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Emissions de capital et placements privés

par Bruno Zabala, avocat

26/06/2009

Le nouveau dispositif introduit par l'ordonnance n°2009-80 du 22 janvier 2009 (1) permettant l'augmentation de capital sans droit préférentiel de souscription (DPS) par placement privé (C. com. art. L. 225-136 modifié) séduit, si l'on en juge par les projets de résolutions déposés intégrant cette faculté d'émission de capital exempte des contraintes de délai et de documentation applicables aux offres au public. Faut-il n'y voir qu'un effet d'aubaine au vu des difficiles conditions de marché actuelles ou, avec plus d'optimisme, la reconnaissance d'un cadre adapté pour l'émission de titres financiers dans des occurrences assez spécifiques ?

Des avantages, le nouveau dispositif n'en manque pas. Pour des opérations de marché réalisées en totalité ou en partie par augmentation de capital, la loi est désormais en harmonie avec les attentes des émetteurs et des intermédiaires. C'est ainsi un nouveau type d'augmentation de capital sans DPS réalisable par placement privé (au profit d'investisseurs qualifiés mais aussi d'un cercle restreint d'investisseurs) pouvant porter sur 20 % du capital par an, sans contrainte de délai et soumis à la règle du prix minimal au-delà de 10 % du capital. Ce régime a tous les attributs d'un régime autonome, distinct notamment de dispositifs dont l'interprétation a au fil du temps restreint l'attractivité, qu'il s'agisse des augmentations sans DPS par offre au public (2) ou bien des augmentations de capital réservée à une catégorie de bénéficiaires ou à des bénéficiaires dénommés (3).

S'agissant de la fixation du prix, le compromis dessiné conjugue flexibilité et protection anti-dilutive en fonction de la taille de l'opération : suppression de toute contrainte de prix (autres que celles fixées par l'assemblée générale) jusqu'à 10 % du capital par an et application somme toute cohérente au-delà de 10 % du capital par an et jusqu'à 20 % de la règle du prix plancher (moyenne pondérée des 3 derniers cours de bourse, diminuée le cas échéant d'une décote maximale de 5%). Perdure néanmoins la contrainte imposée par le régulateur qui exclut du calcul de la période de référence du prix plancher la journée de construction du livre d'ordres au motif que cet intervalle sensible est propice aux manipulations de cours.

Concernant le plafond annuel en capital, tant le désintérêt porté au régime des augmentations "au fil de l'eau" plafonnées à 10 % du capital par an, niveau semble-t-il insuffisant pour des valeurs moyennes, que la volonté affirmée de permettre des levées de capitaux adaptées aux conditions d'appétence du marché militaient pour un plafond de 20%. Rappelons ici que le délai d'un an commence logiquement à courir à compter de la première mise en œuvre de la résolution et que, pour éviter toute ambigüité, il est recommandé que l'autorisation de l'assemblée générale indique la date à laquelle le montant du capital social sera pris en considération.

Enfin, en termes d'obligation d'information, on mentionnera que, le seuil de 10 % en capital sur douze mois franchi, l'opération nécessitera toutefois l'établissement d'un prospectus d'admission soumis au visa de l'AMF si l'admission des titres émis aux négociations sur le marché réglementé est envisagée.

L'attrait du nouveau dispositif emportera t-il la conviction des assemblées d'actionnaires ? Sans faire de prospective, ce nouveau régime n'étant pas limité aux seules augmentations de capital, mais concernant(4) également les émissions de valeurs mobilières donnant accès immédiat ou différé au capital de l'émetteur, il y a tout lieu de penser que les émissions de valeurs mobilières complexes traditionnellement souscrites par les institutionnels (par exemple, les Océanes ou certaines émissions d'ORA) trouveront là un fondement idoine.

En regard, cette innovation devrait être sans effet notable sur la nécessité de recours à des résolutions d'augmentation de capital avec maintien du DPS pour des opérations portant sur une fraction significative du capital ne serait-ce qu'en raison de l'hostilité des représentants des actionnaires à l'égard de résolutions d'augmentation de capital sans DPS.

Dans l'attente d'un premier bilan des votes en assemblées générales, saluons ici un effort réel de mettre fin à des situations de distorsion concurrentielle préjudiciables aux émetteurs français auxquels il appartient désormais de faire sien avec discernement ce nouveau régime.

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(1) B. Zabala, "Principales innovations de l'ordonnance réformant l'appel public à l'épargne", BRDA 3/09, n° 22, p. 11 à 23.
(2) C. com. art. L. 225-136, 1°.
(3) C. com. art. L. 225-138, I.
(4) Par application conjuguée des articles L. 225-136 et L. 228-91 et suivants du Code de commerce

Article écrit par Bruno Zabala
Maître de conférences associé à l'Université du Maine
Avocat, CMS Bureau Francis Lefebvre

Article paru dans la revue Option Finance le 27 avril 2009

Auteurs

Bruno Zabala