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TVA : comment prémunir les opérateurs transfrontaliers des risques encourus du fait des divergences d’application du système commun ?

16/09/2011

Les divergences d’application des règles communes de TVA dans les Etats membres de l’Union européenne sont génératrices de difficultés administratives, d’insécurité juridique, de conflits de taxation ou de distorsions de traitement pour les opérateurs transfrontaliers. Deux solutions simples pourraient être envisagées.

1. Le constat

Les divergences d’application peuvent résulter de la volonté du législateur communautaire qui a offert certains choix aux Etats membres dans la mise en œuvre du système commun (options, dérogations, modalités d’application laissées à l’appréciation des EM…).

Aux divergences « instituées » par ces marges de manœuvres s’ajoutent celles nécessairement induites par la coexistence de 27 doctrines nationales pour une même réglementation.

Quel opérateur transfrontalier n’a pas été confronté à la difficulté de connaître les modalités d’application d’une même disposition de la Directive dans différents Etats membres ? L’entrée en vigueur de la directive 2008/8 relative au lieu des prestations de services en est une parfaite illustration avec son cortège de questions, et donc d’hésitations dont le récent règlement d’application (282/2011) n’est pas venu à bout.

Ces divergences ne résultent pas nécessairement d’une absence de transposition ou d’une mauvaise transposition de la réglementation communautaire par les Etats membres, autrement dit d’une violation manifeste du droit de l’Union qui pourrait être sanctionnée par la Cour de Justice de l’Union Européenne. C’est plutôt dans les modalités d’application ou dans la portée conférée à certaines dispositions du droit de l’Union que les différences se font jour.

La concertation entre les Etats membres dans le cadre du Comité de la TVA institué par la Directive s’avère insuffisante, principalement du fait de l’absence de caractère contraignant des lignes directrices qui y sont dégagées mais sans doute aussi en raison du peu d’entrain des délégations à y « révéler » certaines pratiques nationales.

Le travail de la Cour de justice de l’Union européenne, essentiel pour assurer l’application uniforme du système commun de la TVA, ne répond pas aux besoins des opérateurs économiques dès lors que, d’une part il suppose un contentieux avec les autorités fiscales nationales et, que, d’autre part, la Cour n’est saisie que des questions qui lui ont été transmises et laisse fréquemment une marge d’appréciation significative au juge national ou aux autorités fiscales.

Légiférer ne s’avère pas plus efficient : qu’il s’agisse d’une directive ou d’un règlement, le processus est long et la règle de l’unanimité contraignante.

2. Que faire ?

Le mieux est l’ennemi du bien : dans un paysage institutionnel contraint, deux idées de nouvelles procédures nous paraissent pouvoir être étudiées pour pallier le risque d’insécurité juridique auquel sont confrontés les opérateurs transfrontaliers. Aucune ne paraît nécessiter une réforme d’envergure. Il s’agirait d’instituer :

  • une procédure de résolution bilatérale des conflits de taxation ;
  • une procédure de rescrit multilatéral.

La résolution bilatérale des conflits

Lorsqu’un opérateur identifie un risque de double taxation entre deux Etats membres du fait d’une interprétation divergente des dispositions de la Directive sur le lieu de taxation de l’opération en cause, les deux Etats concernés doivent être en mesure de résoudre rapidement le conflit.

Une procédure unique, visible et efficace devrait à cet égard être proposée aux opérateurs. Celle-ci pourrait par exemple aisément prendre appui sur le réseau « SOLVIT ». Depuis 2002, la Commission européenne offre en effet aux citoyens et aux entreprises la possibilité de recourir à ce réseau destiné à fournir des solutions rapides et pragmatiques aux difficultés qu’ils rencontrent et qui sont causées par une application incorrecte des règles communautaires.

Actuellement, seules 4 % des saisines adressées à « SOLVIT » proviennent d’entreprises et parmi elles celles portant sur la TVA visent principalement les cas de retard de remboursement de leurs crédits de taxe par des entreprises non établies dans l’Etat membre concerné (remboursements dits « 8ème directive »). Manifestement efficace (les cas de considérables retards de remboursement évoqués dans le rapport pour 2010 ont été généralement résolus dans un délai d’une à quatre semaines), « SOLVIT » n’est pas pour autant sollicité pour résoudre les difficultés résultant des divergences d’interprétation.

De fait, selon la présentation faite par les services de la Commission européenne, ce réseau est compétent dans les cas de « mauvaise application des règles communautaires ». Or, dans les situations que nous visons, il n’y a pas violation manifeste d’une règle claire mais divergence d’interprétation entre deux Etats.

