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Des effets sur l’ARENH de la crise économique causée par le Covid-19 : acte III

Evolutions entre juin et novembre 2020

17/12/2020

La crise causée par le Covid-19 a exacerbé les dysfonctionnements du mécanisme d’ARENH. Nous revenons sur les événements des derniers mois dans le troisième volet de notre série d’articles consacrés à ce sujet.

Depuis nos deux articles (acte I ; acte II) consacrés à ce sujet au premier semestre, de nombreux événements sont intervenus  : nous vous en présentons l’essentiel.

Synthèse de nos précédents articles

La crise sanitaire engendrée par le virus SARS-CoV2 a entraîné, aux mois de mars et avril 2020, la chute de la consommation et l’effondrement corrélatif des prix de l’électricité sur le marché de gros. De ce fait, un certain nombre de fournisseurs alternatifs qui avaient signé avec EDF l’accord-cadre prévu à l’article L.336-5 du Code de l’énergie, conforme au texte annexé à l’arrêté ministériel du 28 avril 2011 pris en application du II de l’article 4-1 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, et effectivement souscrit à une offre de vente de quantités d’énergie au titre de l’ARENH pour l’année 2020, ont excipé de la survenance d’un événement de force majeure au sens de l’article 10 dudit contrat pour en suspendre l’exécution et ainsi obtenir l’interruption des livraisons. Le premier alinéa de l’article 10 du modèle d’accord-cadre disposait dans la version alors applicable : "La force majeure désigne un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des Parties dans des conditions économiques raisonnables".

À chacun des acheteurs d’ARENH l’ayant informée de sa décision de faire jouer cette exception, EDF a opposé la notion de force majeure au sens de la jurisprudence de la Cour de cassation rendue sous l’empire de l’article 1148 ancien du Code civil : selon EDF, la condition tenant à l’impossibilité pour les acheteurs d’ARENH d’exécuter leurs obligations n’était pas remplie, puisqu’ils pouvaient enlever l’énergie et la force majeure n’exonère jamais d’une obligation de paiement. Par une délibération du 26 mars 2020, la CRE a refusé de transmettre à EDF et à RTE les décisions de ces fournisseurs alternatifs d’activer la clause de force majeure de leurs contrats. Par une ordonnance du 17 avril 2020 (CE, n° 439949, AFIEG et ANODE), le juge des référés du Conseil d’Etat a rejeté la requête en référé-suspension dirigée par deux associations professionnelles et a donc invité les acheteurs d’ARENH à s’adresser "au cas par cas" au juge des contrats désigné à l’article 19 de l’accord-cadre, à savoir le tribunal de commerce de Paris.

Cinq acheteurs d’ARENH ont simultanément saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Paris de demandes tendant à le voir ordonner à EDF de ne plus faire obstacle à la mise en œuvre de l’article 10 de leurs accords-cadres. Leur problème était le suivant : la chute de 25 % de la consommation d’électricité avait eu pour effet un effondrement de leurs ventes, mais également des prix sur le marché de gros ; tenus d’enlever des quantités prédéterminées d’énergie auprès d’EDF au prix réglementé de 42 €/MWh, ils avaient dû revendre, selon les cas, de 20 et 25 % de ces volumes à un prix d’environ 15 €/MWh.

Les juges consulaires statuant en référé par plusieurs ordonnances des 20, 26 et 27 mai ont appliqué la définition contractuelle de la force majeure et constaté que l’accord-cadre ne permettait pas à EDF de s’opposer à la décision des acheteurs. C’est donc EDF qui aurait dû saisir le juge du contrat ; l’inversion des rôles résulte du refus de la CRE, à laquelle le préambule du modèle d’accord-cadre confie pourtant la mission de "veiller sur l’exercice des droits à l’ARENH des acheteurs", de mettre en œuvre cette décision des acheteurs.

Ces derniers ont obtenu gain de cause pour quatre d’entre eux, mais dans des termes différents, en raison de la diversité de leurs conclusions. EDF s’est vu ordonner en substance de demander à la CRE de lui transmettre les décisions des acheteurs, ce que le régulateur a fait à la suite de ces ordonnances. Il a en outre été jugé qu’EDF avait engagé sa responsabilité à l’égard d’Alpiq.

EDF a fait appel des quatre premières ordonnances et a décidé de résilier l’accord-cadre qui la liait à ces quatre acheteurs en application de la clause de l’accord-cadre qui prévoit la possibilité de le résilier après deux mois de suspension.

Evénements intervenus depuis le mois de juin 2020

Les acheteurs d’ARENH ont notifié à EDF la fin de l’événement de force majeure, puisque le Gouvernement a mis fin au confinement le 11 juin ; les livraisons d’énergie ont donc repris.

