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Le versement d'une soulte dans le cadre d'une opération de restructuration

Ne constitue pas nécessairement un abus de droit

24/10/2019

Dans quatre jugements non publiés du 16 juillet 2019, le tribunal administratif de Montreuil a jugé que la soulte prévue par l’article 150-0 B du CGI et dont le montant est librement déterminé par les parties dans la limite fixée par la loi, peut être regardée comme une mesure incitative à l’adhésion des apporteurs à la nouvelle organisation du groupe issue de l’opération de restructuration, et non comme une opération visant exclusivement à éluder l’impôt.

Les quatre jugements du tribunal administratif de Montreuil du 16 juillet dernier devraient s’illustrer comme une première fissure dans l’argumentation de l’administration fiscale qui, d’une manière répétée et soutenue, condamne le versement de soultes dans les opérations d’apports de titres aux motifs que ces dernières poursuivraient un objectif exclusivement fiscal d’appréhension de liquidités en franchise d’impôt et constitueraient, ce faisant, une fraude à la loi en ne répondant pas aux intentions du législateur. Le sort de ces premières décisions devrait donc être suivi avec une attention redoublée par les contribuables qui ont cru pouvoir recevoir, en échange des titres qu’ils avaient apportés à une structure, généralement familiale, une soulte conformément aux dispositions légales qui assurent le sursis d’imposition des plus-values dégagées à cette occasion.

Précisons que si ces quatre décisions concernent des opérations réalisées en 2010, placées donc sous un régime de sursis d’imposition des plus-values d’apport, il semble que les principaux considérants soient transposables aux opérations d’apports de titres soumis, depuis 2012, aux dispositions qui instituent un mécanisme de report d’imposition (art. 150-0-B ter du CGI) lorsque l’apport est réalisé au bénéfice d’une société contrôlée par les apporteurs.

L’apport de titres à une structure ad hoc, dont le capital est entièrement détenu par l’apporteur et qui s’accompagne du versement d’une soulte a depuis fort longtemps été considéré comme une opération condamnable tant il est délicat dans cette situation d’identifier un objectif autre que l’appréhension de liquidités en franchise d’impôt. Il n’en va pas de même toutefois lorsque l’opération s’inscrit dans une réorganisation des structures d’un groupe dans un souci de protection ou de préservation des entités en cause ou encore, lorsque l’opération prélude à une transmission familiale de l’entreprise.

L’administration fiscale n’hésite toutefois pas, même dans de telles circonstances, à requalifier la soulte sur le fondement de l’abus de droit, comme l’illustrent ces quatre décisions.

La situation qui se présentait devant le juge de l’impôt était assez classique puisqu’il s’est agi, en résumé, pour un particulier de réaliser un apport de droits sociaux à des sociétés relevant de l'impôt sur les sociétés, en percevant dans ce cadre une soulte. La particularité de l’espèce tenait à ce qu’une partie des droits apportés était démembrée entre ce particulier et ses cinq filles et que, ce faisant, les nues-propriétaires ont remis à l’échange, avec l’usufruitier, leurs droits respectifs.

Compte tenu de l’existence de ce démembrement, une partie des parts émises par les sociétés bénéficiaires des apports a également fait l’objet d’un démembrement, tout comme une partie de la soulte, générant un quasi-usufruit.

Ce particulier a, le lendemain des apports, fait donation des titres reçus en contrepartie de l’échange à ses filles et à ses petits-enfants, purgeant définitivement les plus-values en sursis d’imposition. Observons enfin que la circonstance que le financement des soultes ait été assuré par une autorisation de découvert d’un établissement de crédit, n’a pas influencé défavorablement la décision du juge de l’impôt.

Dans ces affaires comme dans de nombreuses autres, l’administration fiscale a considéré, sur le fondement de l'article L. 64 du LPF, non seulement que les soultes étaient artificielles et dissimulaient une appréhension de liquidités en franchise d’impôt mais également que le versement d'une soulte devait répondre à un objectif de parité d'échange, considération qui semblait ici étrangère aux opérations litigieuses et justifiant alors la requalification des soultes en revenus de capitaux mobiliers, sur le fondement du 2° de l'article 109-1 du CGI.

Le comité de l’abus de droit fiscal a suivi l’analyse de l’administration, aussi bien à raison des soultes appréhendées par le particulier que celles reçues par ses filles[1].

Le juge de l’impôt a, pour sa part, estimé que la soulte, au sens de l’article 150-B du CGI, ne répondait pas à un objectif d’ajustement de parité d’échange mais devait être regardée comme une mesure d’appréhension de liquidités librement décidée par les parties pour rendre acceptable l’adhésion des apporteurs à une opération de restructuration d’entreprises nécessaire à leur développement. Il a cependant réservé le fruit de cette analyse aux filles du contribuable sans la transposer à ce dernier considéré comme le maître de l’opération.

