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Le périmètre de l'intégration fiscale à l'épreuve du droit de l'Union européenne : réflexions sur l'arrêt X Holding de la CJUE

15/06/2010

L'arrêt X Holding BV du 25 février 2010 (C-377/08) était attendu avec une certaine impatience par les praticiens désireux de savoir si l'intégration fiscale peut être étendue à des filiales étrangères. La solution donnée par l'arrêt les a déçus à bien des égards. La Cour a en effet jugé que la loi néerlandaise permettant à une société mère de constituer une entité fiscale unique avec une filiale résidente contrôlée à 95% ne porte pas atteinte à la liberté d'établissement, même si elle exclut que le groupe fiscal ainsi formé s'étende aux filiales établies dans un autre Etat membre de l'Union européenne.


Le raisonnement de la Cour mérite d'être restitué (I). Il permettra de dégager la portée de l'arrêt pour les entreprises françaises (II).

I- Le raisonnement de la Cour

Le raisonnement de la Cour brille par sa simplicité (A) mais n'échappe pas à la critique (B).

A) Un raisonnement simple

La Cour commence par admettre que l'impossibilité de former un groupe fiscal intégrant des filiales étrangères rend certes "moins attrayant" l'exercice par la société mère de sa liberté d'établissement. Cette restriction est cependant justifiée, selon la Cour, par une raison impérieuse d'intérêt général, à savoir la préservation de la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les Etats membres. La Cour énonce en effet que "la société mère pouvant décider à son gré de constituer une entité fiscale avec sa filiale et de dissoudre cette entité tout aussi librement d'une année à l'autre, la possibilité d'inclure dans l'entité fiscale unique une filiale non-résidente reviendrait à lui laisser la liberté de choisir le régime fiscal applicable aux pertes de cette filiale et le lieu où celles-ci seraient prises en compte. Le périmètre de l'entité fiscale pouvant ainsi être modifié, admettre la possibilité d'y inclure une filiale non-résidente aurait pour conséquence de permettre à la société mère de choisir librement l'Etat membre où elle fait valoir les pertes de cette filiale" (points 31 et 32 de l'arrêt).

La Cour estime par ailleurs que le dispositif néerlandais ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi. Elle rejette en particulier l'argument présenté par la société X Holding, selon lequel il aurait été possible pour les Pays-Bas d'étendre aux filiales non-résidentes la possibilité, existant pour les établissements stables étrangers, d'imputer leurs pertes de façon temporaire, celles-ci étant récupérées lors d'exercices ultérieurs. Faute pour les établissements stables et les filiales de se trouver dans la même situation au regard de la répartition du pouvoir d'imposition, rien n'oblige les Pays-Bas, selon la Cour, à les traiter de la même façon. Cette analyse conduit donc à une validation totale du dispositif néerlandais au regard du droit de l'Union européenne.

B) Un raisonnement critiquable

Il était encore permis de s'interroger, à la lumière de la jurisprudence antérieure, sur la portée exacte qu'il convenait de reconnaître à la justification tirée du concept prétorien et flou de "préservation de la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition". L'arrêt X Holding BV a, d'une certaine façon, l'avantage de clarifier la situation. Prolongeant la logique en germe dans l'arrêt Oy AA du 18 juillet 2007 (C-231/05), la Cour confirme que la préservation de la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les Etats membres constitue une justification auto-suffisante des restrictions apportées par les Etats membres à la liberté d'établissement.

Force est cependant de constater que la Cour ne convainc pas lorsqu'elle réfute toute comparaison, "en ce qui concerne la répartition du pouvoir d’imposition", entre établissements stables situés dans un autre État membre et filiales non-résidentes, pour en déduire que l’État membre d’origine n’est pas tenu d’appliquer aux filiales non-résidentes le même régime fiscal qu’il applique aux établissements stables étrangers. Certes, on ne peut systématiquement comparer une filiale étrangère et un établissement stable en vue de leur appliquer un traitement fiscal identique. Toutefois, il nous semble que la Commission européenne faisait justement observer que, dans certaines circonstances, la comparaison peut être valablement opérée. Tel est notamment le cas lorsqu'un régime fiscal de groupe a pour objectif d'assimiler, sur le plan fiscal, les filiales résidentes à des établissements stables. Il s'ensuit que les filiales non-résidentes pourraient être traitées dans le cadre d'un groupe transfrontalier de la même manière que les établissements stables étrangers. Lorsque des pertes étrangères afférentes à des établissements stables peuvent être imputées sur les bénéfices du siège, il devrait donc pouvoir en aller de même pour des pertes réalisées par des filiales réunissant les conditions qui lui auraient permis de bénéficier du régime de groupe en droit interne.

