I. La jurisprudence antérieure
Dans le prolongement d’une série d’arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne (voir notamment les affaires C-564/15, arrêt du 26 avril 2017 Tibor Farkas et C-691/17, arrêt du 11 avril 2019, PORR Epitesi Kft), le Conseil d’Etat avait jugé dans une décision Eye Shelter du 15 novembre 2019 (n° 420251) qu’une entreprise réalisant des achats qui relèvent du régime de l’auto-liquidation de la TVA est en droit d’obtenir du Trésor la restitution de la taxe que son fournisseur lui aurait facturée par erreur, s’il lui est impossible ou excessivement difficile d’obtenir de ce dernier le remboursement du montant indûment versé et pour autant qu’ait été éliminé au préalable tout risque d’un préjudice financier pour le Trésor.
La Haute juridiction avait alors censuré pour erreur de droit l’arrêt par lequel la cour administrative d’appel de Versailles avait confirmé le refus de restitution par l’administration, lui reprochant de ne pas avoir examiné si la société avait établi être dans l’impossibilité d’obtenir de son fournisseur le remboursement de la taxe qu’elle lui avait versée ou que ce remboursement était excessivement difficile et, dans l’affirmative, si le risque de perte de recettes fiscales pour le Trésor avait été éliminé.
Le Conseil d’Etat avait donc jugé prioritaire la voie de la répétition de l’indu (code civil, art. 1302) auprès du fournisseur et donc comme une voie subsidiaire la demande de restitution aux autorités fiscales, conformément à l’interprétation donnée par la Cour de justice de l’Union européenne.
Par une nouvelle décision du 29 novembre 2023 (société Polyclinique Les Fleurs, n° 469111), le Conseil d’Etat complète utilement cette jurisprudence.
II. La décision du 29 novembre 2023
Cette fois, le litige était noué non sur le terrain du contentieux fiscal mais sur celui de l’action en répétition de l’indu, la société Polyclinique Les Fleurs s’étant vu refuser par l’Etablissement français du sang (EFS) la restitution de la somme correspondant à la TVA que celui-ci avait facturée à tort à la requérante. En raison de la qualité d’établissement public du fournisseur, le litige relevait de la compétence des juridictions administratives.
A la suite de la révélation de la non-conformité du régime de TVA applicable aux opérations concernées, l’EFS avait refusé à plusieurs établissements de soins qui lui en avaient fait la demande la restitution de la taxe.
L’EFS s’était pourvu en cassation contre l’arrêt par lequel la cour administrative d’appel de Marseille avait confirmé le bien-fondé de la demande en répétition de l’indu de la clinique.
Par sa décision du 29 novembre 2023, le Conseil d’Etat confirme la portée générale de la règle suivant laquelle, pour obtenir la restitution de la TVA qui lui a été facturée à tort, l’acquéreur doit prioritairement s’adresser à son fournisseur (y compris le cas échéant par la voie juridictionnelle précise la Haute juridiction) si celui-ci n’a pas pris l’initiative de lui rembourser l’indu correspondant, et, seulement à titre subsidiaire, à l’administration fiscale si l’obtention de la restitution de la taxe indue auprès du fournisseur est impossible ou excessivement difficile (point 7 de sa décision).
En l’absence de démarche spontanée par le fournisseur pour corriger son erreur et restituer à son client le montant de la taxe qu’il a facturée à tort, l’action civile en répétition de l’indu serait ainsi dans tous les cas la voie première et prioritaire pour le client, y compris dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, l’application de la TVA en sus du prix avait été prévue par le contrat dans le respect des dispositions de l’article 281 octies du CGI qui prévoyaient alors la taxation des produits sanguins concernés et dont la non-conformité à la directive TVA n’a été révélée que par la suite.
La priorité donnée à une action vis-à-vis du fournisseur est évidement décevante pour les entreprises qui voyaient dans une action directe à l’égard du Trésor une source de simplicité.
III. Plusieurs Interrogations en suspens
La décision du Conseil d’Etat est par ailleurs loin de répondre à toutes les interrogations relatives aux modalités suivant lesquelles les deux parties à une livraison de biens ou une prestation de services soumise à tort à la TVA peuvent préserver leurs intérêts pour obtenir la restitution d’une TVA qui aurait été appliquée à tort et, partant, perçue par le Trésor public sur le seul fondement de la règle suivant laquelle toute TVA facturée est due (CGI, art. 283 3).
