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Pénalités fiscales : la stagnation des droits du contribuable

17/07/2012


A l’heure où les autorités publiques, en France et à l’étranger, entendent légitimement intensifier la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, il serait logique que les garanties de procédure offertes aux contribuables soient mieux que jamais respectées. Le renforcement des droits procéduraux du citoyen n’est en effet que la juste contrepartie du développement du pouvoir sanctionnateur de l’Etat. Or, tel n’est malheureusement pas le cas.


Le début de l’été 2012 ressemble fort à l’automne de la protection du contribuable. Le 7 juin, la Cour européenne des droits de l’homme a ainsi proclamé dans l’arrêt « Segame SA » (n° 4837/06, SEGAME SA contre France) que le procès équitable n’implique nullement l’existence d’un pouvoir modérateur du juge en matière de pénalités fiscales. Le 12 juin, l’Avocat général Cruz Villalón a recommandé à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de se déclarer incompétente pour connaître de la conformité du cumul entre sanctions fiscales et sanctions pénales avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (affaire Åkerberg Fransson, C-617/10). Cette affaire dévoile, plus généralement, l’insuffisance de notre système de garanties concernant l’articulation entre procédures fiscales et pénales.

I – La modulation judiciaire des pénalités à taux unique n’est pas une exigence du procès équitable

L’arrêt SEGAME rendu par la Cour européenne des droits de l’homme met fin à une longue controverse sur le point de savoir si l’impossibilité pour le juge fiscal de moduler une pénalité infligée par l’administration à un contribuable porte atteinte au droit au procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention EDH).

Le problème se posait en l’espèce au sujet de la pénalité de 25 % des droits éludés infligée aux contribuables redevables de la taxe sur les objets et métaux précieux (article 1761 du CGI). Il a en réalité une portée générale car notre législation fiscale fourmille de pénalités à taux élevés dont le montant apparaît parfois totalement disproportionné eu égard à la gravité du manquement commis. C’est par exemple le cas des pénalités qui sanctionnent des insuffisances déclaratives sanctionnées par des montants fixes pour chaque irrégularité (cf. les articles 1736 et suivants du CGI). Or, si la loi permet parfois à l’administration de choisir le taux de la pénalité en fonction de la gravité du manquement reproché au contribuable, tel n’est pas toujours le cas. L’attribution au juge d’un pouvoir modérateur en présence d’une pénalité à taux unique constituerait alors un juste contrepoids à la rigidité de la sanction établie par le CGI.

L’arrêt du 7 juin 2012 condamne cependant tout espoir en la matière. Selon la Cour, l’article 6 § 1 de la Convention EDH suppose seulement que la décision de l’autorité administrative subisse le contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction disposant du pouvoir de réformer en tous points la décision administrative. Il doit notamment avoir compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il se trouve saisi (point 55). La Cour estime par ailleurs que dès lors que l’amende est fixée en pourcentage des droits éludés, elle doit être considérée comme proportionnée à la gravité du comportement du contribuable (point 59). Elle relève enfin que le taux de 25 % n’apparaît pas disproportionné.

Est ainsi validée l’analyse du Conseil d’Etat, qui avait statué en ce sens dans la décision faisant l’objet du recours devant la Cour européenne des droits de l’homme. La position de la Cour de cassation, favorable au pouvoir judiciaire de modulation (Cass. com. 29 avril 1997, Ferreira, Bull. IV, n° 110), est en revanche nettement fragilisée.

La solution est décevante. Elle s’explique par le fait que la Cour estime que le contentieux fiscal présente un caractère particulier impliquant une exigence d’efficacité nécessaire pour préserver les intérêts de l’Etat. Ce contentieux ne fait donc pas partie du noyau dur du droit pénal au sens de la Convention.

En pratique, la portée de cet arrêt doit toutefois être correctement mesurée. Lorsqu’un contribuable (personne physique ou morale) fait l’objet d’une sanction administrative qui lui paraît excessive, il ne dispose plus aujourd’hui pour s’y opposer de l’argument tiré de l’impossibilité pour le juge administratif de moduler la pénalité. En revanche, l’arrêt du 7 juin 2012 ne semble pas fermer la porte à toute argumentation tirée du caractère disproportionné de la pénalité. Si la Cour n’a rien trouvé à redire à un taux de 25 % des droits éludés, elle pourrait avoir une approche différente en présence d’un taux différent ou appliqué à une autre assiette. Elle a en outre reconnu dans un autre arrêt que l'obligation financière née du paiement d'une amende peut léser la garantie consacrée par l’article 1er du 1er protocole additionnel à la Convention EDH, qui énonce que toute personne physique a droit au respect de ses biens, si elle impose à la personne en cause une charge excessive ou porte fondamentalement atteinte à sa situation financière (arrêt du 11 janvier 2007, Mamidakis c. Grèce, n° 35533/04, § 45).

