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Preuve de la soumission à un déséquilibre significatif

L’insuffisance des procès-verbaux anonymisés

20/06/2022

La communication de procès-verbaux de déclarations de fournisseurs anonymisées ne saurait constituer la preuve déterminante de la soumission de ces fournisseurs à un déséquilibre significatif (Cass. com. 11 mai 2022 n° 19-22.242).

Pour être caractérisée, l’infraction de déséquilibre significatif (art. L.442-1, I 2° C. com.) suppose que soit démontrée, en tout premier lieu, la soumission (entendue comme l’absence de négociation effective) ou la tentative de soumission de la partie qui prétend en être victime par l’autre partie.

Si cette démonstration n’est pas toujours aisée, en particulier lorsque l’action en responsabilité est exercée par le ministre de l’Economie, toutes les preuves ne sont pas pour autant recevables. Encore faut-il qu’elles ne portent pas atteinte au droit au procès équitable garanti par les articles 6§1 et §3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH).

Une écoute favorable des juges d’appel.

En 2019, la cour d’appel de Paris avait condamné la filiale française du groupe GE (acteur majeur du secteur de l’énergie) à une amende de deux millions d’euros pour déséquilibre significatif (voir notre article).

Dans cette affaire, suivie par nos soins, elle avait reconnu pour la première fois, au titre de la démonstration de la soumission, la valeur probante de plusieurs procès-verbaux de déclarations de fournisseurs produits par le ministre de l’Economie dans lesquels étaient anonymisées un certain nombre d’informations (nom du fournisseur et de la personne auditionnée, activité de l’entreprise, marché concerné, chiffres d’affaires passé et futur de l’entreprise et part du chiffre d’affaires réalisé avec l'acheteur).

Selon la Cour, la communication de ces procès-verbaux anonymisés n’avait pas porté, au regard des circonstances très particulières de l’espèce, une atteinte disproportionnée au principe du contradictoire, les PV ayant été dressés par des agents assermentés et ayant porté sur des questions dont GE avait connaissance et auxquelles elle pouvait répondre en produisant des pièces contraires ; les seules informations tronquées l’avaient été dans le but de protéger l’identité des déposants et l’efficacité des enquêtes et procédures garantes de l’ordre public économique.

Reprochant à la Cour d’appel d’avoir ainsi fondé sa décision sur les seules déclarations anonymes litigieuses, GE s’était pourvu en cassation pour violation de l'article 6 §1 et §3 de la CEDH.

Une censure sèche par la Cour de cassation. 

Après avoir estimé que les dispositions de la CEDH pouvaient être valablement invoquées pour la première fois devant elle dès lors que les principes dont s’était prévalus GE (principe de contradiction et des droits de la défense et principe de la loyauté et de l’équité des débats), qui sont au nombre de ceux garantis par la CEDH, étaient dans le débat, la Cour de cassation a censuré vigoureusement la cour d’appel de Paris.

Elle le fait aux termes d’un attendu de principe énonçant que « il résulte de ce texte (art. 6§1 et §3 CEDH) qu’au regard des exigences du procès équitable, le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des déclarations anonymes ».

Or, pour conclure à la soumission des fournisseurs, la Cour d’appel avait estimé que les 17 témoignages résultant des déclarations recueillies par l’Administration auprès 

de personnes présentées comme des fournisseurs de GE, dont l'identité, l'activité et le chiffre d'affaires qu'elles réalisaient avec elle n'étaient pas mentionnés, se corroboraient entre eux en ce qu'ils faisaient état d’une impossibilité de négocier avec GE les clauses contractuelles litigieuses, lesquelles se retrouvaient dans la majorité des contrats liant GE à ses fournisseurs ou sous-traitants. Elle en avait déduit que ces références confirmaient la crédibilité des procès-verbaux, dressés par des agents assermentés, établissant que les fournisseurs de GE étaient dans l’impossibilité juridique, technique et commerciale de travailler avec celle-ci en cas de refus des clauses litigieuses.

Ce faisant, la Cour d’appel s’était fondée, de façon déterminante, sur les seules déclarations recueillies anonymement pour estimer rapportée la preuve de l'existence d'une soumission des fournisseurs aux clauses contractuelles en cause, en méconnaissance des dispositions de la CEDH. D’où la cassation.

Cette décision fait prévaloir avec vigueur les principes garantis par la CEDH, spécialement le droit au procès équitable et confirme la difficulté pratique rencontrée par le ministre de l’Economie, lorsqu’il intervient en lieu et place des entreprises, à apporter la preuve de l’absence de négociation effective des clauses porteuses d’un déséquilibre significatif. Elle s’inscrit dans la logique actuelle des juridictions qui exclut, en dépit de la difficulté inhérente à l’administration d’une preuve négative, toute inversion de la charge de la preuve incombant au ministre même dans les contextes de structure du marché fortement déséquilibrée (secteur de la grande distribution).


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