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Les nombreuses faces cachées de l’arrêt Zimmer

28/05/2010

L’arrêt Zimmer du Conseil d’Etat confirme explicitement que l’installation fixe d’affaires d’un agent dépendant ne constitue pas nécessairement un établissement stable, avant de rappeler que l'administration ou le juge disposent d'un pouvoir de requalification des contrats. Il reste en revanche plus discret sur d’autres éléments pourtant essentiels.


Le Conseil d’Etat, en 10ème et 9ème sous-sections réunies, a rendu le 31 mars 2010 un arrêt « Société Zimmer Limited », n°304715, 308525, qui était longuement attendu depuis l’arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 2 février 2007. Celui-ci avait conclu que la société française Zimmer SAS, commissionnaire de la société britannique Zimmer Limited, constituait en France un établissement stable pour celle-ci. Le Conseil d’Etat a remis la pendule juridique à l’heure en rappelant qu’aux termes du code de commerce, le commissionnaire n’engage pas son commettant vis-à-vis des tiers avec lesquels il contracte et ne peut donc constituer un établissement stable pour celui-ci. Une fois la période de soulagement passée, il nous a semblé utile de revenir sur certains aspects de l’arrêt du Conseil d’Etat, qui semblent en effet aussi riches d’enseignements en matière de fiscalité internationale qu’en matière de droit des contrats.

I- Une confirmation explicite sur des sujets structurants en matière d’établissement stable

Le concept d’établissement stable est une arme extrêmement efficace entre les mains des administrations fiscales pour attraire dans leur pays des profits importants dont elles estiment qu'ils relèvent de leur compétence territoriale. A cet égard, le Conseil d’Etat fixe des limites à l'action de l’administration fiscale, tout en confirmant son pouvoir de requalification.

A- Les locaux d’un agent dépendant ne constituent pas nécessairement un établissement stable pour son commettant

Le Conseil d’Etat rappelle les conditions d’application de la notion d’installation fixe d’affaires dans le cadre de la problématique de l’établissement stable.

La convention modèle de l’OCDE dispose en son article 5.1 que l’expression « établissement stable » désigne une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité. Les commentaires de l’OCDE précisent qu’un tel exercice doit être réalisé par des employés ou des agents dépendants de l’entreprise. S’engouffrant dans cette brèche, l’administration fiscale française se fonde régulièrement sur les commentaires de l’OCDE pour tenter d’attribuer à une entreprise non résidente l’installation fixe d’affaires de sa filiale française au motif que celle-ci est un agent dépendant de ladite entreprise.

Le Conseil d’Etat s’était d’ailleurs prononcé récemment (CE, 12 mars 2010, Imagin’Action) sur cette question en jugeant qu’une société luxembourgeoise disposait d’une installation fixe d’affaire dans les locaux de sa filiale française, mais la situation de fait était caricaturale : l’administration avait pu saisir dans les locaux de la filiale française des centaines d’exemplaires de documents à en-tête de la société luxembourgeoise, dont des factures adressées à des clients étrangers et des correspondances à des fournisseurs; une salariée de la société française avait par ailleurs agi explicitement au nom de la société luxembourgeoise. Le Conseil d’Etat a alors jugé que les moyens d’exploitation de la société luxembourgeoise étaient situés dans les locaux de la société française.

C’était un des moyens développés par le ministre dans le cadre de l’affaire Zimmer, qui considérait que l’activité de Zimmer SAS aurait été réalisée en dehors du cadre normal de l’activité de commissionnaire ; et que par conséquent ses locaux devaient être considérés comme étant à la disposition du commettant britannique. Dans la mesure où le caractère anormal de l’activité n’est nullement démontré, le Conseil d’Etat rejette cet argument en soulignant que les locaux et le personnel de la société Zimmer SAS sont à la disposition de celle-ci pour son activité propre de commissionnaire, et ne caractérise donc pas un bureau constituant une installation fixe d’affaires.