Pour autant, institutionnaliser ce réseau comme instrument de rapprochement et de suivi d’une démarche concertée entre deux Etats serait, selon nous, de nature à permettre la résolution rapide des cas de double taxation.

A charge pour la Commission et les Etats membres concernés, lorsque cela s’avère nécessaire, de tirer du cas concret résolu grâce à l’intervention du réseau « SOLVIT » les conséquences appropriées au moyen des instruments juridiques nationaux ou communautaires adéquats.

le rescrit « multilatéral »

Lorsqu’un doute surgit pour l’application d’une règle fiscale, un opérateur peut interroger l’administration dont il relève ou l’administration du pays où il opère pour connaître le traitement fiscal qui lui est applicable. La position prise par l’administration est alors opposable à cette dernière.

Une garantie équivalente pourrait être offerte aux opérateurs lorsque la question concerne des opérations transfrontalières et se pose ainsi dans plusieurs Etats, sans qu’il soit nécessaire de démarcher toutes les autorités fiscales concernées.

Nous suggérons, suivant un modèle inspiré de la nouvelle procédure de remboursement de taxe résultant de la Directive 2008/9 du 12 février 2008, que les opérateurs puissent soumettre leur question aux différents Etats membres concernés par l’intermédiaire des autorités fiscales de l’Etat membre où ils sont établis.

Après s’être assuré que la situation est exposée avec suffisamment de précision, l’administration transmettrait la question posée à celle des Etats membres concernés (cette étape pouvant comporter, ou non, l’intervention de la Commission européenne ou tout au moins son information).

Dans un délai contraignant, chaque Etat membre interrogé serait tenu d’exposer, pour ce qui concerne sa propre juridiction, le régime de TVA applicable à la situation décrite par l’opérateur.

L’ensemble des réponses serait communiqué à l’opérateur par les autorités fiscales de son lieu d’établissement. Ces réponses seraient opposables à chaque Etat membre pour ce qui le concerne.

Les entreprises auraient ainsi l’assurance de connaître les règles applicables dans les différentes juridictions où elles réalisent leurs opérations, dans un laps de temps déterminé et sans avoir à gérer des saisines multiples.

Les administrations ne seraient pas en reste : les Etats membres ne connaissent pas toujours mieux que leurs ressortissants les modalités d’application du système de TVA retenues par leurs voisins européens ; les réponses apportées pourraient révéler des dysfonctionnements, y compris des cas de double taxation qui devraient être immédiatement résolus ou de non taxation que les opérateurs ne s’empressent actuellement pas de signaler lorsqu’ils les identifient.

On pourrait enfin imaginer aisément que le fruit de ce travail constitue une base de réflexion et de proposition pour les services de la Commission européenne.

Nous n’identifions pas d’obstacle juridique majeur qui rendrait inenvisageable une telle procédure : chaque Etat membre conserverait bien entendu son autonomie fiscale, son pouvoir de contrôle, l’Etat membre dans lequel est établi l’opérateur à l’origine de la question n’ayant qu’un rôle de « guichet unique » de questionnement puis de retour de l’information.

Quant au coût administratif d’une telle procédure pour les Etats, nous lui opposons par anticipation que :

  • le coût additionnel ne serait supporté que par l’Etat « guichet unique » au titre de son rôle de coordination, les autres autorités fiscales étant dans la situation classique du traitement d’un dossier de demande de rescrit ; ce coût serait donc dilué entre tous les Etats de l’Union. De plus, le nombre de demandes pourrait être limité en subordonnant la recevabilité à la condition que le demandeur justifie de sérieuses difficultés rencontrées dans au moins trois pays ;
  • sa mise en œuvre constituerait une base de données utile pour orienter les travaux de résolution des divergences d’interprétation dans le cadre soit du Comité de la TVA soit du pouvoir législatif du Conseil de L’UE ;
  • enfin, il nous paraît loin d’être illégitime de demander aux Etats membres leur contribution volontaire à l’exacte information des opérateurs transfrontaliers sur les modalités d’application du système commun de la TVA.

Par Elisabeth Ashworth et Corinne Reinbold, avocats, CMS Bureau Francis Lefebvre

Article paru dans la revue Option Finance le 5 septembre 2011

Auteurs

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Elisabeth Ashworth
Associée
Paris
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Corinne Reinbold
Counsel
Paris