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Encore des précisions sur le devoir de mise en garde du banquier

15/03/2010

Décidément, la jurisprudence de la Cour de cassation aura été particulièrement riche en 2009 pour expliciter les contours de l’obligation de mise en garde incombant aux banques, dispensateurs de crédit. Et les mois de novembre et décembre derniers sont venus apporter leurs pierres à l’édifice. On se rappelle que cette obligation, qui repose entièrement sur le droit de la responsabilité civile (contractuelle), ne joue qu’au bénéfice d’un client profane (ou non averti), notion qui, elle-même, dépasse celle de consommateur. L’emprunteur averti, quant à lui, ne bénéficie d’une telle protection que dans un cas exceptionnel : lorsque que le client peut démontrer que la banque détient des informations sur sa situation financière et sur les risques encourus que lui-même ignore.

Toutefois, même en présence d’un client profane, le devoir de mise en garde ne joue pas nécessairement. A cela, deux raisons.

D’abord, seule l’existence d’un risque de surendettement impose cette exigence à la banque. Et, de fait, il serait paradoxal d’obliger à informer un emprunteur des risques d’une opération alors que cette dernière ne présente justement aucun danger. Bien entendu, si un litige survient, c’est à la banque qu’il revient de démontrer soit qu’elle a exécuté l’obligation lui incombant, soit qu’elle n’avait pas à mettre en garde le client en raison de l’absence de risque présenté par l’opération. Mais comment apporter cette démonstration ? Deux arrêts rendus le 19 novembre 2009 apportent une réponse claire. Il faut et il suffit que l’établissement de crédit soit en mesure d’établir que les ressources de l’emprunteur au moment de l’octroi du prêt étaient en adéquation avec la charge de remboursement de celui-ci. La banque a pu, alors légitimement, en conclure que le crédit était adapté aux capacités financières du client et, ce faisant, se dispenser d’une mise en garde (1er arrêt). Concrètement, cela implique de se préconstituer la preuve que des investigations ont bien été faites pour connaître les ressources du demandeur de crédit. Cela implique aussi que, lorsque le client refuse de donner ces indications, la banque doit refuser de délivrer le crédit sollicité. En toute hypothèse, cette dernière ne pourrait prétendre échapper à ses responsabilités en arguant que l'emprunteur ne justifiait pas de ses revenus et charges et ne démontrait pas le dépassement de ses capacités de remboursement (2e arrêt).

Mais que se passe-t-il si le client donne à la banque des informations erronées ? C’est là une seconde limitation apportée au devoir de mise en garde : la Cour de cassation exige que le client profane soit de bonne foi. Celui qui a livré sciemment de fausses indications à la banque (par exemple sur l’état d’avancement des travaux financés) pour l’inciter à lui accorder son concours n’est pas fondé à reprocher à la banque un manquement à son devoir de mise en garde (arrêt de la Cour de cassation du 8 déc. 2009). En d’autres termes, l’établissement de crédit est en droit de se fier aux informations communiquées, sauf anomalies graves.

On en conclura que si, pour la Cour de cassation, le devoir de mise en garde est à ranger parmi les obligations professionnelles du banquier, symétriquement pèse sur le client emprunteur une obligation de loyauté requérant de lui qu’il transmette fidèlement les informations demandées. A défaut, il serait privé de toute action en responsabilité contre la banque.


Arnaud Reygrobellet,Of Counsel,
Professeur à l’université Paris X

Article paru dans la revue Option Finance du 8 février 2010

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Arnaud Reygrobellet
Associé
Paris