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Invalidation partielle de la CSPE par la Cour de justice de l’Union européenne

15/10/2018

Saisie par le Conseil d’État sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a récemment considéré que la contribution au service public de l’électricité (CSPE), telle qu’elle existait en France avant sa réforme en 2015, n’était pas totalement conforme aux règles européennes en matière d’accises (CJUE, 25 juillet 2018, C-103/17, Messer France anciennement Praxair c/ Premier ministre e.a).

Il s’agit d’une étape importante dans le dénouement d’un contentieux "de place" engagé devant les juridictions administratives françaises depuis plusieurs années par de nombreuses entreprises et des particuliers.

Acquittée par tous les consommateurs finals d’électricité en fonction de la quantité d’électricité consommée, la CSPE a été instaurée avec pour objectif de compenser les charges résultant principalement des mesures de soutien :

  • aux énergies renouvelables et à la cogénération, et notamment les surcoûts liés aux obligations d’achat d’énergie verte pesant sur EDF et les entreprises locales de distribution ;
  • aux consommateurs des zones non interconnectées au réseau métropolitain continental (Corse et Outre-mer) – le dispositif de péréquation tarifaire géographique ; et
  • aux ménages en situation de précarité énergétique.

Ce dispositif est aujourd’hui codifié aux articles L.121-6 à L.121-28 du Code de l’énergie.

A l’origine, le contentieux relatif à la CSPE a été initié à la suite de l’affaire "Vent de Colère" dans lequel la CJUE a qualifié d’aides d’Etat les mécanismes de soutien à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables (CJUE, 19 décembre 2013, C-262/12).

Or, ces tarifs d’achat étant financés par le produit de la CSPE, des dizaines de milliers de consommateurs avaient adressé à l’Administration des demandes de remboursement en se prévalant du fait que ni les tarifs d’achat ni la CSPE n’avaient été notifiés à la Commission européenne, en méconnaissance de l’obligation de notification des aides d’Etat et de leur mode de financement (55 000 réclamations auraient été adressées à la Commission de régulation de l’énergie – CRE - et 14 000 recours seraient pendants devant les juridictions administratives d’après le communiqué du 25 juillet 2018 de la mission d’information relative à la gestion du risque budgétaire associé aux contentieux fiscaux et non fiscaux de l’État).
 
Alors que le Conseil d’Etat a reconnu que le défaut de notification avait entaché d’illégalité le tarif d’achat éolien terrestre et en a tiré les conséquences en annulant les arrêtés concernés (CE, 28 mai 2014, n° 324852), il a considéré qu’il n’y avait pas de lien d’affectation suffisamment contraignant entre la CSPE et le tarif d’achat, fermant ainsi la porte au remboursement de la CSPE sur le fondement du droit européen des aides d’Etat (CE avis, 22 juillet 2015, n° 388853).
 
La contestation de la CSPE sous l’angle du droit constitutionnel qui s’est déroulée en parallèle s’est également révélée vaine, le Conseil constitutionnel ayant refusé de censurer les dispositions législatives relatives à la CSPE (CC, 8 octobre 2014, n° 2014-419 QPC).
 
La saga contentieuse s’est toutefois poursuivie puisque le Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi en cassation par la société Praxair, a transmis à la CJUE plusieurs questions préjudicielles sur la conformité de la CSPE aux directives 92/12 du 25 février 1992 et 2003/96 du 27 octobre 2003, en matière d’accises (CE, 22 février 2017, n° 399115).
 
Ces textes prévoient notamment que les produits soumis à accise ne peuvent faire l’objet d’autres impositions indirectes par les Etats membres que si deux conditions cumulatives sont remplies : ces autres impositions doivent poursuivre des "finalités spécifiques", c’est-à-dire des finalités autres que budgétaires et viser par elles-mêmes à assurer la finalité spécifique invoquée et respecter les règles de taxation applicables pour les besoins des accises ou de la TVA pour la détermination de la base d’imposition, le calcul, l’exigibilité et le contrôle de l’impôt.  
 
C’est sur la conformité de la CSPE à ces règles que s’est prononcée la Cour de justice dans l’arrêt du 25 juillet 2018. Pour cela, elle a tout d’abord examiné, pour chaque catégorie de charges financées par la CSPE, si la finalité poursuivie était budgétaire ou non et s’il existait un lien direct entre cette finalité et l’assiette de la contribution, c’est-à-dire la consommation d’électricité.
 
Concernant la production d’électricité à partir de sources renouvelables et par cogénération, la Cour a considéré qu’il y avait un lien direct entre la finalité environnementale poursuivie par la CSPE et l’atténuation des effets négatifs de la consommation d’électricité sur l’environnement. En effet, la CSPE en contribuant à financer les énergies renouvelables a permis d’encourager une production d’électricité plus "propre" et de corriger ainsi les coûts environnementaux spécifiquement liés à la consommation d’électricité (hausse des gaz à effet de serre). 
 
Concernant les coûts purement "administratifs" liés à la CSPE (coûts de fonctionnement du Médiateur national de l’énergie et de gestion de la CSPE par la Caisse des dépôts et consignations), la Cour a en revanche considéré que leur compensation par la CSPE ne poursuivait aucune finalité autre que budgétaire et qu’ils n’étaient pas liés spécifiquement à la consommation d’électricité mais au fonctionnement général du système français. 
 
Concernant la péréquation tarifaire géographique et le soutien aux ménages en précarité, la Cour a également jugé que ces finalités de cohésion territoriale et sociale incombaient normalement à l’Etat et que la CSPE ne poursuivait donc à ce titre aucune finalité spécifique.
 
Pour la CJUE, c’est donc uniquement au regard de sa finalité environnementale que la CSPE peut être qualifiée "d’autre imposition indirecte poursuivant une finalité spécifique" au sens des directives Accises.
 
Très clairement, donc, la CSPE n’étant pas conforme aux règles européennes en matière d’accise dans ses autres volets (social, territorial et administratif), les contribuables concernés pourront prétendre au remboursement partiel de la CSPE à proportion de la part des recettes affectées à ces finalités non spécifiques.
 
D’après les données publiées par la CRE tous les ans sur la CSPE, cette part pourrait correspondre à environ 30 % des sommes acquittées au titre de la CSPE.
 
Cette estimation semble cohérente avec le montant de 1,25 milliard d’euros déjà provisionné dans les comptes de l’État de l’année 2017 au titre de ce contentieux. La mission d’information sur la gestion du risque budgétaire associé aux contentieux fiscaux et non fiscaux de l’État doit néanmoins présenter, avant la fin du mois, un rapport sur le caractère suffisant de ce montant. 
 
Les contours des différentes finalités poursuivies par la CSPE et le chiffrage exact des coûts qui ont été compensés vont ainsi sans nul doute encore faire l’objet d’un débat à la fois juridique et technique devant le Conseil d’Etat, lequel devrait se prononcer sur cette affaire d’ici la fin de l’année 2018.


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Cet article a été publié dans notre Lettre des régulations d’octobre 2018Cliquez ci-dessous pour découvrir les autres articles de cette lettre.

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Auteurs

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Claire Vannini
Associée
Paris
Lola Nihotte