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Responsabilité du fait de concours consentis à un débiteur en faillite : enfin, plus de clarté !

Analyse juridique parue dans la revue Option Finance du 12 novembre 2012

12/11/2012


L'article L. 650-1 du Code de commerce, issu de la loi de sauvegardedu 26 juillet 2005, pose le principe selon lequel, en cas de procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaires), « les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci ».

Dès sa parution, le texte a suscité de très nombreuses réactions. Au-delà des difficultés techniques de mise en oeuvre, deux analyses prévalaient, les uns jugeant que le texte apportait une véritable limitation de responsabilité au bénéfice des créanciers, singulièrement les établissements de crédit, tandis que d'autres voyaient dans ce texte un cadeau empoisonné susceptible au mieux de ne pas infléchir une jurisprudence très sévère pour les banques et, peut-être, d'en accentuer les effets négatifs.

La Cour de cassation vient d'entrer dans le débat en rendant, depuis mars 2012, pas moins de cinq décisions importantes, qui clarifient grandement la portée du texte. Il en ressort, assez nettement, que l'article L. 650-1 doit être lu comme un texte induisant une véritable limitation de responsabilité au bénéfice des créanciers, dispensateurs de « concours ». Que nous dit la Cour de cassation ?

D'abord, elle considère que le texte n'a pas pour objet d'énoncer trois cas autonomes de responsabilité des créanciers ayant consenti des« concours » à leur débiteur en difficulté (arrêt du 27 mars 2012). Bien au contraire, il vise à limiter les possibilités de mise en cause de cette responsabilité aux trois situations énoncées, lorsqu'il a été établi que le concours est fautif au sens où l'entendait la jurisprudence avant la loi de 2005. En d'autres termes, la responsabilité d'un créancier ne sera retenue que si deux conditions sont remplies : d'une part, le concours est objectivement fautif, soit parce qu'il a été consenti à une entreprise en situation irrémédiablement compromise, soit parce qu'il est ruineux, c'est-à-dire ne pouvait que conduire à la défaillance du débiteur ; d'autre part, ce concours fautif répond à l'une des trois hypothèses légales (fraude, immixtion, disproportion).

Ensuite, dans le prolongement direct de cette première décision, la Cour de cassation indique ce qu'il faut entendre par « fraude ». Logiquement, elle juge que la fraude n'est pas le crédit fautif. La notion doit être circonscrite à des hypothèses exceptionnelles, proches de l'escroquerie. Est visé notamment l'octroi de concours reposant sur l'utilisation de moyens illicites pour éluder une loi impérative (fraude à la loi) ou pour obtenir un avantage indu (fraude aux droits des tiers). Par exemple, ne relève pas de la fraude le simple fait d'avoir octroyé une autorisation de découvert à une société dont la situation était irrémédiablement compromise et d'avoir exigé en contrepartie un cautionnement (arrêts du 27 mars et du 2 octobre 2012). Là encore,la probabilitéde mise en cause de la responsabilité du créancier se trouve sensiblement restreinte.

Enfin, la haute juridiction estime que l'immunité apportée par l'article L. 650-1 doit bénéficier à tous les créanciers dispensateurs de concours, pas seulement aux établissements de crédit. Un concours ne se réduit pas à un prêt bancaire : c'est toute forme de crédit et, en particulier, des délais de paiement accordés par un cocontractant, éditeur, à son débiteur, diffuseur de presse (arrêt du 16 octobre 2012).

Au résultat,on ne peut qu'approuver cette approche, en ce quelle correspond pleinement à la démarche suivie par le législateur en 2005 : sécuriser l'octroi de concours à un partenaire en difficulté et ne pas pénaliser les créanciers qui les ont consentis au seul motif que, ultérieure ment, le débiteur a été soumis à une procédure d'insolvabilité.

Auteurs

Portrait deArnaud Reygrobellet
Arnaud Reygrobellet
Associé
Paris