Encore faut-il, pour qu’un contribuable se prévale du caractère disproportionné de la pénalité qui le frappe, qu’il soit en état de démontrer que sa situation financière est gravement altérée. On peut supposer, à cet égard, que l’appréciation risque de varier fortement selon que le demandeur est un particulier ou une entreprise. Dans le second cas, le juge s’interrogera notamment sur l’impact concret qu’est susceptible de produire la pénalité sur sa trésorerie ou sur son aptitude à poursuivre l’activité. Il est clair, en tout cas, que la contrariété d’une pénalité à la Convention EDH ne pourra être constatée que dans des cas particulièrement choquants.

II – L’articulation entre procédures fiscales et pénales doit être améliorée

En l’état actuel du droit français, le cumul entre pénalités fiscales et sanction pénale au sens strict n’est pas interdit, même à raison des mêmes faits. Le Conseil constitutionnel exige seulement que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues (Déc. n° 97-395 DC du 30 déc. 1997, cons. 41).

L’affaire Åkerberg Fransson citée en introduction présente l’intérêt de remettre en question cet état du droit. En l’espèce, un contribuable suédois, après avoir acquitté une amende fiscale consécutive au non-respect de ses obligations déclaratives en matière de TVA, est poursuivi pour fraude fiscale devant la juridiction pénale. Il soutient que ce cumul des sanctions est contraire à l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui prévoit que « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi ».

Il serait fastidieux, dans le cadre de cet article, de détailler l’ensemble du raisonnement suivi par l’Avocat général Cruz Villalón pour conclure à l’incompétence de la Cour. On se contentera de relever que la Charte des droits fondamentaux, bien que faisant partie intégrante du droit de l’Union européenne, n’est invocable que lorsque les Etats membres « mettent en œuvre le droit de l’Union européenne » (article 51). Or, selon l’Avocat général, l’application de sanctions fiscales et pénales nationales ne peut être considérée comme une « mise en œuvre » du droit de l’Union européenne, quand bien même ces sanctions seraient encourues en raison du non-respect des règles de la TVA (matière harmonisée au niveau de l’Union). L’Avocat général ajoute, pour faire bonne mesure, qu’à supposer même que la Cour soit compétente, l’article 50 de la Charte n’implique pas, à l’heure actuelle, que l’existence préalable d’une sanction administrative ferme irrévocablement la porte à toute procédure devant la juridiction pénale, voire à une condamnation. Il n’impose tout au plus qu’une obligation pour le juge pénal de tenir compte, « d’une manière ou d’une autre, de l’existence préalable d’une sanction administrative afin d’alléger la sanction pénale ».

Il ressort de tout cela que les contribuables français n’ont pour l’heure que peu d’espoir à se fonder sur le droit de l’Union européenne lorsqu’ils font successivement l’objet d’amendes fiscales et de poursuites pénales. Ils n’ont pas non plus grand-chose à attendre, en l’état actuel de la jurisprudence du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, de la Convention européenne des droits de l’homme : si l’article 4 du protocole n° 7 à cette Convention prévoit certes un principe de non cumul des sanctions pénales à raison des mêmes faits, la France a introduit une réserve pour neutraliser le principe lorsque l’une des deux sanctions en cumul n’est pas prononcée par le juge pénal. Cette situation est particulièrement insatisfaisante car la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît désormais clairement qu’un Etat viole le principe ne bis in idem lorsque, indépendamment de la qualification juridique donnée à certains faits, il inflige deux sanctions pour des comportements identiques. On peut même estimer, au vu de la jurisprudence, qu’il existe de sérieux doutes sur la validité de la réserve opérée par la France.

Mais le plus choquant est encore ailleurs. Il se situe dans l’impossibilité, pour un contribuable condamné pour fraude fiscale par le juge pénal, d’obtenir la révision du jugement de condamnation lorsqu’il s’avère ultérieurement qu’il n’a rien à se reprocher sur le terrain fiscal, soit parce que le juge fiscal le reconnaît, soit parce que l’administration abandonne ses rappels. La Commission de révision des condamnations pénales l’a affirmé dans une décision du 14 mai 2012 (n° 11 REV 103) qui ne fait d’ailleurs que confirmer la jurisprudence antérieure en s’appuyant sur deux principes : les poursuites pour fraude fiscale et les procédures administratives sont, par leur nature et leur objet, différentes et indépendantes l’une de l’autre ; la décision de la juridiction administrative ne saurait avoir, au pénal, l’autorité de la chose jugée. Il y a là un dysfonctionnement profond de notre système juridique : si nul ne conteste les deux principes ci-dessus, il n’en reste pas moins qu’ils doivent coexister avec un autre principe constitutionnel, celui de la nécessité des peines. Ce dernier principe est heurté de plein fouet lorsqu’un contribuable blanchi par le juge fiscal ne dispose d’aucun moyen lui permettant de remettre en cause une condamnation pénale prononcée contre lui.


Par Daniel Gutmann, Avocat associé, CMS Bureau Francis Lefebvre,
Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris-1)

Article paru dans la revue Option Finance du 16 juillet 2012

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Paris