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Questions prioritaires de constitutionnalité et fiscalité, la révolution douce …

14/12/2010


Nous présentons les dernières décisions du Conseil constitutionnel impactant la matière fiscale ou apportant un éclairage dans ce domaine


On sait que les justiciables peuvent, depuis le 1er mars 2010, demander au Conseil constitutionnel le retrait d’une loi dont ils estiment qu’elle porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Ce moyen peut être soulevé devant toute juridiction et à toute étape de la procédure mais il revient au Conseil d'Etat ou à la Cour de Cassation de décider de le soumettre ou non au Conseil constitutionnel. S’il est saisi, le Conseil constitutionnel dispose d’un délai de trois mois pour se prononcer sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Comme il fallait s’y attendre, les contestations portent souvent sur des questions fiscales. Sans succès jusqu’à présent. L’examen des QPC récentes sont néanmoins riches d’enseignement.

1. Perquisitions fiscales(1)

L’article L 16 B du Livre des procédures fiscales (LPF) régit la procédure des perquisitions fiscales. Cette procédure avait été jugée non conforme aux exigences de procès équitable par un spectaculaire arrêt Ravon de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Aussi une loi du 4 août 2008 en a-t-elle modifié l’ordonnancement et rouvert une possibilité d’appel pour le passé. Ces deux aspects de la loi ont fait l’objet de recours devant le Conseil constitutionnel, et sont aujourd’hui tous deux validés :

  • Perquisitions nouvelle mouture : Certaines des dispositions critiquées émanent de textes antérieurs à la loi de 2008, déjà validées par le Conseil et qui n’ont donc pas, en l’absence de changement de circonstances, à être réexaminées. Le Conseil écarte ensuite les griefs fondés sur la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif (art. 16 de la Déclaration de 1789). D’une part, celui tenant au défaut d’information des personnes perquisitionnées, car elles sont en réalité informées oralement ou par lettre recommandée du délai de la voie de recours. D’autre part, ceux afférents au caractère exécutoire, « au seul vu de la minute », de l’ordonnance autorisant la visite, et à la circonstance que l’appel n’est pas suspensif. Ces dispositions sont jugées indispensables à l’efficacité de la procédure et destinées à assurer la mise en œuvre de l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale, sans empêcher le requérant d’obtenir, le cas échéant, l’annulation des opérations de visite.
  • Période antérieure : La validation des perquisitions défectueuse assortie d’une nouvelle possibilité d’appel n’étant pas une peine, il n’y a pas là rétroactivité d’une loi pénale plus sévère. Le Conseil ajoute que la loi peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé si elle agit dans un but d’intérêt général suffisant et respecte les décisions de justice ayant force de chose jugée, ce qui est le cas.

2. Taxe sur les salaires(2)

L’article 231 du CGI assujettit à la taxe sur les salaires (TS) les employeurs qui perçoivent annuellement plus de 10% de recettes non soumises à la TVA. Plusieurs critiques étaient avancées.

La première portait sur la rupture manifeste d’égalité entre les non-assujettis à la TVA, qui supportent les deux impôts, et les assujettis qui échappent à la fois à la TVA (déduction de la taxe d’amont) et à la TS. Le grief est écarté car le principe d’égalité devant l’impôt s’apprécie au regard de chaque impôt pris isolément. Or il y a là deux impôts distincts. Etait aussi contesté le critère de capacité contributive retenu, les salaires, car sans lien avec les revenus dégagés par l’activité. Le grief est aussi écarté car le barème de la TS tient compte de la différence de situation entre les contribuables qui ne relèvent pas des mêmes secteurs d’activité. La loi traite ainsi différemment des entreprises placées dans des situations différentes et peut, pour ce faire, et sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, retenir les salaires comme critère de capacité contributive.

Etait enfin invoqué le fait que la réglementation ne respecte pas les objectifs du législateur qui entendait, lorsqu’il a modifié en 1968 le champ d’application de la taxe, exonérer les entreprises exportatrices. Mais, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont «pas manifestement inappropriées à l’objectif visé », le Conseil juge qu’il ne lui revient pas de rechercher si ces objectifs auraient pu être atteints par d’autre voies, car il ne dispose pas d’un « pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ».

