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Revenus réputés distribués et maître de l’affaire

Explications de deux décisions contrastées du Conseil d’Etat

30/07/2020

En matière de revenus réputés distribués, le fait d’être qualifié de maître de l’affaire peut selon les situations, établir une présomption de distribution imposable entre les mains dudit maître, ou au contraire n’avoir aucune incidence… Explications à partir de deux décisions contrastées rendues le même jour par le Conseil d’Etat.

La notion légale de « revenus réputés distribués » et celle, jurisprudentielle, du maître de l’affaire

On sait qu’en plus des distributions de revenus décidées par les entreprises, donnant lieu à une imposition normale entre les mains de leurs bénéficiaires, la loi a prévu un système de « revenus réputés distribués » qui, comme leur nom l’indique, ne proviennent pas de distributions officielles de la société. Ce dispositif fait l’objet de l’article 109 du CGI, lequel est composé de deux parties bien distinctes :

  • Le 1-1° qui institue une présomption légale de distribution à l’égard de tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital. Les bénéfices réputés distribués sont, en application de l’article 110 du CGI, « ceux qui ont été retenus pour l’assiette de l’impôt sur les sociétés ». Cet article est fréquemment utilisé par l’administration en cas de rehaussement du bénéfice imposable d’une entreprise et permet d’imposer, au titre de ces revenus réputés distribués, non seulement les associés ou actionnaires mais aussi des tiers.
  • Le 1-2° qui qualifie de revenus distribués les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts, même lorsque ces sommes ou valeurs ne sont pas prélevées sur des bénéfices, ce qui permet l’application de cet article même en cas de déficit de la société (contrairement à, l’application du 1° qui nécessite que la société ait constaté des bénéfices lesquels sont ensuite réputés distribués). On notera que, pour l’application du 2° du 1 du 109 du CGI, l’administration doit apporter la preuve que ces sommes ont été effectivement versées à des associés (une présomption de distribution existe toutefois pour les avances et prêts accordés à des associés).

On sait aussi, qu’en vertu d’une construction purement prétorienne du Conseil d’Etat, l’administration fiscale peut faire valoir que le dirigeant est, à l’égard de la société distributrice, le « maître de l’affaire ». La notion de maître de l’affaire est définie par la jurisprudence comme « une personne qui exerce la responsabilité effective de l’ensemble de la gestion administrative, commerciale, et financière de la société et qui dispose sans contrôle des fonds ».

Combinées, ces deux notions donnent lieu à des situations contrastées comme l’illustrent deux décisions du même jour du Conseil d’Etat

Dans deux décisions du 29 juin 2020, le Conseil d’Etat fait application de ces notions dans, d’une part, une situation où était appliqué l‘article 109, 1-1° du CGI (n° 432815) et, d’autre part, dans une situation où était appliqué l’article 109, 1-2° du CGI (n° 433827).

Dans la première affaire (n° n°432815), à la suite d’une procédure pénale à laquelle l’administration avait eu accès, une société avait été rehaussée et l’administration avait imposé entre les mains de M. A., regardé comme maître de l’affaire, les bénéfices découlant de ce redressement. La cour administrative d’appel de Marseille, pour approuver la position de l’administration sur cette qualité de maître de l’affaire, s’était fondée sur le fait que le contribuable disposait du pouvoir d’engager juridiquement la société rehaussée à l’égard des tiers, qu’il détenait seul la signature du compte bancaire que la société avait ouvert auprès d’une banque suisse, et qu’il était en mesure d’opérer des retraits d’espèces depuis ce compte. Saisi d’une demande de cassation le Conseil d’Etat juge que la cour pouvait légalement déduire de la qualité de seul maître de l’affaire du contribuable qu’il devait être regardé comme le bénéficiaire des revenus réputés distribués par la société rehaussée. La circonstance qu’il n’aurait pas effectivement appréhendé les sommes correspondantes ou qu’elles auraient été versées à des tiers est sans incidence à cet égard (au cas particulier, la société avait été redressée au titre de créances acquises mais celles-ci n’avaient donné lieu qu’à un paiement partiel, la société débitrice ayant été placée en redressement judiciaire). Le contribuable avait aussi soutenu qu’il n’était pas en mesure de disposer effectivement des revenus qu’il était réputé avoir appréhendé en sa qualité de seul maître de l’affaire. Mais cet argument n'est pas retenu car divers mouvements avaient été enregistrés sur le compte et qu’il était loisible au contribuable incriminé d’effectuer des retraits sur ce compte.

