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Apport à une société détenue à 100 %

gare à la parité d’échange

01/12/2020

Même lorsque la société bénéficiaire des apports est détenue à 100 % par l’apporteuse, le Conseil d’Etat qualifie de subvention intragroupe la différence constatée entre la valeur réelle des actifs apportés et la valeur réelle des titres reçus en échange.

L’existence d’une subvention en cas d’apport à une filiale détenue à 100 %

Par une décision du 1er juillet 20201, le Conseil d’Etat a considéré que, lorsqu’une société membre d’un groupe d’intégration fiscale consent un apport à sa filiale, même détenue à 100%, elle doit recevoir en contrepartie un nombre de titres dont la valeur réelle correspond à celle des actifs apportés. Si ce nombre de titres est insuffisant, la société apporteuse est réputée avoir consenti un avantage à sa filiale qualifié de subvention indirecte au sens de l’article 223 B du CGI, dans sa rédaction applicable aux exercices clos jusqu’au 31 décembre 2018. A défaut d’avoir déclaré cette subvention sur l’état prévu par l’article 223 Q du CGI, la société mère s’est vu appliquer une amende de 5 % des sommes non déclarées conformément à l’article 1763 du CGI.

Depuis le 1er janvier 2019, les abandons de créances et subventions intragroupe n’étant plus neutralisés pour la détermination du résultat d’ensemble2, il n’y a plus lieu de déclarer ceux consentis au cours d’exercices ouverts postérieurement à cette date sur l’état auparavant prévu à cet effet. Toutefois cette décision apporte des enseignements toujours d’actualité sur l’enjeu de la détermination du rapport d’échange.

En l’espèce, en 2011, la société Lafarge, mère intégrante d’un groupe d’intégration fiscale, a apporté à la société Sofimo, filiale à 100 %, sa participation dans deux filiales dont elle détenait alors la quasi-totalité du capital. L’opération a été placée sous le régime de faveur des articles 210 A et 210 B du CGI et les apports ont été transcrits en valeur nette comptable chez la société Sofimo. A défaut d’actionnaire minoritaire, la société Lafarge a cru pouvoir se dispenser d’évaluer les actifs apportés et les titres de la société Sofimo pour leur valeur réelle et a calculé le nombre de titres reçus en échange de ses apports sur la base des valeurs nettes comptables.

A l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration a remis en cause le rapport d’échange, considérant que Lafarge avait été insuffisamment rémunérée à hauteur de la différence positive entre la valeur réelle des titres apportés et la valeur réelle des titres de la société Sofimo reçus en contrepartie. Elle a qualifié cette différence d’une part, de revenus réputés distribués au sens de l’article 111 c) du CGI chez la société Sofimo3 et, d’autre part, de subvention, au sens des articles 223 B et 223 Q du CGI, dont le défaut de déclaration par la société mère intégrante devait donner lieu à l’application de l’amende de 5 % précitée. C’est dans le cadre de la contestation de cette amende par la société Lafarge que le Conseil d’Etat s’est ici prononcé.

Une solution qui n’allait pas de soi…

La solution retenue par le Conseil d’Etat n’allait pas de soi puisqu’avant comme après l’apport la société Lafarge détenait toujours 100 % de la société Sofimo. La requérante faisait ainsi valoir qu’elle ne pouvait avoir subi aucun appauvrissement du fait du rapport d’échange, la valeur de sa participation dans la société Sofimo s’étant elle-même appréciée à due concurrence de la valeur réelle des actif apportés.

Cette solution n’était pas non plus évidente dans la mesure où la réglementation comptable issue de l’avis CNC 2004-01 du 25 mars 2004 et du règlement CRC n° 2004-01 du 4 mai 2004 a certes fixé les modalités impératives de transcription des apports en cas de fusion ou d’opération assimilée, mais elle n’aborde pas le calcul de la parité d’échange. De même, ni la directive 90/434/CEE du 23 juillet 1990 (dite « Directive Fusion »), ni les dispositions de l’article 210 A et 210 B du CGI qui la transposent en droit interne, ne font obstacle à ce que la parité d’échange soit déterminée d’après la valeur comptable des actifs échangés.

… mais qui s’inscrit cependant dans la lignée de la jurisprudence du Conseil d’Etat

Pourtant, cette décision s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence du Conseil d’Etat en matière de subvention intragroupe. En effet, ce dernier a notamment repris les considérants de principe énoncés dans deux précédentes décisions selon lesquels :

  • l’objet de l’état de suivi des subventions est de suivre les mouvements financiers à l’intérieur du groupe quand bien même ces mouvements seraient sans incidence tant sur le résultat des sociétés du groupe que sur le résultat d’ensemble (cf. CE, 10 février 2014, n° 356125, Pinault Printemps Redoute), et
  • si la valeur réelle du bien apporté est supérieure à celle des titres reçus en contrepartie, la différence ainsi constatée doit être regardée comme une renonciation à la réalisation de la plus-value correspondante et, par suite, comme un avantage consenti par l’apporteur à la société bénéficiaire de l’apport (cf. CE, 14 novembre 2005, n° 233489, Dannoot).