En marge de ce débat, est abordée la question de l’incompétence négative, c’est-à-dire la délégation donnée par le législateur au gouvernement de régler des questions qui relèvent du seul domaine de la loi. Ce manquement ne peut, en soi, fonder un recours formé sur le terrain du consentement à l’impôt, mais il est invocable lorsqu’est affecté un droit ou une liberté garanti par la Constitution. Sauf, précise ici le Conseil, si la loi en cause est antérieure à la Constitution du 4 octobre 1958, restriction surprenante...

3. Cotisations sociales sur dividendes(3)

Depuis 2008, la loi assujettit aux cotisations sociales certains dividendes versés par les sociétés d’exercice libéral (SEL) à leurs associés ayant le statut de travailleur indépendant (décision prise pour mettre fin à la divergence entre la jurisprudence de la Cour de cassation et celle du Conseil d’Etat). On reprochait à cette disposition de porter atteinte aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques (art. 6 et 13 de la Déclaration de 1789), car elle crée des différences de traitement entre les professionnels libéraux et les autres travailleurs non salariés, entre les professionnels libéraux selon qu’ils exercent dans une SEL ou non, et entre les associés d’une SEL, selon qu’ils sont majoritaires ou minoritaires. On lui reprochait aussi de traiter de façon identique des associés placés dans une situation différente (associés exerçant ou non leur activité dans la SEL).

Le Conseil juge que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que la loi règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que dans les deux cas la différence de traitement soit en rapport direct avec l’objet de la loi. Il ajoute, conformément à sa jurisprudence traditionnelle, que le principe d’égalité n’oblige pas à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes, jurisprudence qui tranche nettement avec celle de la CEDH.

Le Conseil, estimant que les associés majoritaires peuvent se verser les revenus tirés de l’activité des SEL soit sous forme de rémunération, soit sous forme de dividendes, juge que le législateur a voulu dissuader le versement de dividendes dans le seul but d’échapper aux cotisations sociales, qu’il a souhaité éviter les conséquences financières préjudiciables à l’équilibre des régimes sociaux et qu’il a voulu mettre fin à des divergences de jurisprudence. Il trouve là un objectif d’intérêt général et juge qu’en réservant l’assujettissement aux seuls dividendes qui représentent une part significative du capital social de la SEL, la loi a défini des critères objectifs et rationnels. Il n’y a donc pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.

4. Cession gratuite de terrain(4)

La question de l’incompétence négative (cf. ci-avant point 3), est revenue devant le Conseil à propos d’un article du code de l’urbanisme qui permet aux communes d’imposer aux constructeurs, par une prescription incluse dans l’autorisation d’occupation du sol, la cession gratuite d’une partie de leur terrain. Constatant que ce texte attribue à la collectivité publique le plus large pouvoir d’appréciation sur l’application de cette disposition, sans définir les usages publics auxquels seront affectés les terrains ainsi cédés, le Conseil juge que, en l’absence de disposition législative garantissant en la matière le respect de la propriété de l’article 17 de la Déclaration de 1789, le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence. La disposition est abrogée à compter de la publication de la décision et peut être invoquée dans les instances en cours à cette date dont l’issue dépend de l’application des dispositions ainsi déclarées inconstitutionnelles.

On constate ainsi que l’incompétence négative, si elle ne peut pas être invoquée seule au soutien d’une QPC, peut fonder un recours si le silence de la loi est cause d’une atteinte à un droit ou une liberté garanti par la Constitution. Ici était en cause le droit de propriété. Mais on pourra de même, s’il y a lieu, invoquer le principe d’égalité devant l’impôt et les charges publiques.


(1) Décision n°2010-19/27 QPC du 30 juillet 2010 Epoux P. et autres

(2) Décision n°2010-28 QPC du 17 septembre 2010 Association Sportive Football Club de Metz

(3) Décision N°2010-24 QPC du 6 août 2010 ANSEL et autre

(4) Décision n°2010-33 QPC du 22 septembre 2010 Société Esso SAF


Emmanuelle Féna-Lagueny, Avocat

Article paru dans la revue Option Finance du 11 octobre 2010

Auteurs

Portrait deFena-Lagueny-Emmanuelle
Emmanuelle Fena-Lagueny
Counsel
Paris