On voit ainsi que, pour l’application du 109, 1-1° du CGI, applicable aux sociétés rehaussées bénéficiaires, la présomption de distribution au niveau de la société se double, lorsque le bénéficiaire est reconnu maitre de l’affaire, de la présomption selon laquelle celui-ci a bien reçu les revenus en question. Il n’est donc pas favorable, dans ces conditions, d’être regardé comme seul maître à bord…

Dans la seconde affaire (n° 433827), l’administration avait réintégré dans les résultats d’une société, dont le contribuable M. B. était associé, un passif injustifié de TVA et un profit sur le trésor résultant d’une fraude à la TVA. Ces rectifications n’avaient cependant pas donné lieu à un rehaussement d’impôt sur les sociétés, car le résultat de la société en cause était déficitaire au titre des exercices rehaussés. Ce rehaussement avait toutefois été suivi d’effet mais au niveau de l’associé M. B. en application de l’article 109 du CGI précité.

Le Conseil d’Etat, pour annuler la décision de la CAA de Marseille défavorable au contribuable, rappelle tout d’abord que, s’il n’a pas donné lieu à l’établissement d’une cotisation d’impôt sur les sociétés, le rehaussement des résultats d’une société ne saurait pas lui-même révéler l’existence de bénéfices ou produits non mis en réserve ou incorporés au capital, taxables entre les mains de leur bénéficiaire comme revenus distribués. Le Conseil d’Etat fait ici application de la règle selon laquelle, lorsque l’exercice social demeure déficitaire après rehaussement, il ne peut y avoir de distributions prélevées sur des « bénéfices », et l’imposition des revenus réputés distribués doit alors trouver sa source dans l’article 109, 1-2° et non dans l’article 109, 1-1° du CGI.

Or comme le rappelle le Conseil d’Etat, pour soumettre à l’impôt sur le revenu de tels revenus sur le fondement de l’article 109, 1-2° du CGI, il incombe à l’administration d’établir qu’ils ont été mis à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts. La circonstance que le contribuable que l’administration entend imposer soit le maître de l’affaire est à cet égard sans incidence.

La CAA de Marseille avait jugé que l’administration établissait bien l’existence de sommes mises à la disposition de M. B. par la société au motif, d’une part, que l’intéressé ne contestait pas les rehaussements apportés aux résultats de la société et, d’autre part, que disposant seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, il devait être regardé comme le seul maître de l’affaire et, à ce titre, comme présumé avoir appréhendé les sommes correspondant à ces rehaussements. Il résulte des principes rappelés ci-avant que la CAA a commis une erreur de droit et l’affaire est renvoyée devant cette même Cour.

Synthèse et précision

En résumé, pour l’application du 1° du 1 de l’article 109 du CGI, lorsque l’administration établit qu’un contribuable est maître de l’affaire, ce dernier est présumé recevoir les bénéfices rehaussés chez la société qu’il dirige tandis que, lorsqu’est sollicitée l’application de l’article 109, 1-2° du CGI, peu importe que le contribuable incriminé soit ou non le maître de l’affaire puisque l’administration doit prouver la réalité d’un versement entre les mains de l’associé, actionnaire ou porteur de parts.

Rappelons enfin que, par une décision de Plénière fiscale du 22 février 2017 (n° 388887), le Conseil d’Etat a jugé qu’il ne peut y avoir qu’un seul « maître de l’affaire », ce qui ne l’empêche pas de regarder comme « maître de l’affaire » un couple qui assurait conjointement la maîtrise de l’affaire, et faisait l’objet d’une imposition commune à l’impôt sur le revenu (CE, 16 mars 2019, n° 433098).

Article paru dans Option Finance le 20 juillet 2020


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Emmanuelle Fena-Lagueny
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Paris