Une société qui perd l’un de ses gros clients doit en tirer des conséquences immédiates à l’égard de ses propres sous-traitants, sans quoi, sa responsabilité pourra être engagée pour rupture brutale des relations commerciales établies.
Le contexte de la rupture
Une société A, spécialisée dans le conseil, a confié plusieurs missions à une société B ainsi qu’à sa filiale et a conclu, à ce titre, plusieurs contrats de sous-traitance.
Ne se voyant plus confier de nouvelles missions à partir de décembre 2012, les deux sociétés sous-traitantes ont assigné la société A en rupture brutale de relations commerciales établies.
La société A a contesté, d’une part, l’existence du caractère établi de la relation commerciale et, d’autre part, l’imputabilité de la rupture de cette relation, au motif que les sous-traitants avaient été informés que la société A avait elle-même perdu son contrat avec son donneur d’ordre, la société Renault.
La cour d’appel de Paris lui ayant donné tort, la société A a formé un pourvoi.
La relation commerciale était bien établie
En quelques mots, car l’intérêt de l’arrêt ne se situe pas sur ce plan, la Cour de cassation a considéré que la cour d’appel avait caractérisé l’existence d’une relation commerciale établie (Cass. com., 18 septembre 2019, n° 18-13755). En effet, la cour d’appel avait relevé l’enchaînement de contrats cadres généraux et spécifiques, la succession des commandes, l’absence de preuve quant à une mise en concurrence des sous-traitants ainsi que le caractère significatif et stable de ces relations, conformément aux critères jurisprudentiels bien connus de cette notion. Pour mémoire, depuis son rapport de 2008, la Cour de Cassation reprend toujours ces critères objectifs pour définir une relation commerciale établie en y ajoutant, selon les hypothèses, le critère subjectif consistant dans le fait :
- que la victime de la rupture peut légitimement croire que la relation se maintiendra ; et
- qu’elle peut « raisonnablement anticiper pour l’avenir » une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial.
L’imputabilité de la rupture de la relation commerciale
La société A prétendait par ailleurs que la rupture invoquée ne lui était pas imputable puisqu’elle résultait de la perte d’un très important contrat et non de sa faute personnelle. La faute reprochée, à savoir la réduction progressive des commandes confiées aux sous-traitants, n’était donc pas de son fait personnel, ses sous-traitants ayant été par ailleurs informés du non-renouvellement de son contrat avec son propre donneur d’ordre.
Ce moyen rappelle l’argumentaire retenu par deux arrêts rendus par le Cour de cassation le 12 février 2013 et le 8 novembre 2017. Dans ces affaires, la Haute juridiction avait admis que des circonstances extérieures (crise économique et financière de 2008 pour la 1re affaire et situation conjoncturelle affectant le marché du textile pour la seconde) justifiaient la cessation de relations commerciales établies sans que cela soit imputable à l’auteur de la baisse des commandes.
En l’espèce, la Cour de cassation n’a pas suivi ce raisonnement, compte tenu, semble-t-il, de la communication contradictoire de la société A à l‘égard de ses sous-traitants.
En effet, il a été relevé que lors de réunions qui se sont tenues en juin 2012, la société A avait exprimé à ses sous-traitants « sa volonté de maintenir leurs relations commerciales ». Elle leur avait notifié, par lettre du 19 novembre 2012 « la fin de toute nouvelle commande concernant la société Renault », et avait « dans le même temps, assuré de ce qu'elle [la société B] restait un partenaire de référence auquel d'autres missions seraient confiées ».
La Cour de cassation a considéré que « l'annonce, par la société A, de la perte du seul marché passé avec la société Renault ne [pouvait], en l'absence d'une lettre manifestant son intention de rompre et fixant la durée du préavis, être assimilée à une notification de la rupture de la relation commerciale établie, d'autres commandes étant par ailleurs en cours d'exécution par les sous-traitants. »
Ainsi, dans ces circonstances, la Cour de cassation n’a pas jugé que la perte d’un important contrat permettait d’écarter l’imputabilité de la rupture à son auteur.
En conclusion
En cas de perte d’un contrat qui aura des retentissements importants sur les relations commerciales avec un sous-traitant, mieux vaut avoir un discours très clair et dénoncer la relation en notifiant un préavis d’une durée adéquate.
A défaut, compter sur la reconnaissance d’un fait justificatif pour invoquer la non-imputabilité de la responsabilité pour rupture sera un pari très risqué.
Actualité du droit commercial
Cet article a été publié dans notre Lettre des affaires commerciales de Mars 2020. Cliquez ci-dessous pour découvrir les autres articles de cette lettre.
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