Les contentieux se sont néanmoins poursuivis au mois de juillet (1) attestant une fois de plus des dysfonctionnements structurels de l’ARENH, qui préjudicient alternativement à EDF et à ses concurrents, selon les circonstances. Un nouveau modèle d’accord-cadre est en préparation (2), tandis que la réforme de l’ARENH continue de faire l’objet de négociations entre la France et la Commission européenne (3).

1. Suite des contentieux judiciaires

Par plusieurs arrêts du 28 juillet 2020, la cour d’appel de Paris a rejeté les appels interjetés par EDF contre les ordonnances rendues par les juges consulaires au mois de mai, concernant l’activation de la clause de force majeure par certains acheteurs d’ARENH. L’affaire qui opposait celle-ci à Alpiq a toutefois fait l’objet d’une transaction.

Par ailleurs, la société Total Direct Énergie (TDE), qui avait contesté devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris la décision d’EDF de résilier l’accord-cadre en raison d’une suspension supérieure à deux mois, a obtenu gain de cause en première instance au début du mois de juillet ; le juge consulaire a estimé que les conditions de la résiliation n’étaient pas réunies.

La cour d’appel de Paris a toutefois infirmé cette ordonnance par un arrêt du 19 novembre 2020 et donné raison à EDF, aux motifs, d’une part, que c’est la durée de suspension revendiquée par TDE qui devait être prise en compte et non la durée effective de suspension qui n’a été que de quelques jours et, d’autre part, que la clause de résiliation n’est pas manifestement illicite au regard de normes supérieures, contrairement à ce qui avait été jugé en première instance.

La CRE a simultanément entrepris de corriger le dispositif.

2. Modification du modèle d’accord-cadre

Par une délibération n° 2020-250 du 1er octobre 2020, la CRE a proposé un arrêté modifiant le modèle d’accord-cadre ARENH. La ministre de la Transition écologique a suivi le régulateur, en adoptant l’arrêté du 12 novembre 2020 modifiant l'arrêté du 28 avril 2011 pris en application du II de l'article 4-1 de la loi n° 2000-108 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.

La ministre a ainsi, conformément aux suggestions de la CRE, modifié trois points qui avaient causé des difficultés d'interprétation dans le cadre de l’exécution des accords-cadres pendant le confinement du printemps 2020.

En premier lieu, le modèle d’accord-cadre prévoit désormais la définition suivante de la force majeure, à son article 10.1 :

"La force majeure désigne un événement extérieur à la Partie qui l’invoque, irrésistible et imprévisible et qui empêche l'exécution de son obligation".

Cette définition nouvelle est donc plus proche de celle figurant à l’article 1218 du Code civil, sans toutefois en reprendre les termes exacts, puisque cette disposition prévoit en son premier alinéa qu’"il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur". Il est permis de s’interroger sur la raison de cette divergence : un renvoi pur et simple au Code civil ou une transposition exacte de l’article 1218 aurait été de nature à faciliter l’appréciation de la force majeure, en l’occurrence dans le sens souhaité par EDF.

En deuxième lieu, les conditions de notification d’un événement de force majeure sont désormais strictement encadrées :

"A la suite de la survenance de l’événement de force majeure, la Partie souhaitant invoquer le bénéfice de la force majeure devra informer simultanément l'autre Partie, la CDC et la CRE, au choix par courrier électronique ou par lettre recommandée avec accusé de réception, de l'apparition de cet événement et, dans la mesure du possible, leur faire part d'une estimation, à titre indicatif, de la durée probable de cet événement. La Partie ayant invoqué le bénéfice de la force majeure devra, dans un délai ne pouvant être supérieur à deux jours ouvrés à compter de la cessation de l’événement de force majeure, et selon les mêmes modalités, informer simultanément l’autre Partie, la CDC et la CRE, de la date de cessation de l’événement de force majeure" (alinéa 1er de l’article 10.2 du modèle d’accord-cadre).

La suspension prend effet de plein droit "le deuxième jour ouvré suivant la réception par la CRE de la notification de l’apparition d’un événement de force majeure par la Partie qui l’invoque", selon article 13.1 du modèle d’accord-cadre.

En troisième lieu, le modèle d’accord-cadre modifié prévoit à son article 13.1 que "la CRE notifie aux Parties, par courrier électronique confirmé par lettre recommandée avec accusé de réception, la mise en œuvre effective de cette suspension et en informe RTE et la CDC". Il n’est pas précisé si la CRE dispose d’un pouvoir d’appréciation : on ne sait donc pas si elle détient une compétence liée ou bien si elle peut refuser de confirmer la suspension, au motif notamment que les conditions de la force majeure ne seraient pas, à ses yeux, réunies.

Notre sentiment est que le régulateur a sans doute une compétence liée (comme précédemment, en vérité). C’est le sens l’expression "de plein droit" et les auteurs de l’arrêté ont écrit à la phase suivante : "Cette clause s'applique même dans le cas de contestation de l'existence de l'événement de force majeure". On ne voit d’ailleurs pas sur quel fondement le pouvoir réglementaire aurait pu conférer un pouvoir discrétionnaire au régulateur.

