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Des avantages du nantissement de créance

06/10/2010


Un arrêt rendu le 7 avril 2010 par la chambre commerciale de la Cour de cassation a suscité l'intérêt de l'ensemble des observateurs à la fois en raison de la qualité des protagonistes (d'un côté, la société Lagardère et, de l'autre, la banque ABN Amro) et de la complexité des questions posées.

Pour aller à l'essentiel, le conflit est né de ce que la société Lagardère, après avoir émis des litres composés (essentiellement des obligations convertibles en actions et des bons de souscription d'actions) avait procédé à des distributions de dividendes prélevés pour partie sur le compte primes d'apport en omettant de procéder à l'ajustement des modalités de conversion comme l'exige (aujourd'hui) l'article L.228-99 du Code de commerce.

En théorie, toute violation des règles protectrices énoncées aux articles L.228-98 et suivants est sanctionnée par la nullité (art L.228-104). Une des difficultés à trancher était relative au jeu de la prescription : l'émetteur pouvait-il opposer la prescription à la banque porteur des titres, qui demandait la nullité des opérations de distribution ?

Comme souvent en matière deprescription, le débat s'est focalisé, moins sur la durée de celle-ci, que sur son point de départ. La société émettrice plaidait que la prescription avait commencé à courir, non au jour de la conversion des obligations ou de l'exercice des BSA mais dès la distribution litigieuse des dividendes. Car c'est à ce moment qu'était née l'obligation, pour elle, d'ajuster les bases de conversion initialement retenues.

La Cour de cassation rejette l'argument. Observant que l'action en responsabilité diligentée par la banque avait pour objet la réparation du préjudice consistant dans l'obtention d'un nombre d'actions inférieur à celui auquel elle pouvait prétendre, la chambre commerciale affirme que la prescription «n'a pu courir qu'à compter de la manifes tation de ce préjudice».

En d'autres termes, le point de départ devait être fixé au jour des demandes de conversion (en juillet 1996) ou de souscription (en mars 1997). C'est effectivement à cet instant, et à cet instant seulement, que le porteur des titres subit un préjudice du fait du non-réajustement des parités. Tant qu'il n'a pas exercé son droit, il peut penser que la société corrigera les modalités de conversion. L'action exercée le 31 mai 2006 ne se trouvait donc pas atteinte par la prescription décennale.

La décision a été rendue sous l'empire du droit antérieur à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription. Sauf le délai, maintenant réduit à cinq ans, elle paraît transposable en droit positif. Selon l'article 2224 du Code crvfl, l'action se prescrit à compter du jour où le titulaire du droit contesté a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Or, le titulaire de valeurs mobilières composées ne prendra conscience du manquement de l'émetteur qu'au moment où, ayant demandé à exercer son droit, il reçoit un nombre inférieur de titres au regard de ce à quoi il aurait pu prétendre.

Si, en l'espèce, la solution ne va guère dans le sens des intérêts de l'émetteur, en retardant le point de départ de la prescription, elle ne lui est pas non plus totalement défavorable. En effet, elle ferme, à notre avis, toute possibilité d'action de la part des obligataires qui n'auraient pas exercé leur faculté de conversion. Celle-ci devant être exercée avant le 1er juillet 1996, l'action en nullité s'est donc trouvée prescrite le 1er juillet 2006.


Arnaud Reygrobellet, Of Counsel, Professeur à l'Université Paris X

Analyse juridique parue dans la revue Option Finance le 6 septembre 2010

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Arnaud Reygrobellet
Associé
Paris