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Les distributeurs peuvent-ils encore infliger des pénalités logistiques ?

le Sénat a souhaité se saisir de la question des pénalités logistiques

14/04/2022

Tribune publiée dans LSA le 12 avril 2022 

Quelques jours à peine après l’invitation des Pouvoirs publics faite aux fournisseurs et distributeurs du secteur agroalimentaire de mener de nouvelles négociations commerciales pour tenir compte de la répercussion dans le prix des intrants de l’envolée du coût des matières premières, de l’énergie, du transport et des emballages induite par la crise ukrainienne, le Sénat a souhaité se saisir de la question des pénalités logistiques.

L’objectif a été de réagir aux comportements très répandus cherchant clairement à contourner le strict encadrement de ces pénalités mis en place par la loi Egalim 2. Aussi les sénateurs ont-ils estimé indispensable de préciser l’intention du législateur pour faciliter une application rigoureuse et homogène du nouveau dispositif (rapport d’information n° 595 du 30/03/2022).

Lorsque le nouveau dispositif est entré en vigueur, tous les regards ont convergé sur les aspects de la loi relatifs à la négociation des matières premières agricoles. Curieusement, la question de l‘encadrement des pénalités logistiques est passée sous silence alors même que le nouveau dispositif était applicable dès le 20 octobre 2021, y compris pour les pénalités qui seraient réclamées au titre d’un contrat signé avant cette date.

Or, bien que ce nouvel encadrement doive être respecté depuis maintenant plusieurs mois, force est de constater que, dans bien des situations, il est resté lettre morte. 

Sans doute la Foire aux questions publiée le 15 décembre 2021 par l’Administration n’y consacrait-elle pas assez de développements, pour que le bouleversement opéré ait été pleinement mesuré.

Pourtant l’objectif du législateur était clair : encadrer les pratiques sans remettre en question l’existence des pénalités, afin d’éviter que celles-ci ne soient imposées dans le seul but d’améliorer la rentabilité du créancier. Les pénalités ont même été qualifiées de « véritable centre de profit » dénuées de tout fondement ou motivées par des considérations abstraites ou exagérées.

Il s’agissait donc de ramener les distributeurs et les fournisseurs à des fondamentaux du droit des contrats et de la responsabilité civile : ainsi, si les pénalités ne sont pas remises en cause, elles doivent réparer un préjudice réel résultant d’une inexécution contractuelle et être strictement proportionnées à ce préjudice.  

A ce titre, le nouveau dispositif prévoit un certain nombre de garde-fous et impose au demandeur de pénalités le respect de plusieurs exigences.

Que prévoit le nouveau dispositif ?

L’article L. 442-1, I, 3° du Code de commerce interdit depuis le 20 octobre 2021, au titre des pratiques restrictives de concurrence, le fait « d'imposer des pénalités ne respectant pas l’article L. 441-17 ».

Ce dernier pose le principe selon lequel « le contrat peut prévoir la fixation de pénalités infligées au fournisseur en cas d’inexécution d’engagements contractuels ». Le contrat doit alors stipuler « une marge d’erreur suffisante au regard du volume de livraisons prévues » et « un délai suffisant » pour informer l’autre partie en cas d’aléa.

Plus précisément, le nouveau dispositif énonce que :

  • les pénalités infligées aux fournisseurs par les distributeurs ne peuvent dépasser un pourcentage du prix d’achat des produits concernés et doivent être proportionnées au préjudice subi au regard de l’inexécution d’engagements contractuels ;
  • le refus ou le retour de marchandises est interdit (sauf non-conformité ou non-respect de la date de livraison) ;
  • la preuve du manquement doit être apportée par le distributeur (par tout moyen), le fournisseur disposant d’un délai raisonnable pour vérifier et, le cas échéant, contester la réalité du grief correspondant ;
  • la déduction d’office du montant de la facture des pénalités ou rabais correspondant au non-respect d’un engagement contractuel est interdite ;
  • l’application de pénalités logistiques est réservée aux seules situations ayant entrainé des ruptures de stocks, à moins que le distributeur ne puisse démontrer et documenter par écrit l’existence d’un préjudice ;
  • l’application des pénalités logistiques doit tenir compte des circonstances indépendantes de la volonté des parties. En cas de force majeure, aucune pénalité logistique ne peut être infligée ;
  • le délai de paiement des pénalités ne peut pas être inférieur au délai de paiement des marchandises.

Plusieurs interrogations ont très rapidement surgi.

Peut-on déroger au nouvel encadrement ?

A notre avis, non, car l’article L. 442-1, I, 3° du Code de commerce est un texte d’ordre public économique dont l’objet vise à interdire une pratique constitutive d’une pratique restrictive de concurrence per se, susceptible d’être sanctionnée par une amende civile de 5 millions d’euros à la demande du ministre de l’Economie. Cette pratique est caractérisée notamment par le non-respect de l’interdiction portée par l’article L. 441-17, I, al. 7.

