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Du bon usage de l’acte de fiducie

Retour sur une sûreté qui gagne à être connue et pratiquée

08/10/2019

Utile pour mettre en place des financements innovants, les véritables conséquences de l’acte de fiducie sont relativement limitées pour les emprunteurs dès lors que celui qui la consent, le constituant, est bien conseillé.

Sûreté à peine sortie de l’enfance - elle fut introduite en droit français il y a moins de treize ans de cela - et longtemps cantonnée au monde des entreprises en difficulté, la fiducie est en passe de gagner les lettres de noblesse qu’elle mérite.

Régie pour l’essentiel par les articles 2011 et suivants du Code civil, la fiducie est "l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires". Elle n’est donc ni plus ni moins qu’une technique de propriété-garantie, à l’image par exemple de la très familière cession Dailly. Mais elle présente un degré de sophistication et de plasticité certain - elle peut porter sur tous types d’actifs - et nécessite l’intervention d’un tiers : le fiduciaire.

Parce qu’elle offre aux créanciers un niveau de robustesse inégalé, la fiducie permet généralement à l’emprunteur de négocier des conditions d’endettement plus favorables. Il n’est ainsi pas rare que, dans un financement garanti par une fiducie, la marge soit légèrement plus faible et les covenants financiers moins nombreux ou plus souples. Certes, il reviendra à l’emprunteur de prendre en charge les honoraires du fiduciaire mais, dans un marché qui s’ouvre à la concurrence, il s’agit d’une contrepartie finalement plutôt modeste. De ce point de vue, la fiducie se révèle donc mutuellement avantageuse pour les prêteurs mais également pour les emprunteurs.

En contrepoint, la fiducie ne place pas nécessairement l’emprunteur dans une situation moins favorable face à ses créanciers qu’une sûreté classique. En effet, il faut relever que :

  • en premier lieu, d’essence contractuelle, le fonctionnement de la fiducie peut être négocié de sorte à refléter un certain équilibre entres les intérêts des parties. A cet égard, l’emprunteur doit notamment être vigilant quant aux conditions dans lesquelles le fiduciaire peut être amené à poser certains actes relatifs aux actifs remis en garantie, sur demande des créanciers. Notons aussi que le Code civil prévoit des garde-fous similaires à ceux applicables aux autres sûretés au moment de la réalisation de la fiducie ;
  • en deuxième lieu, la fiducie ne prive pas nécessairement l’emprunteur de la disposition des actifs transférés dans le patrimoine fiduciaire. En effet, la fiducie s’accompagne généralement (surtout lorsqu’elle porte sur des biens corporels) d’une convention de mise à disposition aux termes de laquelle l’emprunteur conserve l’usage des biens transférés. Cette convention limite la faculté de réaliser la fiducie en cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement : si les créanciers ne manquent généralement pas d’en tenir compte dans l’équilibre général de l’opération, son principal intérêt pour l’emprunteur est de lui permettre de conserver l'usage d'un actif tout en levant un financement qui lui est adossé ;
  • en troisième et dernier lieu, la présence du fiduciaire doit être un élément rassurant pour l’emprunteur. Dès lors que le contrat de fiducie est correctement négocié, avec une marge d’interprétation et d’autonomie limitée pour le fiduciaire, ce dernier assurera sa mission d’application des termes du contrat de manière neutre. En ce sens, le choix du fiduciaire est donc également crucial car il s’agit pour l’emprunteur de s’assurer du sérieux et de l’impartialité de ce juge de paix contractuel.

La fiducie ne doit pas non plus être motif d’angoisse pour l’emprunteur au plan fiscal. Si elle fait l’objet d’un enregistrement obligatoire et de la déclaration d’existence prévue par l’article 238 quater L du Code général des impôts, ces formalités n’ont pas pour but premier de livrer à l’administration fiscale des informations dont elle est ignorante, mais simplement d’en assurer la publicité et de donner date certaine à sa constitution. Par ailleurs, le principe selon lequel la fiducie est fiscalement neutre est établi :

  • s’agissant des opérations de transfert vers ou hors du patrimoine fiduciaire (depuis ou vers celui du constituant), la fiducie est traitée comme une opération intercalaire, réalisée en franchise d’impôt sur les sociétés, sous réserve de la prise des engagements simples prévus par l’article 238 quater du Code général des impôts et de leur respect. Le constituant doit donc au minimum vérifier que la clause fiscale du contrat de fiducie reprend bien lesdits engagements ;
  • lorsqu’elle porte sur des actions ou parts de société, lesdits titres demeurent pris en compte pour l'application des régimes mère-fille et d'intégration fiscale dès lors que l’emprunteur conserve l'exercice du droit de vote ou que le fiduciaire exerce ce droit dans le sens déterminé par le constituant, sauf dans les cas où il s’agit de protéger les intérêts des créanciers. Il est donc primordial que l’emprunteur s’assure que son contrat de fiducie contient bien des stipulations lui attribuant un droit de vote direct ou indirect et que les exceptions à ce principe soient limitées pour tenir compte de la doctrine administrative (BOI-IS-BASE-10-10-10-20, §205) selon laquelle la tolérance prévue est d’interprétation stricte ;
  • la réforme du régime de déduction des charges financières nettes entrée en vigueur le 1er janvier 2019 devrait également conduire à reconsidérer cette sûreté, dès lors que la dette consentie par un établissement tiers ainsi garantie n’est plus traitée comme une dette liée prise en compte pour apprécier l’application ou non du dispositif de lutte contre la sous-capitalisation (lequel limite la déductibilité fiscale des intérêts chez l’emprunteur).

En réalité c’est surtout la nature des actifs mis en fiducie qui est le cas échéant susceptible de déclencher une fiscalité, par exemple en cas de transfert d’un immeuble, ou de véhicules avec cartes grises, mais les cas sont en définitive relativement rares.

Dès lors qu’ils sont bien accompagnés, es emprunteurs devraient donc aborder avec beaucoup de sérénité la mise en fiducie de certains de leurs actifs pour garantir les financements dont ils bénéficient. Dans certains cas, et bien que cela puisse sembler paradoxal, ils devraient aller jusqu’à suggérer eux‑mêmes à leurs banquiers de recourir à la fiducie pour mieux valoriser leurs actifs. Ainsi, des opérations peuvent être réalisées sur des immeubles, des stocks, des machines-outils, des marques ou des brevets, des bateaux, ou tout autre actif représentant une valeur plus ou moins détachable de la situation de l'emprunteur.

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Lire également : Loi PACTE et réforme du droit des sûretés


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Cet article a été publié dans la Lettre du Financement pour les entreprises d’Octobre 2019. Cliquez ci-dessous pour retrouver les autres articles de cette lettre.

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