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La retenue à la source sur les paiements d'intérêts et de redevances entre sociétés associées : le droit français dans le collimateur de la Commission européenne

18/09/2009

Une étude envoyée par la Commission au Conseil de l'UE le 17 avril 2009 fait le bilan de la mise en œuvre de la directive 2003/49/CE (directive "intérêts-redevances") dans les différents Etats membres près de 6 ans après son adoption le 6 juin 2003. Ce rapport permet de dégager plusieurs pistes de réflexion, notamment contentieuses, pour les sociétés soumises à retenue à la source en France.

Selon la Commission européenne, certaines conditions posées par l'article 119 quater du Code général des impôts pour exonérer de retenue à la source les paiements d'intérêts et de redevances effectués par une société française à une société liée d'un autre Etat membre sont contraires au droit communautaire. Si la France n'est jamais citée nommément dans son rapport, il suffit de se référer à notre droit interne pour comprendre que, derrière les observations portant de façon générale sur la transposition défectueuse de la directive, se cache une critique bien réelle du droit français. Ce rapport mérite un examen attentif, non seulement au vu des perspectives contentieuses qu'il ouvre pour se voir restituer la retenue à la source supportée sur les flux d'intérêts et de redevances mais aussi parce que la plupart des critiques adressées au système français peuvent par analogie être formulées à la transposition de la directive n° 90/435 du 23 juillet 1990 concernant le régime applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents. Il recèle par ailleurs d'autres observations relatives aux perspectives d'évolution de la directive.

1. Perspectives contentieuses

1.1 Griefs à l'encontre de la législation française

Premièrement, l'article 119 quater 2 subordonne l'exonération de retenue à la source à la preuve par la société bénéficiaire des intérêts ou redevances qu'elle a son siège de direction effective dans un Etat membre de la Communauté européenne. Le même texte exige que la société bénéficiaire soit passible, au titre des intérêts ou redevances reçus, de l'impôt sur les sociétés de cet Etat sans pouvoir en être exonérée. Or, la Commission estime que ces exigences ne figurent pas dans la directive. Elle rappelle que les conditions énoncées à l'article 3 de la directive "sont exhaustives, ce qui ne laisse aucune latitude pour imposer d'autres conditions et restrictions". Si la directive s'accommode d'une exigence d'imposabilité de la société bénéficiaire en tant qu'entité, elle ne permet pas d'exiger que le paiement de l'intérêt ou de la redevance soit lui-même imposé.

Deuxièmement, l'article 119 quater 3 écarte l'exonération lorsque les revenus bénéficient à une personne morale ou à un établissement stable d'une personne morale contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d'Etats qui ne sont pas membres de la Communauté européenne et si la chaîne de participations a comme objet principal ou comme l'un de ses objets principaux de tirer avantage de l'exonération de retenue à la source. Le propos de la Commission à ce sujet est également critique. Selon elle, "il est peu probable qu'une disposition du droit interne (...) qui permet à un Etat membre de refuser l'exonération au seul motif que la société mère est contrôlée par un résident d'un pays tiers (...) satisfasse au critère de proportionnalité, étant donné qu'elle "n'a pas pour objet spécifique d'exclure d'un avantage fiscal les montages purement artificiels". Et la Commission d'ajouter : "le critère du bénéficiaire énoncé à l'article 1er [de la directive] a spécifiquement pour objet de lutter contre les montages impliquant les intermédiaires fictifs. En conséquence, on peut douter qu'une société satisfaisant au critère du "bénéficiaire" puisse être considérée comme un intermédiaire fictif en application de l'article 5".

Troisièmement, la Commission s'intéresse au sort des intérêts jugés excessifs par l'administration fiscale pour estimer que, si les Etats membres sont libres de les requalifier en distribution de bénéfices, ils doivent en tirer les conséquences et leur réserver le bénéfice de l'exonération de retenue à la source résultant de la directive précitée sur les sociétés mères et filiales. La France, en ne le faisant pas, se rendrait ainsi coupable d'une violation de cette dernière directive. Cette position s'appuie sur l'analyse développée par l'avocat général Mischo dans ses conclusions sous l'affaire Lankhorst-Hohorst (C-324/00). Elle constitue un leitmotiv de la Commission européenne qui avait proposé dès 1998 d'inclure dans le texte de la directive intérêts-redevances que les intérêts requalifiés en bénéfices distribués doivent être soumis à la directive mères-filiales.

