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Redevances d'infrastructure liées à l'utilisation du réseau ferré national pour l’horaire de service 2020

Annulation partielle d’un avis conforme du régulateur des transports

17/12/2020

Pour la première fois, SNCF Réseau obtient l’annulation partielle d’un avis de l’ARAFER (désormais "Autorité de régulation des transports" ou ART) sur les redevances d’accès au réseau ferroviaire. Le régulateur se félicite néanmoins d’avoir été partiellement conforté par le Conseil d’Etat.

Dans une décision du 27 novembre 2020, le Conseil d’Etat a annulé l’avis n° 2019-005 du 7 février 2019 de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAFER) relatif à la fixation des redevances d'infrastructure liées à l'utilisation du réseau ferré national pour l'horaire de service 2020 en ce qui concerne le transport de voyageurs (CE, 27 novembre 2020, n° 431748, SNCF Réseau c/ ARAFER). Il s’agit d’une annulation partielle, en tant que l’avis porte sur la redevance de marché pour les services conventionnés TER, ainsi que sur la redevance de marché et la redevance d'accès pour les services conventionnés en Ile-de-France.

Il s’agit de la première annulation d’un avis conforme de l’ARAFER sur les redevances d’accès au réseau ferroviaire. Une annulation a certes été prononcée par le Conseil d’Etat le 16 juin 2004 (n° 257213, région PACA) mais le tarif était alors fixé par arrêté interministériel.

Pour mémoire, en application de l’article L.2133-5 du Code des transports, le régulateur ferroviaire émet un avis conforme sur les projets de tarification de l’infrastructure ferroviaire qui lui sont soumis par SNCF Réseau.

Le 7 février 2019, l’ARAFER a émis un avis partiellement favorable au projet de tarification figurant à l’annexe 6.2 du document de référence du réseau publié le 7 décembre 2018. Le régulateur n’a pas suivi le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire en ce qui concerne la redevance de marché payée par les services conventionnés TER, les redevances de marché et d’accès payées par les services conventionnés en Ile-de-France. L’ARAFER n’a émis un avis favorable que sous la réserve d’une hausse globale maximale de ces redevances limitée à 1,8% par rapport à l’horaire de service 2019, alors que l’opérateur régulé demandait une hausse de 2,4%.

Le Conseil d’Etat fait d’abord preuve de pédagogie en rappelant les textes européens et internes encadrant la fixation de la structure tarifaire, avant d’en préciser le sens au point 8 de sa décision (1). Bien que l’ART soit confortée à certains égards (3), le Conseil d’Etat annule partiellement l’avis qui lui a été déféré (2).

1. Pédagogie sur la structure tarifaire de l’infrastructure ferroviaire

En vertu de l’article 31(3) de la directive n° 2012/34/UE du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen, les entreprises ferroviaires (EF) sont redevables d’une redevance égale "au coût directement imputable à l'exploitation du service ferroviaire". Ce que le texte européen appelle "principe des coûts directs" (article 33(1)) correspond ici au principe d’équivalence du droit administratif français.

Par dérogation, l’article 32(1) autorise une majoration des redevances au-delà de l’équivalence, afin de tendre vers la couverture complète des coûts de l’infrastructure ferroviaire, "sur la base de principes efficaces, transparents et non discriminatoires" et sous réserve de ne pas porter atteinte à la "compétitivité optimale des segments du marché ferroviaire".

Dans cette décision du 27 novembre 2020, le Conseil d’Etat précise que l’objectif de cette disposition est de "couvrir tout ou partie des coûts fixes du réseau", c’est-à-dire des coûts que le principe d’équivalence ne permettrait pas de faire supporter par les entreprises ferroviaires.

On notera que les principes sont inverses de ceux qui s’appliquent aux réseaux électriques et gaziers : les tarifs que paient leurs utilisateurs et qui sont fixés par la Commission de régulation de l’énergie doivent respecter le principe de couverture complète des coûts d’un gestionnaire de réseau efficace, posés aux articles L.341-2 et L.452-1 du Code de l’énergie, tels qu’interprétés par le Conseil d’Etat (CE, 22 octobre 2012, n° 332641, SIPPEREC, CE, 13 mai 2016, n° 375501, Sté Direct Energie, et CE, 3 mars 2018, n° 407516, Sté ENEDIS et autres, rendus dans le secteur de l’électricité). Le principe d’équivalence n‘est pas absent du Code de l’énergie mais il permet la fixation de tarifs différenciés par catégories d’utilisateurs, sans que la couverture complète des coûts ne puisse être remise en cause. L’énergie en réseau est historiquement payée à des niveaux qui couvrent les coûts, tandis que les transports ferroviaires subissent la concurrence intermodale et sont traditionnellement subventionnés, comme le rappellent les articles L.2111-9 et L.2111-25 du Code des transports, cités dans l’arrêt SNCF Réseau c/ ARAFER.

L’article L. 2111-25 du Code des transports reprend la structure tarifaire esquissée par la directive du 21 novembre 2012, en l’asseyant sur la "soutenabilité des redevances", ainsi que sur la "valeur économique […] de l’utilisation du réseau ferré national" pour les entreprises ferroviaires. Cet article prévoit également un mécanisme de régulation incitative : "tant que le coût complet du réseau n'est pas couvert par l'ensemble de ses ressources, SNCF Réseau conserve le bénéfice des gains de productivité qu'il réalise."

