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Que reste-t-il de nos AG (à huis clos) ?

La pandémie de covid-19 a contraint les pouvoirs législatif et exécutif à la production dans des délais très courts de nombreux textes dérogatoires

18/11/2021

Les mesures d’exception adoptées pendant la pandémie de covid-19 ont fait apparaître un droit des assemblées générales remarquable à plusieurs égards. Le champ d’application de ces mesures mérite tout d’abord d’être rappelé en ce qu’il était particulièrement large, faisant émerger un véritable droit commun des groupements. L’impact de ces mesures est ensuite très intéressant, puisque si les membres des assemblées n’ont pu y participer physiquement, cela n’a pas pour autant mis fin à la participation à la vie du groupement. Enfin, on peut se poser la question de la pérennisation de certaines des mesures qui figuraient au sein de ce droit d’exception, mesures qui étaient temporaires mais pourraient raisonnablement être conservées.

La pandémie de covid-19 a contraint les pouvoirs législatif et exécutif à la production dans des délais très courts de nombreux textes dérogatoires, permettant de tenir compte de l’impossibilité de se réunir physiquement, ou assouplissant telle ou telle règle, ou allongeant certains délais. Parmi les dizaines d’ordonnances ayant contribué à la constitution de ce droit spécial du covid-19, il en est une qui a bouleversé un aspect concret de la vie des sociétés : l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l'épidémie de covid-19 (substantiellement modifiée par une ordonnance n° 2020-1497 du 2 décembre 2020, ces ordonnances étant elles-mêmes complétées par plusieurs décrets).

Ce dispositif a, par sa mesure la plus marquante, permis que les associés, actionnaires ou obligataires se réunissant en assemblée puissent valablement le faire… sans se réunir en assemblée ! Plus précisément, l’ordonnance précitée a permis qu’une assemblée puisse se tenir sans la présence physique de ses membres. Pendant la période où le texte était applicable, il était même possible que les membres de l’assemblée se voient priver, si les auteurs de la convocation le décidaient, de la possibilité d’intervenir et de voter par voie de visioconférence ou audioconférence. D’autres mesures étaient prévues, facilitant, notamment, le recours à la consultation écrite et au vote par correspondance.

Les ordonnances et décrets concernés, qui étaient dans leur ensemble d’une assez haute qualité rédactionnelle, ont tout de même suscité un certain nombre d’interrogations, ce qui était sans doute inévitable. Ces interrogations étaient d’autant plus légitimes qu’était potentiellement en cause la validité des décisions prises lors des assemblées des sociétés. Mais n’oublions pas que le dispositif offrait aux groupements qui en bénéficiaient, tout simplement, la possibilité de tenir une assemblée là où les restrictions sanitaires auraient souvent fait obstacle à la réunion physique des trop nombreux membres du groupement concerné.

Au-delà de la littérature juridique relativement abondante suscitée par ce dispositif spécial, on notera deux aspects remarquables, qui incitent nous semble-t-il à réfléchir à la prorogation du dispositif.

I – Un champ d’application extrêmement large

Le premier aspect remarquable du dispositif a été le caractère extrêmement large, quasiment universel, du champ d’application des règles spéciales. Celles-ci ont été déclarées applicables, tout simplement, « aux personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé » (ord. n° 2020-321 du 25 mars 2020, art. 1). En clair, toute personne morale, société, association, syndicat, etc., ainsi que tout groupement non personnifié se sont trouvés régis, pendant la durée où le dispositif a été en vigueur, par une réglementation commune, qui avait été rédigée avec assez de talent pour ne pas susciter d’incompatibilité majeure.

Cela signifie que durant la période concernée, les mêmes règles s’appliquaient aux assemblées des associés des sociétés civiles et commerciales et aux sociétaires des associations régies par la loi du 1er juillet 1901, aux associés des sociétés de personnes (sociétés civiles, sociétés en nom collectif), aux associés des SARL, aux actionnaires des sociétés de capitaux (SA, SAS, commandites par actions) et aux assemblées générales de la masse des porteurs d'une émission obligataire.

On critique souvent, et à juste titre, le caractère morcelé du droit français des groupements, qui multiplie les structures et les régimes juridiques spéciaux. Or, il faut bien constater que, sous la pression de la crise sanitaire, des textes ont pu être produits qui ont passé outre les différentes formes sociales, et sans que des difficultés criantes n’apparaissent, ont donné à voir un véritable droit commun des groupements.