B- La confirmation du droit de l’administration et du juge de requalifier un contrat

Le Conseil d’Etat n’oublie pas le réalisme fiscal. Selon ses termes, le commissionnaire n'engage pas le commettant et ne constitue donc pas un établissement stable de celui-ci "sauf s’il ressort, soit des termes mêmes du contrat de commission, soit de tout autre élément de l’instruction, qu’en dépit de la qualification de commission donnée par les parties au contrat qui les lie, le commettant est personnellement engagé par les contrats conclus avec des tiers par son commissionnaire qui doit alors, de ce fait, être regardé comme son représentant et constituer un établissement stable".

Comme on peut le constater, le commettant est toujours à la merci d'un risque de requalification du contrat conclu avec le commissionnaire. On peut cependant se demander, en pratique, selon quelles modalités une telle requalification devrait avoir lieu. On ne peut certes exclure la possibilité d’un contrat de commissionnaire mal rédigé qui permettrait au commissionnaire d’attraire la responsabilité du commettant vis-à-vis du client, ou de courriers hasardeux de la part du commissionnaire adressés à ses clients soulignant - à tort- l’implication de son commettant. De telles hypothèses paraissent cependant devoir rester extrêmement marginales puisque, une fois encore, aucun élément de fait ne devrait pouvoir être soulevé par l'administration pour établir un soi-disant engagement de fait du commettant en raison des actes accomplis par le commissionnaire. En tout état de cause, le Conseil d’Etat met ainsi l’administration fiscale et le juge du fond devant leur responsabilité de conduire une instruction pleine et entière.

II- L’arrêt Zimmer laisse dans l’ombre les aspects économiques induits par la problématique de l’établissement stable

Paradoxalement, si les arrêts Zimmer et Interhome apportent de nombreuses précisions sur le concept d’établissement stable, ils ont tous deux conclu qu’en l’espèce aucun établissement stable n’était constitué ! Il est donc bien naturel que le Conseil d’Etat ne se penche pas sur la délicate question de l’allocation de profits à l’établissement stable. Cela est fort regrettable, car le praticien peut en effet être confronté à d’intéressants paradoxes en la matière.

On considère généralement qu’un agent transparent et un commissionnaire méritent la même rémunération, en ce qu’ils exercent des fonctions similaires et supportent de la même façon de faibles risques opérationnels (pas de risque de stock ni de risque de recouvrement). Imaginons qu’un agent transparent soit considéré comme créant un établissement stable pour son commettant, au motif qu’il signe formellement des contrats au nom et pour le compte de celui-ci, l’engageant ainsi contractuellement ; une fraction des profits du commettant devra alors être imposable en France, en plus de la rémunération nette de l’agent ; par ailleurs, un commissionnaire signera pareillement des contrats pour le compte du commettant, mais en son nom propre, sans pour autant créer une obligation fiscale française pour ce dernier en vertu de la jurisprudence Zimmer.

Le paradoxe sera que pour les mêmes fonctions et les mêmes risques pris en France, le groupe devrait payer plus d’impôt en France s’il travaille par l’intermédiaire d’un agent transparent (à cause de la qualification d’établissement stable) que s’il travaille avec un commissionnaire. La seule façon de sortir de ce paradoxe est de considérer que les profits qui doivent être alloués au simple pouvoir de signer un contrat pour un agent transparent sont négligeables, voire inexistants : mais dans ce cas-là, il n’y aurait aucune conséquence financière à la caractérisation d’un établissement stable ? Ce simple constat, combiné à la difficulté inhérente à qualifier un établissement stable, pourrait inciter l’administration fiscale française à délaisser cette approche pour se concentrer sur le niveau de rémunération des entités de distribution établies en France ; las !

Le Conseil d’Etat applique sur ce sujet la même sévérité en matière de charge de la preuve à l’égard de l’administration (voir l’arrêt Mane Camion et Bus du 5 mai 2009). C’est bien entendu pour être plus à même de rassembler des informations objectives que l’administration a fait adopter par le législateur les obligations documentaires en matière de prix de transfert effectives à compter du 1er janvier 2010. Les années à venir nous promettent à coup sûr de chaudes discussions sur ce terrain.


Stéphane Gelin, Avocat associé,
Daniel Gutmann, of-counsel, Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris-1)

Article paru dans la revue Option Finance du 19 avril 2010

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