1.2 Pertinence des griefs exposés

Ces différents griefs articulés par la Commission européenne sont autant d'arguments que les praticiens peuvent brandir pour surmonter un refus d'exonération de retenue à la source qui serait opposé par l'administration française à une société étrangère ne remplissant pas toutes les conditions prévues par l'article 119 quater du Code général des impôts ou recevant un intérêt dont la partie jugée excessive serait soumise à retenue à la source en violation de la directive sur les sociétés mères et filiales.

Sur le fond, cependant, il convient de rester prudent quant aux perspectives de succès de cette argumentation devant les juges. S'agissant, par exemple, de la condition tenant à l'absence de contrôle par une société non résidente de la Communauté européenne, il convient de relever que le droit français est rédigé de façon subtile. La retenue à la source n'est rétablie, en présence de sociétés contrôlées par des résidents d'Etats tiers, qu'en cas de montage artificiel destiné à tirer profit de l'exonération. L'administration française pourrait donc opposer à l'argumentation de la Commission que le droit français satisfait au critère de proportionnalité.

Par ailleurs, le rapport de la Commission ne dissipe pas l'ambiguïté qui demeure, à la lecture de la directive, concernant le domaine d'application de la clause générale anti-abus qui figure à l'article 5. Si la Commission considère manifestement qu'il doit être entendu de façon très restrictive, les administrations ne manqueront pas de faire valoir que cette latitude donnée par la directive aux Etats membres n'empêche pas de définir de façon plus circonscrite le champ des bénéficiaires de l'exonération de retenue à la source. Une prochaine réforme de la directive intérêts-redevances devra nécessairement clarifier ce point.

Si cette réforme intervient, il est d'ailleurs possible qu'elle conduise à restreindre par endroits la portée de l'exonération instituée par le texte communautaire. Il ne peut ainsi être exclu qu'une nouvelle mouture de la directive retienne - suivant une suggestion faite par la Commission en décembre 2003 ! - l'exigence que les sociétés bénéficiaires de l'exonération de retenue à la source soient effectivement imposées sur les intérêts et redevances. Serait ainsi consacrée une solution que la Commission reproche aujourd'hui à la France de retenir, mais qui pourrait bien n'avoir que le défaut d'être prémonitoire.

2. Perspectives de réforme de la directive évoquées par la Commission

La Commission propose un élargissement du champ d'application de la directive.

Non sans audace, il est ainsi envisagé que les paiements "intra-entreprise" soient traités comme les paiements entre entités distinctes, anticipant sur les réflexions actuellement menées par l'OCDE. La logique qui prévaut est que si des Etats membres étaient tentés à l'avenir de prélever une retenue à la source sur ces flux fictifs, les sociétés puissent à tout le moins bénéficier de la protection instaurée par la directive.

Par ailleurs, la Commission pose l'objectif d'une suppression des frottements fiscaux affectant les flux entre entreprises non liées dans les mêmes conditions qu'entre entreprises associées. La condition tenant à la détention d'une participation directe de 25% du capital ou des droits de vote pourrait ainsi disparaître à terme. Il conviendrait à tout le moins d'aligner les seuils de participation sur celui retenu par la directive sur les sociétés mères et filiales. L'alignement pourrait aussi s'étendre à la suppression de la restriction du champ de la directive intérêts-redevances aux seules participations directes. S'agissant des redevances, la Commission émet même l'avis d'une exonération sans condition de détention, eu égard à l'objectif de l'article 163 du traité CE, à savoir "…renforcer les bases scientifiques et technologiques de l’industrie de la Communauté et favoriser le développement de sa compétitivité internationale…". On notera à ce sujet que dans leurs négociations bilatérales avec les Etats-Unis, les Etats membres admettent une exonération de retenue à la source sur les redevances sans condition de participation (c'est le cas du dernier avenant signé entre la France et les Etats-Unis).

Daniel Gutmann,
Of Counsel

Article paru dans la Revue Option Finance du 18 mai 2009

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Daniel Gutmann
Associé
Paris