L’article L.336‑9 du Code de l’énergie confie à la CRE le soin de contrôler l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique et notamment de surveiller les transactions effectuées par les acheteurs d’ARENH, mais cela ne signifie pas s’immiscer dans l’exécution des contrats. L’article L.336‑10, qui fixe l’objet du décret d’application du chapitre relatif à l’ARENH, ne semble pas le permettre non plus. Enfin, si la CRE pouvait contrevenir à la décision d’une partie, le risque contentieux resterait élevé, devant les juridictions administratives et judiciaires, alors que l’adoption de cet arrêté a eu d’évidence pour objet d’interdire que se reproduise pareil épisode.

Il reste à identifier la raison et la portée de cette phrase. On peut penser que les mots "mise en œuvre effective" signifient que la notification par la CRE sert à attester auprès de toutes les parties prenantes de la date et de l’heure auxquelles la CRE a reçu la notification, de sorte qu’elles sachent exactement quand la suspension va intervenir. Il est d’ailleurs symétriquement écrit au pénultième paragraphe de l’article 13.1 : "la reprise de l'exécution des obligations de l'accord-cadre prend effet le deuxième jour ouvré suivant la réception par la CRE de l'information de la cessation de l'événement de force majeure par la Partie qui l'invoque. […] La CRE notifie aux Parties, par courrier électronique confirmé par lettre recommandée avec accusé de réception, la reprise effective des obligations des parties et en informe RTE et la CDC".

Incidemment, on ne peut que regretter l’emploi générique du terme "défaillance" à l’article 13.1, car cette clause traite non seulement des manquements contractuels, mais encore de la force majeure et de la suspension du dispositif par les ministres (de même, le pléonasme "résiliation anticipée", employé à l’article 13.2, ne devrait pas figurer dans un texte réglementaire).

3. Réforme de l’ARENH et discussions avec la Commission européenne

Le 22 juillet 2020, la CRE a adopté un rapport en application de l’article R.336-19 du Code de l’énergie analysant les causes et les enjeux de la situation dans laquelle les demandes excèdent le volume maximal d’énergie qu’EDF doit céder au titre de l’ ARENH.

Il s’agit en vérité d’un dysfonctionnement structurel du dispositif de l’ARENH, né de la fixation arbitraire de ce volume par le législateur. Lorsque les demandes cumulées des fournisseurs concurrents d’EDF dépassent le plafond de souscription, ces demandes sont écrêtées conformément à l’article R.336-18 du code. Cela s’est produit en 2018 pour les demandes 2019 et en 2019 pour les demandes 2020. Le coût d’approvisionnement des fournisseurs alternatifs augmente, puisque les prix de marché sont alors, par définition, supérieurs au prix administré et fixe de l’ARENH (42 €/MWh). Il en découle une hausse des tarifs réglementés de vente d’EDF, afin de maintenir la compétitivité des offres de marché. Dans ces conditions, les consommateurs ne bénéficient plus de la faiblesse du coût de production du parc électronucléaire, qui constitue la justification de l’ARENH.

Les fournisseurs alternatifs réclament par suite une hausse du plafond des volumes d’ARENH et EDF demande la fin du dispositif ou à défaut l’ajustement du prix de l’ARENH, gelé en l’absence d’adoption des dispositions réglementaires prévues à l’article L.337-15 du Code de l’énergie et, en fait, d’accord de la Commission européenne sur un quelconque prix.

Par l’article 62 de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, le législateur a tenté de remédier à certaines de ces difficultés, en accordant notamment au pouvoir réglementaire la possibilité d’augmenter le plafond d’ARENH à 150 TWh au lieu de 100 TWh, de modifier le calcul du complément de prix du mécanisme d’ARENH ou encore de fixer le prix de l’ARENH à défaut d’adoption du décret prévu à l’article L.337-15 du Code de l’énergie.

Dans sa délibération n° 2020-251 du 1er octobre 2020, la CRE a émis avant son adoption un avis favorable sur le décret n° 2020-1414 du 19 novembre 2020 modifiant la partie réglementaire du Code de l’énergie relative à l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique et celle relative à la compensation des charges de service public de l’énergie.

Les deux autres apports de la loi du 8 novembre 2019 au dispositif d’ARENH - augmentation du plafond et modification du prix de l’énergie n’ont toujours pas été mis en œuvre.

Ces atermoiements sur un sujet majeur pour le fonctionnement du marché de l’électricité ne peuvent s’expliquer que par les négociations toujours en cours entre la France et la Commission européenne, tant sur la réforme de l’ARENH que sur la restructuration d’EDF. Il est finalement permis de se demander si les diverses constructions intellectuelles et juridiques successivement élaborées par la France pour formater le processus de libéralisation sont véritablement dans l’intérêt des consommateurs, des acteurs du marché et désormais d’EDF.


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