II – L’impact sur la démocratie actionnariale

Le second aspect du dispositif d’exception a été le résultat produit. Passons sur le fait que des assemblées ont pu se tenir, qui auraient dû, sinon, être repoussées sans visibilité claire sur la date effective de leur tenue. Si des voix se sont fait entendre pour pointer l’atteinte à la démocratie actionnariale qui a pu résulter de la tenue d’assemblées à huis clos dans les sociétés cotées, il est intéressant de se demander si, à certains égards, cette démocratie n’a pas été renforcée par la dématérialisation des assemblées. Là où la participation physique n’était plus possible, les sociétés ont dû proposer à leurs actionnaires des moyens différents de participer, et cela a pu susciter un intérêt pour les assemblées générales là où il n’existait pas encore. Ne plus pouvoir participer (physiquement) aux assemblées n’a pas tué le désir de participer (par quelque moyen que ce soit) aux assemblées.

Si on accepte de limiter le propos aux plus grandes sociétés, précisément aux sociétés cotées, on lira avec intérêt le Rapport 2020 sur le gouvernement d’entreprise et la rémunération des dirigeants des sociétés cotées de l’AMF, qui tirait un « bilan contrasté » des assemblées tenues en 2020. Le régulateur, après avoir constaté que les sociétés cotées avaient « très largement décidé de tenir leur assemblée générale à « huis clos », faculté offerte par le régime d’exception instauré par l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 », constatait que « L’impossibilité d’assister à ces assemblées générales [avait] porté atteinte à certains droits des actionnaires ». Pour autant, cette dématérialisation des assemblées n’a pas été synonyme d’anéantissement de l’implication des actionnaires, puisque le régulateur relevait : « Il convient de noter cependant que le quorum moyen de 2020 est resté stable par rapport à celui des assemblées générales tenues en 2019 et que le taux de contestation des résolutions soumises au vote des actionnaires a sensiblement augmenté cette année, attestant d’une vigueur persistante de l’implication des actionnaires dans ce contexte exceptionnel ».

Mais c’est aussi, à bien y réfléchir, que la participation physique à une assemblée générale, prérogative essentielle pour une société au nombre d’associés/actionnaires limité, n’a vraisemblablement pas la même importance dans une société de très grande taille. La question orale posée rapidement dans une séance réunissant plusieurs milliers d’actionnaires a-t-elle nécessairement davantage d’impact que la question écrite relayée à tous les actionnaires – et pas seulement aux présents ?

III – La question de la pérennisation d’une partie du dispositif

Les ordonnances permettant la tenue d’assemblées générales à huis clos ont dès le départ été dotées d’un champ d’application limité dans le temps. Initialement applicables entre mars et juillet 2020, les mesures d’exception permises par les ordonnances ont été prorogées par « petites touches », la plupart du temps de quatre mois en quatre mois, pour aboutir à une application qui aura en définitive concerné les assemblées et réunions des organes collégiaux d'administration, de surveillance et de direction tenues à compter du 12 mars 2020 et jusqu'au 30 septembre 2021.

On peut concevoir qu’un moyen de légitimer des atteintes aussi fortes à ce droit fondamental de l’associé/actionnaire/obligataire (ou du moins, perçues comme telles) qui est le droit de participer aux décisions collectives était la limitation dans le temps de cette atteinte.

Mais se pose aujourd’hui la question de l’opportunité de conserver, au moins en partie, le droit d’exception qui a permis la tenue des assemblées générales pendant la pandémie. Si la liberté contractuelle prime en matière obligataire, depuis la réforme de l'ordonnance n°2017-970 du 10 mai 2017, de sorte que de plus en plus de contrats d'émission d'obligations intègrent une option pour organiser des consultations plus souples que la tenue physique d'une assemblée d'obligataires, certains assouplissements, et certaines dérogations au fonctionnement traditionnel des sociétés et des groupements méritent sans doute de se maintenir, au-delà de la période de crise sanitaire. Enfin, il est envisageable d’utiliser davantage des moyens technologiques qui ne sont ni très modernes ni très compliqués à utiliser, pour permettre, par exemple, qu’un actionnaire qui n’est pas présent physiquement puisse suivre les débats, participer par écrit ou par oral, et puisse voter avec les actionnaires présents.

Points clés :

Pendant la pandémie de covid-19, les assemblées d'associés, actionnaires et obligataires ont pu se tenir sans la présence physique de leurs membres, grâce à l'adoption de mesures d’exception. Certains assouplissements au fonctionnement traditionnel des sociétés et des groupements méritent d’être pérennisés.

Article paru dans Option Finance le 08/11/2021


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