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La Passation des baux emphytéotiques administratifs enfin clarifiée, ou presque

Article extrait du Moniteur n°5648 du 24 février 2012

15/03/2012


Un bail emphytéotique administratif (BEA) qui, en tant que tel, est un titre d’occupation du domaine public ou privé constitutif de droits réels, peut en principe être conclu sans publicité ni mise en concurrence(1).

Cependant, un BEA est fréquemment lié à une « convention non détachable», laquelle, en fonction de son contenu, peut le faire entrer dans le champ des contrats « de la commande publique». La jurisprudence l’avait déjà reconnu, par exemple, à propos des BEA supports de concessions de travaux(2). Tel était également le cas des BEA avec une convention de mise à disposition de l’ouvrage à la collectivité propriétaire du domaine (« BEA-CMD », dits aussi montages « aller-retour »), qualifiés de marchés de travaux au sens des directives européennes sur les marchés publics(3). Et ces solutions valent évidemment, que la convention se présente sous la forme d’un acte – d’un instrumentum – séparé ou que le BEA et la convention soient contenus dans un seul document.

Le décret n° 2011-2065 du 30 décembre 2011 relatif aux règles de passation des baux emphytéotiques administratifs, pris en application de l’article L. 1311-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) dans sa version issue de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 (« LOPPSI II »), entérine ces solutions. Le nouvel article R. 1311-2 du CGCT, alinéa 1er, immédiatement applicable, précise que la conclusion de BEA, accompagnés d’une convention non détachable qui constitue un marché public, une délégation de service public, un contrat de partenariat ou une concession de travaux publics, doit être précédée de mesures de publicité et de mise en concurrence selon les règles applicables à ces contrats. Cette obligation s’étend également aux BEA comprenant des clauses « s’analysant comme une convention non détachable présentant les caractéristiques des contrats mentionnés » à l’alinéa 1er.

La rédaction adoptée surprend toutefois. En effet, pour les « BEA-marchés », le décret renvoie « à l’article 1er du Code des marchés publics ». Or, pour les marchés de travaux, cet article implique une maîtrise d’ouvrage publique, alors que c’est l’emphytéote qui est maître d’ouvrage dans le cadre d’un BEA. Sauf interprétation particulièrement bienveillante du juge, le renvoi à l’article 1er du Code ne saurait donc concerner les BEA « marchés de travaux »(4). Seuls des BEA dans lesquels la part services l’emporterait(5), tels certains BEA « valorisation », seraient alors logiquement concernés par les règles de passation prévues par le Code des marchés publics. Celles prévues par la directive 2004/18 resteraient bien sûr directement applicables aux BEA- CMD(6). Une telle approche n’est pas que théorique : il existe des différences entre les règles de passation de la directive et celles du Code, un texte de transposition pouvant en effet être plus strict. Tel est le cas, par exemple, en matière d’évolution des groupements candidats à la procédure(7).

Mais, en réalité, dans bien des cas, ces BEA-CMD sont très proches des contrats de partenariat. Dès lors que l’objet d’un BEA-CMD recouvrira le triptyque caractéristique du contrat de partenariat – la réalisation, et le plus souvent la conception de biens nécessaires au service public, leur financement en tout ou partie, et une mission d’entretien et/ou de maintenance et/ou d’exploitation et/ou de gestion – il devrait être soumis aux règles de publicité et de mise en concurrence des contrats de partenariat(8). Et sans doute impliquer également la réalisation d’une étude d’évaluation préalable : cette évaluation est, maintenant, expressément requise pour les BEA conclus pour les besoins de la justice, de la police ou de la gendarmerie nationales pour lesquels le montant du loyer annuel versé par la collectivité est supérieur à 1 million d’euros HT (nouvel article R. 1311-1 issu du décret du 30 décembre 2011, en vigueur à compter du 1er février 2012) ; comme c’était déjà le cas lorsque le montant de la rémunération de l’emphytéote était inférieur à 10 millions d’euros HT, et que la collectivité territoriale souhaitait bénéficier du FCTVA. Pour ce type particulier de BEA, la différence avec un véritable contrat de partenariat est alors bien mince.

Ce qu’il faut retenir
Si un BEA « sec » peut, en principe, être conclu sans publicité ni mise en concurrence, ce type de contrat est souvent lié à une « convention non détachable » qui, suivant son contenu, peut le faire entrer dans le champ des contrats « de la commande publique ». Le décret du 30 décembre 2011 confirme l’état du droit constaté par la jurisprudence : les BEA accompagnés d’une convention non détachable constituant un marché public, une délégation de service public, un contrat de partenariat (CP) ou une concession de travaux publics, doivent être passés après publicité et mise en concurrence selon les règles applicables à ces contrats. Dans bien des cas, ces BEA « aller-retour » se rapprochent des CP : dès lors que l’objet du BEA recouvre le triptyque caractéristique du CP, il devrait être soumis aux règles de passation des CP. Et sans doute requérir une évaluation préalable.


1. Voir par exemple en ce sens : CAA Versailles, 21 juill. 2011, n° 10VE00770, n° 10VE00774, Cne Verrières-le-Buisson, solution conforme à la jurisprudence du Conseil d’Etat sur les conventions domaniales en général : CE, sect., 3 déc. 2010, n° 338272 et n° 338527, Ville Paris et Assoc. Paris Jean Bouin.

2. CE, ass., 10 juin 1994, 141633, Cne Cabourg

3. TA Nice, 6 décembre 2006, Société Cirmad Grand Sud, n° 0605880 et TA Bordeaux, 26 novembre 2007, Société Norbail Immobilier, n° 0704671

4. CE, sect., 25 févr. 1994, n° 144641, SA Sofap-Marignan Immobilier

5. Sur une telle possibilité : CAA Paris, 2 juill. 2010, n° 07PA02268, SA de Gestion Immobilière

6. Cf. note 3.

7. A la différence des directives, qui ne posent pas de contraintes relatives à d’éventuels changements affectant les membres des groupements candidats à la procédure (CJCE, 23 janvier 2003, Makedoniko Metro, C-57/01), le Code (article 51) est très strict à ce sujet et les tribunaux en tirent toutes les conséquences (cf. par exemple TA Lille, 25 mars 2011, Société SEGEX, n° 1101510).

8. Articles L. et R. 1414-1 s. du Code général des collectivités territoriales


Par François Tenailleau, avocat associé,
et Kawthar Ben Khelil, juriste

Article extrait du Moniteur n°5648 du 24 février 2012

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François Tenailleau
Associé
Paris
Kawthar Ben Khelil
juriste