Les nouvelles règles sont en conséquence impératives et les parties ne sauraient y déroger.

Quel est son champ d’application ?

On comprend du premier alinéa de l’article L. 441-17, I, que tout contrat est potentiellement visé. Or, rien n’est moins sûr, le reste du texte laissant comprendre que seules les relations fournisseurs / distributeurs seraient concernées. En d’autres termes, l’encadrement posé par l’article L. 441-17 ne s’appliquerait pas dans les relations fournisseurs / autres clients non-distributeurs (transformateurs notamment). C’est d’ailleurs ce qui semble ressortir des travaux parlementaires, dans lesquels seules les pratiques de distributeurs se trouvent stigmatisées (notamment Rapport Sénat n° 828 p. 55 s.). Pour autant, on observera que la notion de « distributeur » n’est pas définie, ce qui autorise une acception large du terme.

La démonstration d’un préjudice est-elle nécessaire lorsque le manquement a entraîné une rupture de stock ?

L’alinéa 6 de l’article L. 441-17, I, indique que : « Seules les situations ayant entraîné des ruptures de stocks peuvent justifier l’application de pénalités logistiques. Par dérogation, le distributeur peut infliger des pénalités logistiques dans d’autres cas dès lors qu’il démontre et documente par écrit l’existence d’un préjudice. »

Doit-on comprendre qu’en cas de rupture de stocks l’application de pénalités logistiques est justifiée sans qu’il soit nécessaire de démontrer un préjudice, celui-ci étant en quelque sorte présumé ?

Nous ne le pensons pas, compte tenu du principe général posé également par l’alinéa 2 de l’article selon lequel des pénalités peuvent être infligées en cas d’inexécution contractuelle pour autant que leur montant soit proportionné au préjudice subi, ce qui implique de déterminer le préjudice.

Le Sénat a d’ailleurs opportunément confirmé que la preuve du préjudice doit être rapportée dans toutes les situations, tout en soulignant à cet égard qu’une rupture en entrepôt ne génère pas forcément un préjudice.

Qu’est-ce qu’une rupture de stocks ?

Le texte n’indique pas si seules les ruptures de stocks en points de vente peuvent entraîner les pénalités. Les ruptures de stocks en plateformes ou en entrepôts sont-elles également génératrices de pénalités ?

Sans précisions, on peut penser que toutes les ruptures de stocks peuvent donner lieu à pénalités, sous les réserves exprimées ci-avant. Le Rapport précité du Sénat le confirme.

Comment prouver et documenter par écrit son préjudice ?

Si quelques observateurs ont pu penser qu’il était possible d’établir par présomption que certains manquements entraînaient un préjudice, le Rapport du Sénat rappelle opportunément que la charge de la preuve repose sur celui qui invoque le préjudice. En d’autres termes, le distributeur ne pourra infliger de pénalités au fournisseur que s’il démontre la matérialité et les conséquences en termes financiers du préjudice qu’il a subi.

Aussi, chaque manquement devrait en principe être documenté et démontré par écrit.

En pratique, on voit cependant mal comment le distributeur pourra établir son préjudice en termes financiers sans démontrer une baisse de son chiffre d’affaires ou une perte de compétitivité entraînés par le manquement, dès lors que cette baisse ou ce manque de performance a pour origine le seul manquement du fournisseur… De son côté, le fournisseur devra être à même de vérifier les éléments avancés par le distributeur.

La preuve risque d’être difficile à rapporter et on attend avec impatience la publication du guide des bonnes pratiques sur les pénalités logistiques prévu par le Code de commerce.

Quel pourcentage de pénalités retenir ?

Dorénavant, la pénalité ne peut dépasser un pourcentage du prix d’achat des produits concernés. Autrement dit, les pénalités ne peuvent dépasser le prix des produits concernés.

Cela étant quel pourcentage retenir ? Dans la mesure où la pénalité doit être proportionnée au préjudice réel subi, il semble difficile d’ériger une règle de calcul uniforme, même si cette règle est privilégiée par les distributeurs. Chaque manquement doit faire l’objet d’une évaluation.

Les déductions d’office

Ces dernières étaient déjà interdites. Elles le restent sans aucune ambiguïté. Pourtant, la pratique de l’envoi de notes de débit et des déductions d’office semble perdurer. 

On le voit, des incertitudes existent. Aussi, pour que les pénalités logistiques cessent d’être la source déguisée de revenus dénoncée par le législateur et que certains professionnels mettent rapidement fin aux stratégies de contournement du nouveau texte, il est primordial que la DGCCRF publie rapidement son « guide de bonnes pratiques », comme le lui impose l’article L. 441-19 du Code de commerce. Elle y est d’ailleurs fortement invitée par le Sénat qui a utilement rappelé que les recommandations de la CEPC en la matière ne sauraient s’y substituer, la CEPC n’étant qu’une instance consultative.  


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