qui laisse notamment de côté les SAS et les sociétés civiles ou les SNC ayant opté pour leur assujettissement à l'IS.

Le lien d'association suppose, précise la directive :

  • qu'une participation directe de 25 % au moins soit détenue par l'une des sociétés parties à la transaction (en tant que créancière ou débitrice) dans le capital de l'autre : cas des versements s'opérant mutuellement entre une mère et sa filiale ;
  • ou que le capital de chacune des deux sociétés parties à la transaction soit détenu directement à 25 % au moins par une tierce société établie dans un Etat membre quelconque : cas des versements effectués entre deux sociétés sœurs.

La proposition de directive présentée par la Commission le 11 novembre 2011 vise à ramener de 25 % à 10 % le taux de détention requis pour caractériser le lien d’association (qu’il soit direct ou provienne de l’existence d’un contrôle commun). Cette proposition constitue un compromis entre la situation actuelle et l’objectif, caressé un temps par la Commission européenne, d’éliminer toutes les retenues à la source sur intérêts et redevances indépendamment de toute relation capitalistique entre débiteur et créancier.

Côté français, la proposition étend le bénéfice de la dispense, quelle qu’en soit la forme, à l’ensemble des sociétés assujetties à l’IS recevant des intérêts ou redevances dont le débiteur est un associé établi dans un autre Etat membre.

Dans chacun des autres Etats de l’Union, la proposition de directive tend, de même, à étendre la liste des formes sociales donnant accès au régime de dispense. Cette libéralisation n’aura guère de conséquences pour les sociétés créancières d’intérêts de source française, auxquelles notre législation épargne déjà toute forme de retenue à la source (CGI, art. 119 bis I, 3°alinéa). Elle prendra, en revanche, toute sa portée pour celles des sociétés créancières de redevances de source française qui ne tirent pas de la convention fiscale conclue entre leur Etat de résidence et la France le droit à l’élimination complète de la retenue à la source frappant ces paiements (cas notamment de celles établies au Danemark, en Espagne, en Italie, au Portugal, en Pologne, en Roumanie et en République tchèque).

La proposition de directive prévoit en outre quelques aménagements dont les deux plus importants nous paraissent être les suivants :

  1. On sait que la dispense de retenue instituée sur les paiements effectués entre sociétés associées s'étend aux paiements que l'établissement stable de l'une des deux, situé dans un Etat membre autre que celui du siège de cette société, effectue ou reçoit à l'occasion d'une transaction conclue avec l'autre société (ou avec l'établissement stable de cette autre société associée, situé dans un Etat membre autre que celui de son siège). Suivant la directive actuelle, il faut alors que les sommes payées par l'établissement stable constituent une charge fiscalement déductible pour la détermination de son résultat imposable. A l’avenir, il suffira que le paiement représente une charge supportée aux fins des activités de l'établissement stable.
  • Suivant la directive actuelle, la personne morale bénéficiaire doit justifier auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement des revenus qu'elle en est le bénéficiaire effectif et qu'elle remplit les conditions suivantes :
    - avoir son siège de direction effective dans un Etat membre ;
    - revêtir l'une des formes prescrites ;
    - être passible, dans l'Etat membre où elle a son siège de direction effective, de l'impôt sur les sociétés de cet Etat sans en être exonérée.

Il sera dorénavant exigé en outre que la société bénéficiaire des revenus établisse qu’elle est effectivement soumise à l’impôt sur les revenus provenant des paiements concernés.

Les Etats membres sont invités à transposer les nouvelles règles dans leur législation pour le 1er janvier 2013.


1. désormais Directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011


Par Daniel Gutmann, Avocat associé, , Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne
et membre du cercle des fiscalistes, et

Jean-Yves Mercier, Avocat associé et membre du cercle des fiscalistes

Article paru dans la revue Option Finance du 30 janvier 2012

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Daniel Gutmann
Associé
Paris