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Vers un élargissement du contrôle des concentrations de dimension non communautaire

Extension du mécanisme de renvoi de l’article 22 du règlement sur les concentrations

24/09/2020

La commissaire en charge de la concurrence souhaite réactiver un mécanisme prévu par le règlement Concentration mais tombé en désuétude : celui-ci permet d’examiner, à la demande d’un ou plusieurs Etats membres, des opérations de dimension non communautaire, non soumises au contrôle national des concentrations mais posant néanmoins des problèmes de concurrence.

A l’occasion de la 24e conférence annuelle sur la concurrence organisée par l’IBA (International Bar Association), Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive de la Commission européenne en charge de la concurrence, a prononcé un discours sur le futur des règles relatives au contrôle des concentrations dans l’Union européenne (UE).

Ce discours intervient alors qu’une consultation publique a été lancée sur ce sujet lors du dernier mandat de la Commission, dont les conclusions sont annoncées pour le début de l’année prochaine. La commissaire européenne a néanmoins profité de cette conférence pour présenter quelques évolutions d’ores et déjà envisagées par la Commission.

Ainsi, Margrethe Vestager a rappelé dans son discours l’importance de maintenir une définition suffisamment précise et adaptée des règles relatives au contrôle des concentrations afin de s’assurer que celles-ci permettent d’analyser de manière adéquate les opérations qui emportent un réel risque pour la concurrence.

S’agissant plus particulièrement des seuils de notification, Margrethe Vestager a ainsi estimé que les règles actuelles, uniquement fondées sur le chiffre d’affaires des entreprises parties à l’opération, ne permettent pas d’analyser certaines opérations qui représentent pourtant un danger pour la concurrence.

En effet, selon la Commission, il existe des marchés (particulièrement dans les secteurs des produits pharmaceutiques ou du digital) sur lesquels l’intensité de la concurrence dépend de produits ou de services nouveaux qui, au moment de l’opération, représentent de très faibles revenus, de sorte que les seuils en chiffre d’affaires ne sont pas atteints.

Or, si Margrethe Vestager reconnaît que l’une des solutions à ce problème pourrait être d’introduire en droit de l’UE de nouveaux seuils basés sur la valeur de l’opération et non sur le chiffre d’affaires des entreprises, elle rejette néanmoins cette idée, considérant qu’il serait trop délicat de définir au niveau européen un seuil qui permettrait d’assurer le contrôle des opérations problématiques sans (sur)charger la Commission par l’examen d’opérations qui ne le nécessitent pas.

En revanche, la Commission considère que la procédure de renvoi déjà prévue à l’article 22 du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (le règlement Concentration) constitue un outil adéquat pour lui permettre d’examiner des concentrations problématiques qui ne dépassent pourtant pas les seuils européens.

Pour rappel, cet article offre la possibilité à tout Etat membre de demander à la Commission d’examiner une concentration de dimension non communautaire mais "qui affecte le commerce entre Etats membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des Etats membres qui formulent cette demande".

L’article 22, également appelé "clause hollandaise", avait été initialement introduit dans le règlement Concentration pour permettre aux pays qui ne disposaient pas, en droit national, d’un régime de contrôle des concentrations, de demander à la Commission d’examiner des opérations nationales problématiques. A l’origine, il avait été considéré que la mise en œuvre de cette faculté n’exigeait pas que l’Etat membre demandant le renvoi soit lui-même compétent pour analyser l’opération en vertu de son droit interne. Toutefois, compte tenu ensuite de l’adoption par la totalité des Etats membres (à l’exception du Luxembourg) de règles nationales relatives au contrôle des concentrations, la Commission avait décidé que l’autorité nationale demandant le renvoi en application de l’article 22 devait elle-même être compétente, c’est-à-dire que l’opération qu’elle demandait à la Commission d’examiner devait entrer dans le champ de son contrôle national des concentrations.

C’est sur ce fondement que la Commission a récemment examiné l’acquisition par Apple de l’application de reconnaissance musicale Shazam, initialement notifiée à l’autorité de concurrence autrichienne. Il est intéressant par ailleurs de noter que cette demande avait été suivie par l’Espagne, la France, l’Islande, l’Italie, la Norvège et la Suède, qui n’étaient pourtant pas compétentes en vertu de leur droit national. L’opération avait alors fait l’objet d’un examen approfondi par la Commission (phase 2), mais avait finalement été autorisée sans engagements.

Ainsi, c’est un réel changement de doctrine qui est annoncé par la Commission puisque, dorénavant, elle acceptera d’examiner les demandes de renvoi émanant d’autorités nationales non compétentes dès lors que l’opération de concentration méritera d’être examinée au niveau de l’UE.

Cette évolution aura des conséquences importantes pour les entreprises puisqu’elles pourront ainsi être soumises à une obligation de notification auprès de la Commission européenne de concentrations de dimension non seulement non communautaire mais qui ne franchissent même pas les seuils de notification nationaux. A cet égard, on peut souligner notamment les deux points suivants :

  • le contrôle exercé par la Commission sur le fondement de l’article 22 se limite en théorie aux effets de l’opération sur les seuls territoires des Etats membres ayant adressé la demande de renvoi (ou s’étant joints à celle-ci). Toutefois, la Commission peut étendre son examen au territoire d’autres Etats membres lorsque cela est nécessaire pour apprécier les effets de l’opération à l’intérieur du territoire des Etats membres requérants, notamment lorsque le marché géographique s’étend au-delà de ces Etats membres ;
  • l’article 7 du règlement Concentration, qui prévoit que les concentrations de dimension communautaire ne peuvent être réalisées avant d’avoir été déclarées compatibles par la Commission, est applicable dans le cadre d’une procédure résultant de l’article 22, de sorte que les entreprises parties à l’opération doivent en suspendre la réalisation, pour autant que celle-ci ne soit pas déjà intervenue à la date à laquelle la Commission informe les entreprises concernées qu’une demande de renvoi a été déposée par un Etat membre.

Le recours à ce nouveau mécanisme et notamment ses conditions de déclenchement nécessiteront d’être précisés pour que les entreprises réalisant des opérations susceptibles d’être soumises à un tel contrôle puissent disposer d’une grille d’analyse suffisamment précise pour leur permettre d’introduire, dans la documentation contractuelle de l’opération, les clauses suspensives qui conditionneront la réalisation de l’opération. Ce d’autant que les procédures résultant de l’article 22 ne dérogent pas à l’effet suspensif du contrôle des concentrations et peuvent être particulièrement longues. En effet, au-delà des périodes usuelles de pré-notification et d’examen de l’opération par la Commission, s’ajoutent des délais administratifs pouvant atteindre 25 jours ouvrables à compter de la demande de renvoi par l’Etat membre (les autres Etats membres disposant, d’une part, d’un délai de 15 jours ouvrables pour se joindre à la première demande et la Commission disposant, d’autre part, d’un délai de 10 jours ouvrables pour accepter ou refuser le renvoi).

Margrethe Vestager prévient néanmoins que cette nouvelle application de l’article 22 ne sera pas mise en œuvre avant le milieu de l’année prochaine et devrait être précédée par l’adoption d’orientations par la Commission sur les circonstances dans lesquelles les demandes de renvoi seront acceptées.


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