Transposant ces deux étapes du raisonnement au cas d’application de l’amende de 5 % en cause, le Conseil d’Etat a considéré que la société Lafarge, qui n’a pas été suffisamment rémunérée, a consenti une subvention à la société Sofimo au sens des articles 223 B et 223 Q du CGI.

Au bout du tunnel, la lumière : conséquences favorables et recommandations pratiques

Cette jurisprudence confirme d’abord la définition rigoureuse et objective de la notion de subvention au sens de ces dispositions, caractérisée du seul fait d’un écart (significatif ?) entre les valeurs réelles des biens échangés. Mais comme l’a souligné la rapporteure publique dans ses conclusions sous cette décision, l’existence d’une subvention relève donc d’un débat distinct de celui relatif à la normalité de l’acte du point de vue de la société apporteuse (le Conseil d’Etat l’avait déjà indiqué dans sa décision du 10 février 2014 précitée, et l’article 1763 du CGI prévoit d’ailleurs une amende au taux réduit à 1 % lorsque la subvention est déductible), mais également de celui relatif à l’existence d’une libéralité constituant un avantage occulte au sens du c de l’article 111 du CGI taxable chez la bénéficiaire de l’apport.

Sur ce dernier point en effet, on peut relever qu’un apport à prix minoré peut résulter de deux phénomènes distincts à savoir, d’une part, une valorisation insuffisante des actifs apportés lors de leur transcription chez la société bénéficiaire des apports et, d’autre part, une valeur des titres reçus en contrepartie de l’apport insuffisante au regard de la valeur réelle de l’apport. Dans le premier cas, le Conseil d’Etat considère que l’administration est alors fondée à corriger la valeur de transcription des apports chez la société bénéficiaire pour y substituer leur valeur vénale, ce dont il résulte une augmentation de son actif net à hauteur de l’apport effectué à titre gratuit et un rehaussement à due concurrence4. A l’inverse, dans le second cas qui correspond aux circonstances de l’affaire Lafarge, la minoration du nombre de titres émis en contrepartie de l’apport est sans incidence sur l’actif net de la société bénéficiaire de cet apport, ce que le Conseil d’Etat a expressément indiqué dans sa décision. Il s’en infère qu’il n’est pas évident que l’administration soit fondée à redresser les résultats de société bénéficiaire des apports à raison d’une libéralité qu’elle aurait reçue.

Ensuite, en écartant comme étant sans incidence le moyen selon lequel l’octroi de l’agrément permettant à un apport partiel d’actif d’être placé sous le régime de faveur de l’article 210 A du CGI n’est pas subordonné à une condition de calcul de la parité d’échange sur la base des valeurs réelles5, la rapporteure publique semble confirmer dans ses conclusions sous la décision Lafarge le caractère illégal de la doctrine administrative qui considère que ce régime de faveur ne saurait s’appliquer à une opération d’apport à l’occasion de laquelle une parité d’échange différente a été retenue (BOI-IS-FUS-30-20 n° 30).

Il ressort enfin de cette décision que, quelles que soient les modalités de transcription des apports imposées par la réglementation comptable, en matière fiscale le rapport d’échange doit en principe être déterminé à partir des valeurs réelles des actifs échangés. Ainsi, sauf à réunir les conditions d’application de la tolérance administrative permettant de calculer le rapport d’échange à partir des valeurs comptables (BOI-IS-FUS-30-20 n° 40), ce qui n’était pas le cas dans l’affaire Lafarge, il est recommandé de bien documenter l’évaluation des actifs échangés, notamment dans l’hypothèse où le code de commerce prévoit une dispense d’intervention du commissaire à la scission en l’absence de minoritaires susceptibles d’être lésés par le rapport d’échange6.

Article paru dans le magazine Option Finance le 12/10/2020


[1] CE 1er juillet 2020, n° 418378, sté Lafarge.

[2] Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, art. 32.

[3] Le jugement du TA de Montreuil du 19 décembre 2019, nos 1707095, 1812350, validant ce rehaussement fait actuellement l’objet d’un appel pendant devant la CAA de Versailles.

[4] CE 9 mai 2018, n° 387071, sté Cérès.

[5] Cf. CE 28 novembre 2016, n° 378793, min c/ H&M Hennes et Mauritz SARL.

[6] Article L. 236-22 al. 2 du code de commerce.


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Sarah Dardour-Attali
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