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Les modèles hybrides sont également à la mode en fiscalité !

16/04/2012


Longtemps cantonnées aux discussions subtiles entre fiscalistes, les structures hybrides ont été mises sur le devant de la scène à la fois par la Commission européenne, dans le cadre d’un récent « appel aux connaissances et à l’expérience » sur les situations de « double non-imposition » et par l’OCDE dans un rapport de mars 2012 intitulé « Dispositifs Hybrides - Questions de politique et de disciplines fiscales ». L’administration fiscale, pour sa part, a déjà son avis sur la question et prête une attention toute particulière à ces situations.


Le processus de consultation de la Commission Européenne

En matière de fiscalité internationale, il n’est pas rare que la cohabitation de deux ou plusieurs systèmes juridiques entraîne des situations de double imposition ou, revers de la médaille, des situations de double exonération. Dans une communication relative à la double imposition au sein du marché unique, la Commission a recommandé il y a quelques mois aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour supprimer à la fois la double imposition et la « double non imposition ». Cette démarche est à rapprocher de celle adoptée en parallèle par le Groupe de travail mis en place par le Conseil en application du Code de conduite du 1er décembre 1997 sur la fiscalité des entreprises, dont les travaux portent depuis 2006 une attention particulière aux entités hybrides et aux prêts participatifs.

C’est dans ce contexte que la Commission a lancé le 29 février dernier un « appel à expérience », sorte de procédure de consultation exploratoire, sur des situations de double non-imposition (anonymat garanti sur demande !). Après avoir décrit quelques situations théoriques, la Commission ouvre certaines pistes de réflexion et annonce la suite qu’elle entend donner à ce processus.

Les exemples fournis par la Commission sont classiques. Ainsi, la disparité de traitement d'une même entité dans deux pays (entité transparente dans le premier, entité non transparente dans le second), peut dans certaines situations permettre une double déduction des charges financières. Cette même situation peut permettre, à l’inverse, une non-imposition de revenus dans les deux pays, par exemple lorsqu’une société est considérée comme opaque dans l'État de la société mère, qui peut ainsi éventuellement exonérer les dividendes reçus de sa filiale, mais comme transparente dans le pays où elle est située, ce qui peut lui permettre d’échapper à l’imposition réputée intervenir au niveau de son actionnaire.

La Commission présente également l’exemple d’instruments financiers hybrides, tels que les actions à dividende prioritaire et les prêts participatifs. Au sein même de l’Union, ces instruments peuvent être considérés comme de la dette dans un pays, tout en étant traités comme instrument de capital dans l’autre pays, générant de ce fait une déduction dans un pays et bénéficiant du régime d’imposition des dividendes dans l’autre.

Les situations de double non-imposition peuvent également résulter de l’application combinée de dispositions de droit interne et de certaines clauses des conventions fiscales. Une divergence de qualification de revenus ou des analyses divergentes sur l’existence d’un établissement stable peuvent ainsi conduire à une absence d’imposition. De la même manière, un accord préalable en matière de prix de transfert (APP) peut, lorsqu’il est unilatéral, créer des situations de double non-imposition, ou de double imposition, si l’autre Etat, n’ayant pas connaissance de l’APP, applique une méthode de prix de transfert différente. Toutefois, en la matière, les États membres se sont en principe engagés à s'échanger spontanément des informations sur les APP unilatéraux qu'ils concluent.

Les exemples présentés par la Commission couvrent enfin certaines situations de double non-imposition existant avec les pays tiers : régime d’exonération des dividendes pouvant s’appliquer à des bénéfices non préalablement imposés au niveau de la filiale ; déduction des intérêts pour des dettes finançant des revenus qui ne sont pas imposés (par exemple dans des schémas ayant pour objet l’acquisition de titres de participation) ; existence de conventions fiscales avec des pays tiers prévoyant des clauses de crédits d’impôt fictifs, etc.

A l'issue de la procédure de consultation, la Commission publiera une synthèse des résultats et analysera les informations fournies afin de « définir et de mettre en place une réponse stratégique appropriée » à l’horizon du 4e trimestre 2012. Parmi les pistes de réflexion pourraient figurer par exemple un renforcement de la « bonne gouvernance » en matière fiscale visant à renforcer les échanges d’informations, ce qui permettrait une « détection » plus facile des situations hybrides en cas de contrôle fiscal, ainsi qu’une plus grande cohérence entre la position des Etats membres notamment lors des discussions devant les organisations internationales.