C’est sous le bénéfice d’une telle grille d’analyse que le tribunal a fait la part entre :

  • les soultes versées aux filles du protagoniste de l’opération, en rémunération de leurs titres démembrés, et justifiées par un objectif d’adhésion au projet de restructuration. En apportant leurs titres, les filles en cause avaient, en effet, perdu aux termes des statuts de la société leur liberté de négociation des titres qu’elles possédaient jusqu’alors, en soumettant toute opération de cession de titres à une procédure interne d’agrément ou de substitution, afin de pérenniser et développer le groupe familial par la détention majoritaire et stable que la société bénéficiaire des apports y détient. Ces nouvelles contraintes, qui portaient sur la liquidité des parts reçues en échange avaient nécessairement, a considéré le tribunal, un impact négatif sur leur valorisation, susceptible de freiner leur adhésion à la nouvelle organisation ;
  • et celle octroyée au père dès lors que :
    ° l’opération de restructuration avait été réalisée sous sa seule initiative en imposant « sa propre volonté aux membres de sa famille, qui n’ont fait que respecter l’organisation souhaitée par un seul et même contribuable », en sorte que la soulte qu’il s’était versé à raison des actions non démembrées n’était manifestement pas nécessaire à sa propre adhésion à l’opération de restructuration ;
    ° l’effet de relution dans les sociétés bénéficiaires n’aurait pas été de nature à remettre en cause l’économie générale de l’opération.

On saluera l’effort d’analyse et de nuance du juge de Montreuil qui apporte à cette question une intéressante contribution.

Les décisions rendues à l’égard des soultes perçues par les filles constituent un premier revers pour l’administration fiscale ; cette dernière n’étant désormais plus fondée à soutenir qu’une soulte répond exclusivement à un objectif d’ajustement de parité d’échange, en méconnaissance totale de sa propre doctrine[2].

Mais au-delà, il n’est pas interdit de s’interroger sur les suites qui pourraient être réservées à ces premiers jugements.

Ouvrent-ils la voie d’une réflexion plus approfondie, une fois faite la distinction entre les situations critiquables de celles qui ne le sont pas, sur la nature de la soulte en tant qu’une alternative opportune et non critiquable à la remise de titres en échange des apports, si et pour autant qu’elle facilite la réalisation d’une opération de restructuration et cela aussi bien pour celui qui contrôle la société bénéficiaire des apports que pour les contribuables qui l’accompagnent ? A ce titre, ne peut-on pas s’interroger sur la distinction opérée par le juge de Montreuil et faire valoir que le père, bien qu’instigateur de l’opération, a pu tout autant altérer la liquidité des ses titres ?

Dès lors qu’elle est parfois un outil de transmission patrimoniale indispensable et, qu’à cet égard, si la considération fiscale n’est pas étrangère à la décision d’attribution d’une soulte, elle peut n’en être ni l’élément exclusif ni principal, doit-elle donner prise à une requalification par trop systématique ? Il en va particulièrement ainsi lorsque la soulte n’a jamais été utilisée pour faciliter le train de vie de l’apporteur des titres ou lorsqu’elle n’a permis à l’apporteur que de financer des droits de donation, corrélatifs à l’objectif poursuivi par l’opération.

Ne doit-on pas dans les nombreuses affaires qui se présenteront aux juges distinguer selon l’utilisation de la soulte et probablement épargner davantage celles qui n’ont pas donné lieu à versement effectif ou qui n’ont pas eu d’autres effets que d’éviter ou réduire l’effet dilutif de l’apport en considération des autres associés de la structure bénéficiaire ?

Sera-t-il évoqué la pertinence de la requalification par l’administration de la soulte parfois en revenus de capitaux mobiliers et d’autres fois en plus-value ? Les conséquences financières en termes de quantum pouvant être significativement différentes.

Ces premiers jugements ouvriront ils une réflexion sur la compatibilité de l’analyse administrative au droit de l’union européenne ?

Il est fort à parier que ces décisions marquent le début d’un très long feuilleton jurisprudentiel tant sont nombreux les litiges en cours opposant les contribuables à une requalification opérée par les services vérificateurs.  


[1] Affaire n° 2016-20, 2016-21, 2016-22 et 2016-23 (le comité comme le tribunal administratif de Montreuil n’a été saisi que pour trois des cinq filles de Monsieur A.).

[2] BOI-RPPM-PVBMI-30-10-20 du 31 octobre 2012, n°310 et s.

Article paru dans le magazine Option Finance le 14 octobre 2019


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