Pourtant, la jurisprudence admet désormais de manière constante qu’une régularisation doit, en pareille situation, être possible sous réserve, d’une part, qu’elle intervienne dans un délai raisonnable et, d’autre part, qu’elle ne se traduise pas par un préjudice pour le Trésor.
Si l’on s’en tient à la situation à l’origine de la décision Polyclinique Les Fleurs, l’une des questions en suspens est de savoir précisément dans quelles circonstances, quel délai et suivant quelle procédure les démarches engagées par le client vis-à-vis de son fournisseur pourront, si elles restent ou s’avèrent définitivement infructueuses, être considérées comme rendant « excessivement difficile » la restitution de la taxe et justifier une action directe auprès du Trésor, hormis bien entendu l’hypothèse de sa disparition.
Pour le fournisseur qui, par hypothèse, aurait acquitté au Trésor la TVA dont son client lui demande la restitution, la question essentielle est de savoir dans quel délai il peut à son tour se tourner vers le Trésor pour en obtenir la restitution.
Dans le litige qui l’opposait à son client, l’EFS avait fait valoir à l’appui de son pourvoi que le délai de prescription de l’action civile en répétition de l’indu ouvert à ses clients excède le délai dans lequel il pourrait, de son côté, demander au Trésor la restitution de la taxe qu’il a collectée et versée à tort, se mettant ainsi en risque d’avoir à supporter à titre définitif le coût de la TVA qu’il avait versée au Trésor.
Cette circonstance serait par elle-même sans incidence sur le droit à répétition de l’indu ouvert au client et la question que soulève ce moyen invoqué par l’EFS relève, comme l’indique Madame Bogdam-Tognetti dans ses conclusions, d’un autre litige éventuel et d’ordre fiscal.
Face à ces interrogations, l’administration pourrait utilement saisir l’opportunité créée par la décision du Conseil d’Etat pour apporter des précisions qui permettraient aux entreprises de régulariser leur situation en toute connaissance des procédures à mettre en œuvre.
Il n’est certes pas exclu que ces questions puissent appeler des réponses différentes selon les circonstances dans lesquelles le client peut se trouver en situation de revendiquer la restitution d’une TVA qu’il a initialement acquittée à son fournisseur puisque l’administration pourra légitimement s’assurer que la restitution ne risque pas, in fine, de porter préjudice aux intérêts du Trésor.
Sans procéder à un examen exhaustif des différentes situations susceptibles de se présenter, les conditions pour confirmer le droit à restitution du fournisseur ayant restitué la taxe indument facturée à son client nous paraissent réunies dans au moins deux situations.
Lorsque, comme dans l’espèce à l’origine de la décision du 29 novembre 2023, il ne fait aucun doute que la TVA n’aurait pas dû être appliquée à la transaction (du fait, en l’occurrence, de la non-conformité avérée au droit de l’Union européenne de la réglementation en application de laquelle l’opération a été initialement soumise à la taxe), il est évident que les principes de neutralité, d’effectivité et de sécurité juridique imposent que le fournisseur puisse obtenir du Trésor la restitution de la taxe qu’il aura reversée à son client sans que puisse lui être opposé la prescription d’une régularisation de la taxe initialement collectée.
Il en va de même dans l’hypothèse où c’est après que son client se soit vu contester par l’administration fiscale son droit à la déduction de la TVA au motif qu’elle aurait été illégalement facturée que le fournisseur est actionné en restitution.
Cette dernière situation est d’ailleurs à rapprocher de celle, inverse, dans laquelle le fournisseur a fait l’objet d’un rappel au titre d’une opération taxable qu’il aurait initialement exonérée ou soumise à un taux inférieur à celui légalement applicable : dans ce cas, l’administration indique que le fournisseur redevable de la TVA peut délivrer à son client une facture rectificative et que ce dernier est alors autorisé à opérer la déduction du complément de taxe jusqu’au 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de la facturation rectificative (BOI-TVA-DED-40-20 n° 80).
Article paru dans Option Finance le 09/02/2024
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