Les Recommandations de l’OCDE

Ces pistes rejoignent en partie celles recommandées par l’OCDE dans son rapport de mars 2012 sur les « dispositifs hybrides ». Ce rapport contient des exemples qui recouvrent, sans surprise, certaines des situations décrites par la Commission. Le rapport de l’OCDE ajoute cependant quelques exemples de structures, plus inspirées par la fiscalité américaine, comme les « transferts hybrides de participations ». L’opération consiste le plus souvent en un accord de vente et de rachat portant sur des actions, la transaction étant considérée comme une vente et un rachat dans le pays du financeur (acheteur puis revendeur des titres) tandis que dans l’autre pays elle est considérée comme un prêt dont les actions assurent le nantissement. Ces analyses divergentes peuvent ainsi conduire à un double avantage : tel est le cas lorsque l’Etat du financeur accorde, sur les dividendes reçus par l’entité acheteuse des titres, un crédit pour l’impôt sur les sociétés sous-jacent acquitté par la société distributrice, cependant que l’Etat de la société bénéficiaire du financement octroie une déduction égale à l’intérêt censé être versé en rémunération du prêt.

Le rapport de l’OCDE, après la description des situations concernées et leur impact en matière de politique budgétaire et de concurrence, met l’accent sur des solutions envisageables. Les principales pistes envisagées sont (i) une harmonisation des droits internes, solution mentionnée « dans un souci d’exhaustivité » dès lors qu’elle apparaît irréalisable ; (ii) le recours à des dispositions générales contre l’évasion fiscale (par exemple l’abus de droit), même si, pour reprendre les termes du rapport « la nécessité fréquente de faire apparaître un lien direct entre les transactions et le fait d’échapper à l’impôt dans une juridiction particulière rendent généralement difficile l’application des dispositions générales contre l’évasion fiscale dans de nombreux cas de dispositifs hybrides » ; (iii) des dispositions anti-abus plus spécifiques (par exemple des limites posées à la déduction de certaines charges financières) ; (iv) enfin, le rapport évoque les exemples de pays ayant introduit des dispositions qui visent expressément certains dispositifs hybrides, conditionnant par exemple l’octroi d’un avantage fiscal national au régime fiscal étranger, éliminant de ce fait des situations de double exonération. Des pays comme l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, l’Italie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni, ont ainsi instauré des dispositions qui refusent l’exonération sur les revenus qui sont déductibles dans l’autre pays.

Sur la base de ces travaux, les recommandations du rapport consistent principalement à instaurer des mesures ciblées visant certaines transactions hybrides et à poursuivre dans la voie des échanges d’informations.

L’approche de l’administration française…

Confrontée à certaines situations hybrides, l’administration française semble pour sa part avoir évolué vers une politique plus répressive basée sur le recours à la procédure de l’abus de droit. Alors que sa doctrine, conforme en cela à la jurisprudence du Conseil d’Etat, considérait que le traitement fiscal étranger était sans incidence sur l’analyse de l’opération en droit fiscal français, elle semble désormais évoluer vers une remise en cause de certaines opérations essentiellement sur la base d’un traitement différent en France et à l’étranger. L’administration a ainsi commenté certaines opérations hybrides selon les termes suivants : « Les produits financiers hybrides : il s’agit des instruments financiers tels que les repurchase operations agreements, qui permettent dans un Etat autre que la France d’obtenir la qualification de dettes et d’être regardés en France comme des dotations en capital. (…) Cette asymétrie est fondée sur la différence de qualification entre les législations financières, fiscales et comptables. Ces montages sophistiqués peuvent être remis en cause sur le terrain de la fraude à la loi. Ce qui nécessite pour l’administration de démontrer l’artificialité du montage et le but exclusivement fiscal »(1). De fait, certains redressements ont été notifiés sur ces bases, l’administration semblant considérer que le caractère « exclusivement fiscal » des opérations est démontré par le traitement fiscal étranger, ce que le juge de l’impôt a pourtant explicitement écarté.

On peut ainsi regretter ce recours à un dispositif d’exception à l’encontre de situations de double non-imposition connues de longue date, et qui souvent ont été mises en place pour aboutir au résultat fiscal le plus favorable dans le cadre d’investissements étrangers effectués pour des raisons exclusivement économiques. En la matière, le recours au législateur pour cibler spécifiquement certaines structures jugées abusives paraîtrait nettement préférable, suivant en cela les recommandations de l’OCDE, tout en préservant une certaine sécurité juridique pour les groupes français ayant structuré de manière optimale leurs investissements étrangers.


1. Olivier Sivieude, Directeur de la DVNI, Philippe Cahanin, Directeur de l’International, la Lettre du Trésorier, n°288, février 2012, page 16.

Par François Rontani, Avocat associé, et
Daniel Gutmann, Avocat associé,

Article paru dans la revue Option Finance du 16 avril 2012

Auteurs

Portrait deFrançois Rontani
François Rontani
Associé
Paris
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Daniel Gutmann
Associé
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