La position de la Cour dans l'affaire X Holding peut d'autant plus se discuter que, dans une autre affaire intéressant la possibilité pour une société mère française de former un groupe avec une sous-filiale française détenue par l'intermédiaire d'une société établie dans un autre Etat membre, la Cour avait reconnu que les dispositions du Code général des impôts relatives à l'intégration fiscale "visent à assimiler le plus possible à une entreprise ayant plusieurs établissements le groupe constitué par une société mère avec ses filiales et ses sous-filiales, en permettant de consolider les résultats de chaque société" (arrêt du 27 novembre 2008, C-418/07, point 28).

II- La portée de l'arrêt pour les entreprises françaises

Quels que soient ses mérites, l'arrêt X Holding BV apporte une certitude et des questions.

Il est certain, au lendemain de cet arrêt, que l'impossibilité d'inclure dans le périmètre de l'intégration fiscale "à la française" une filiale étrangère détenue à 95% au moins ne peut être considérée comme une atteinte de principe à la liberté d'établissement. La territorialité de l'intégration fiscale trouve donc dans l'arrêt rendu par la Cour de justice une confirmation dépourvue d'ambiguïté.

La principale question qui demeure à la lecture de l'arrêt concerne la persistance d'une faculté d'utilisation des pertes étrangères exceptionnellement ouverte aux sociétés qui peuvent démontrer que leurs filiales non-résidentes détenues dans les conditions de l'article 223 A du CGI sont dans l'impossibilité d'utiliser leurs pertes dans leur Etat d'établissement. On sait en effet qu'une telle faculté paraissait résulter de l'arrêt Marks&Spencer du 13 décembre 2005 (C-446/03) et avait été confirmée publiquement (mais seulement oralement) par certains responsables de l'administration fiscale, s'agissant du moins des pertes de liquidation.

Sur ce point, l'arrêt X Holding ne permet pas de se prononcer avec certitude. La prudence oblige en effet à reconnaître que l'arrêt donne au législateur néerlandais un brevet de conformité au droit de l'Union européenne qui n'est subordonné à la vérification d'aucune condition tenant à la possibilité d'utiliser les pertes de la filiale dans son Etat de résidence. On ne peut donc exclure que l'arrêt X Holding BV constitue, sinon un revirement, du moins l'amorce d'un retour en arrière par rapport à la jurisprudence antérieure.

Il nous semble cependant que plusieurs éléments conduisent à estimer que l'acquis fondamental de l'arrêt Marks&Spencer demeure pleinement valable. A l'invitation de l'avocat général Kokott, l'arrêt X Holding BV ne traite nullement de la question centrale dans l'arrêt Marks&Spencer, à savoir celle du traitement de pertes étrangères devenues inutilisables dans l'Etat de la filiale qui les subit. Le silence de la Cour ne peut donc être interprété comme un revirement.

En outre, le critère formulé par la Cour pour justifier la limitation territoriale du périmètre d'intégration, à savoir la liberté du choix du lieu d'utilisation des pertes, ne paraît pas s'appliquer dans l'hypothèse où une filiale étrangère est dissoute. Hormis le cas où une dissolution serait motivée par un but fiscal exclusif, on ne saurait voir dans la décision de mettre fin à l'existence d'une entité juridique l'exercice d'une liberté de choix de l'Etat où les pertes sont imputées. Il existe ainsi de forts arguments en faveur de la pérennité des solutions dégagées par l'arrêt Marks&Spencer.

En tout état de cause, on ne peut que souhaiter que l'administration fiscale française clarifie sa position sur un sujet dont l'importance économique est considérable, surtout en période de crise.


Par Daniel Gutmann, Of-counsel CMS Bureau Francis Lefebvre
Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris-1)

Article paru dans la Revue Option Finance du 26 avril 2010

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Paris