S’agissant des services conventionnés, c’est-à-dire des services de transport de voyageurs qui font l’objet de contrats de service public avec des autorités organisatrices de transports, des majorations peuvent être appliquées, sous réserve de leur "soutenabilité", condition qui fait écho à la préservation de la "compétitivité optimale" des entreprises ferroviaires en droit européen. Les principes susmentionnés d’efficacité, de transparence et de non-discrimination sont également repris ici. Par une autre décision du même jour, le Conseil d’Etat a rejeté le recours d’Ile-de-France Mobilités qui contestait l’application de ces majorations au regard des principes de non-discrimination et d’égalité (27 novembre 2020, n° 434544, Ile-de-France Mobilités).

Par ailleurs, le Conseil d’Etat précise, dans ces deux décisions du 27 novembre 2020, que la soutenabilité est entendue comme la "capacité du marché à […] supporter [ces coûts]" : les majorations ne doivent ni remettre en cause l’équilibre économique des entreprises ferroviaires, ni, dans l’hypothèse où les redevances seraient compensées par les autorités organisatrices de transports, inciter ces autorités à prendre des "mesures susceptibles d'affecter sensiblement l'utilisation de l'infrastructure sur ce segment", c’est-à-dire à diminuer leur soutien au transport ferroviaire.

Un raisonnement similaire existe dans le secteur de l’énergie, non pas pour limiter une majoration tarifaire mais pour justifier l’application de réductions tarifaires aux entreprises fortement consommatrices d’énergie pour lesquelles l’application du tarif au taux normal ne serait pas économiquement supportable, en raison de la concurrence internationale à laquelle elles font face  (articles L.351-1, D.341-9 et D.351-1 et suivants du Code de l’énergie s’agissant des électro-intensifs et articles L.461-1 et suivants et D. 461-1 et suivants s’agissant des gazo-intensifs). Ces dispositions reposent sur la logique des "fuites de carbone" qui trouve un fondement en droit européen dans les lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie et dans la directive 2003/87/CE du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre. Cette contrainte d’une concurrence extra-européenne n’existe pas dans le transport ferroviaire.

2. Annulation partielle de l’avis conforme de l’ARAFER

L’ARAFER a fondé son refus de valider la hausse tarifaire de 2,4 %, portant d’une part sur la redevance de marché payée par les autorités organisatrices et d’autre part sur la redevance d’accès payée par les entreprises ferroviaires, sur son insoutenabilité. En effet, elle excédait tant le plafond d'augmentation des dépenses de fonctionnement des régions que l'évolution de l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), sans que l’opérateur régulé ait en tout cas démontré la capacité des régions et d’Île-de-France Mobilités à la supporter. Le régulateur a en outre précisé que le contrat de performance entre l’Etat et la SNCF, dont les estimations prévisionnelles correspondaient à la hausse figurant au projet de SNCF Réseau, ne saurait prévaloir sur les principes européens et internes s’imposant à la fixation des redevances des infrastructures.

Le Conseil d’Etat indique au point 11 de sa décision que l’ARAFER a commis une erreur de droit en méconnaissant la portée du principe de soutenabilité. Il juge en effet que le régulateur a considéré à tort que la hausse tarifaire ne pouvait excéder l’évolution de l’IPCH et a donné au plafond d’augmentation des dépenses de fonctionnement des régions un caractère déterminant dans l’appréciation du standard de soutenabilité.

L’ART ne peut procéder, pour évaluer la soutenabilité des majorations applicables aux services de transport conventionnés, "comme pour les services librement organisés soumis à concurrence". La structure tarifaire de ces services est en effet dérogatoire ; le régulateur doit respecter les principes spécialement applicables à la fixation des majorations, mentionnés à l’article 32(1) de la directive du 21 novembre 2012 et aux dispositions de transposition.

3. Les autres apports de la décision

Malgré cette annulation partielle, l‘ART s’est félicitée de cette décision dans une publication du 27 novembre.

Elle estime que le Conseil d’Etat a en effet une nouvelle fois fait preuve de pédagogie en précisant au point 10 de sa décision que le régulateur peut formuler un avis favorable sous réserve. L’ART n’est pas tenue de se contenter d’approuver ou de refuser la tarification proposée par SNCF Réseau : elle peut l’approuver tout en imposant la réformation du projet qui lui a été transmis.

L’ART a également été confortée dans son rapport au contrat de performance entre l’Etat et SNCF Réseau, dans la mesure où elle doit seulement en "tenir compte". En outre, elle peut valablement prendre en compte l’IPCH pour évaluer la soutenabilité de la tarification.

Enfin, l’ART semble considérer que l’analyse qu’elle a menée sur les exercices de tarification postérieurs à la période concernée par l’annulation est plus approfondie et suffisante pour satisfaire les exigences posées par le Conseil d’Etat.

L’ART se prononcera de nouveau sur le projet de tarification de l'infrastructure ferroviaire pour l'horaire de service 2020. Le Conseil d’Etat lui a en effet enjoint d’adopter un nouvel avis dans un délai de deux mois, sans pour autant lui imposer de fixer la hausse des redevances susmentionnées à 2,4 %.


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