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Successions internationales et réserve héréditaire

établissement d’un nouveau droit de prélèvement

14/09/2021

La loi n°2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a mis en place un nouveau droit de prélèvement en présence d’une succession internationale. Ce droit permet, dans certaines hypothèses, aux enfants d’un défunt d’être allotis sur les biens situés en France de tout ou partie de la réserve héréditaire prévue par le droit successoral français, lorsque la loi successorale étrangère applicable ne prévoit aucun mécanisme réservataire. La conformité de ce nouveau droit de prélèvement à la Constitution et à la règlementation européenne est discutée. Il remet notamment en cause les stratégies patrimoniales des ressortissants d’Etats appliquant la common law qui ont des biens situés en France.

Par une décision en date du 5 août 2011, le Conseil constitutionnel avait jugé non conforme à la Constitution l’ancien droit de prélèvement qui permettait aux nationaux français de puiser leurs droits réservataires sur les biens situés en France lorsque la loi successorale étrangère normalement applicable ne leur attribuait pas l’équivalent de la réserve héréditaire française. La disposition méconnaissait le principe constitutionnel d’égalité devant la loi car elle était applicable uniquement aux Français.
On s’attendait à voir définitivement disparaître le droit de prélèvement, d’autant que, depuis août 2015, la loi applicable aux successions internationales est déterminée par le règlement européen n°650/2012 et que dans des arrêts Jarre et Colombier du 27 septembre 2017, la Cour de cassation a décidé que la réserve héréditaire ne faisait pas partie de l'ordre public international.
L’article 24 de la loi n°2021-1109 du 24 août 2021 vient malgré tout faire renaître le droit de prélèvement de ses cendres. Le nouvel article 913 troisième alinéa du Code civil dispose ainsi que :  « Lorsque le défunt ou au moins l'un de ses enfants est, au moment du décès, ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne ou y réside habituellement et lorsque la loi étrangère applicable à la succession ne permet aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants, chaque enfant ou ses héritiers ou ses ayants cause peuvent effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants situés en France au jour du décès, de façon à être rétablis dans les droits réservataires que leur octroie la loi française, dans la limite de ceux-ci. » Il s’appliquera aux successions ouvertes à compter du 1er novembre 2021.

L’application du nouveau droit de prélèvement nécessitera de remplir les deux conditions cumulatives suivantes :

● soit le défunt, soit l’un des enfants du défunt a la nationalité d’un Etat membre de l’Union européenne ou sa résidence habituelle dans un Etat membre (pas nécessairement la France) au moment du décès ; et

● la loi étrangère applicable à la succession, selon le règlement européen n°650/2012, ne connaît pas de mécanisme réservataire protecteur des enfants.

Si ces deux conditions sont réunies, chacun des enfants, ou ses héritiers ou ses ayants cause, même ceux qui n’ont aucun lien avec l’Union européenne, pourront prélever sur les biens existants situés en France pour obtenir, dans la limite de ces biens, la réserve héréditaire que leur accorderait le droit successoral français s’il était applicable.
Le droit de prélèvement revient à écarter la loi successorale étrangère désignée par le règlement européen n°650/2012 pour appliquer le droit successoral français, dans la double limite du montant de la réserve héréditaire et des biens successoraux situés sur le territoire français.
De nombreux auteurs s’interrogent sur la validité de ce nouveau mécanisme. Ils soulignent son incompatibilité avec la Constitution, malgré le fait qu’il ne soit plus réservé aux seuls ressortissants français. Les auteurs expriment aussi leur doute sur la compatibilité du nouveau droit de prélèvement avec le règlement européen n°650/2012. Certes, le règlement prévoit la possibilité d’écarter la loi applicable si elle est manifestement incompatible avec l’ordre public du juge saisi. Mais, on sait que la notion d’ordre public est interprétée strictement par la Cour de justice de l’Union européenne : il n’est donc pas certain que le nouveau texte réponde aux exigences du droit de l’Union.
En tout état de cause, en cas de contentieux, pour que le juge français puisse appliquer le droit de prélèvement, il devra être compétent selon les critères fixés non pas par le droit interne français mais par le règlement européen.
La portée et la validité du nouveau droit de prélèvement sont donc incertaines. Dans l’attente d’une réponse à ces questions, les praticiens doivent néanmoins intégrer ce nouveau mécanisme dans le cadre des planifications successorales internationales, en particulier pour les ressortissants d’Etats appliquant la common law. Ainsi, les anglais ou les américains qui résident en France ou qui ont uniquement des biens situés en France pouvaient jusqu’à présent espérer voir appliquer à leur patrimoine français la loi successorale anglaise ou américaine, ignorant la réserve (en tous cas, telle que nous la connaissons en France) puisque le règlement européen n°650/2012 leur permet de choisir la loi successorale de l’Etat de leur nationalité. Désormais, si l’intéressé réside dans un Etat de l’Union européenne ou que l’un de ses enfants a la nationalité d’un Etat membre ou réside dans l’un de ces Etats, ses enfants pourront écarter la loi anglaise ou la loi américaine pour recevoir à partir des biens français leur part de réserve prévue par le droit successoral français, et ce, même s’ils n’ont jamais été en France de leur vie !
L’éventuelle application de la réserve héréditaire devra désormais être systématiquement identifiée et comprise par les détenteurs étrangers de patrimoine en France.


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