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Une bonne nouvelle et une moins bonne : le rachat par une société de ses propres actions peut être financé par emprunt, mais …

14/05/2012

La Cour administrative d’appel de Versailles a jugé récemment que constituent des charges déductibles les intérêts d’emprunt supportés par une société pour financer le rachat de ses propres actions (CAA Versailles 24-1-2012 n° 10VE03601). Cette décision mérite d’être examinée et appelle la discussion.

Afin de mettre en œuvre un partenariat stratégique visant à financer le développement de son activité « produits laitiers frais », le groupe coopératif Sodiaal a dû restructurer sa branche d’activité correspondante en transférant l’ensemble des actifs corporels et incorporels dédiés à une structure unique, la société YOPLAIT.

Consécutivement, le partenaire financier a souscrit à une augmentation de capital de YOPLAIT à hauteur de 25 % puis l’assemblée générale extraordinaire de YOPLAIT a autorisé une opération de rachat d’actions propres en vue de leur annulation à laquelle seul le groupe Sodiaal a souscrit de sorte que le taux de participation des deux actionnaires s’est équilibré à 50 %.

Le rachat par la société YOPLAIT de ses propres actions a été financé par emprunt, générant ainsi à son niveau des charges financières déduites pour la détermination de son résultat taxable.

La déductibilité de ces charges financières a été contestée par l’administration fiscale sur le terrain de l’acte anormal de gestion au motif notamment que ce rachat d’actions financé par emprunt avait permis au partenaire financier d’augmenter mécaniquement sa participation dans le capital de la société YOPLAIT sans déboursement et n’avait donc pas été réalisé dans l’intérêt de la société YOPLAIT.

1. Les intérêts de l’emprunt souscrit pour financer le rachat de ses propres actions sont déductibles dès lors que la société émettrice a établi avoir retiré des contreparties de l’opération.

La Cour administrative d’appel de Versailles a considéré que le rachat par la société YOPLAIT de ses propres actions, ultime étape de la restructuration de l’activité « produits laitiers frais », présentait pour la société émettrice des contreparties suffisantes, ce partenariat lui ayant notamment permis (i) d’acquérir le contrôle de l’ensemble des éléments corporels et incorporels de cette branche d’activité et (ii) d’obtenir les financements nécessaires au maintien et au développement de cette branche, de sorte qu’elle était libre de choisir le mode de financement qu’elle estimait opportun sans que l’administration fiscale ne puisse contester ce choix. Deux observations nous viennent à la lecture de cette décision.

1.1 Première observation - L’intérêt retiré de l’opération par les actionnaires ne permettait-il pas également de légitimer la réduction de capital par rachat d’actions ?

En effet, l’intérêt commun des associés était de mettre en place un partenariat nécessaire au maintien et au développement de la branche « produits laitiers frais » exploitée par la société YOPLAIT, ce partenariat ayant d’ailleurs permis de manière tangible, comme l’a constaté la Cour, l’expansion de cette branche et donc de la société YOPLAIT qui en détient les actifs.

N’existait-il donc pas une coïncidence de l’intérêt de la société avec celui de ses associés, conforme notamment aux dispositions de l’article 1833 du Code civil aux termes duquel : « toute société doit avoir un objet licite et être constitué dans l’intérêt commun des associés » ?

Le Conseil d’Etat a logiquement reconnu, certes dans une espèce particulière(1), la portée fiscale de cette concordance entre l’intérêt d’une société et celui de ses associés en admettant le caractère normal pour une société commerciale de procéder à la facturation sans marge de ses prestations à ses associés dès lors qu’elle avait été créée pour leur faire réaliser des économies et leur fournir une prestation de raffinage au plus faible coût possible.

La Cour n’a pas souhaité s’engager sur cette voie et n’a recherché l’existence de contreparties justifiant la déduction des intérêts d’emprunt qu’en considération de la situation propre de la société YOPLAIT.

1.2 Seconde observation - En tout état de cause, la Cour confirme que, dès lors qu’une contrepartie est établie, l’administration fiscale ne peut pas contester les modalités de financement de la réduction de capital par rachat d’actions sans enfreindre le principe de non-immixtion dans la gestion des entreprises et sans démontrer à tout le moins que la charge financière correspondante et plus largement les conditions de financement auraient porté atteinte à la santé financière de la société émettrice.

Le Conseil d’Etat a consacré de longue date le principe de liberté de gestion financière des entreprises, c’est-à-dire du choix entre le financement par fonds propres ou par emprunt, principe dérivé de celui qui interdit à l’administration fiscale de s’immiscer dans leur gestion(2). Le Tribunal administratif de Paris, dans une décision devenue définitive, a d’ailleurs expressément validé le financement par emprunt d’une distribution de dividendes(3).

En l’espèce, la Cour a considéré de manière rassurante que, dès lors que la société YOPLAIT avait « personnellement retiré une contrepartie positive de cette nouvelle organisation », l’administration fiscale ne pouvait remettre en cause la déduction des charges financières afférentes à l’emprunt souscrit pour financer le rachat d’actions.

Cette décision satisfaisante pour la société l’aurait été pleinement pour les praticiens, qui traitent régulièrement ce type d’opération dans divers contextes, notamment si la Cour avait considéré que la décision de réduire le capital de la société émettrice par rachat d’actions financé par emprunt n’était par principe pas critiquable sur le terrain de l’acte anormal de gestion, évitant consécutivement de se prononcer sur l’opportunité de la restructuration.

2. La question reste posée de savoir si l’administration fiscale pourrait critiquer une décision d’actionnaires sur le terrain de l’acte anormal de gestion.

Il nous semble que la société YOPLAIT, spectatrice passive de l’opération critiquée à son niveau, n’avait pas à justifier la conformité à son intérêt propre de décisions prises par ses actionnaires et qui s’imposent à elle, concernant le niveau de fonds propres qu’ils lui apportent ou lui laissent en capital.

Juridiquement, une décision d’assemblée ne peut être regardée comme une décision de gestion(4).

Ainsi, dès lors qu’il n’est pas un acte de gestion, le rachat en vue d’une réduction du capital n’obéit juridiquement à aucune exigence particulière, pas même de respect d’un quelconque intérêt social, sous réserve de respecter le principe d’égalité entre associés.

La relative autonomie du droit fiscal permettrait-elle de faire totalement abstraction de la qualification juridique d’une opération ?

La réponse de Monsieur Gilles Bachelier, à propos de la liberté de gestion financière des entreprises (arrêt Andritz), est négative : « si un acte anormal a été commis, il est le fait de la société mère et non de la filiale et celle-ci ne peut s’opposer à la décision de son actionnaire [de la financer par avances et non en capital] »(5).

En conclusion, cet arrêt de la Cour administrative d’appel est important puisqu’il consacre la déductibilité des charges financières supportées par une société pour procéder au rachat de ses propres actions, mais, la Cour limite la portée de sa décision en n’admettant cette déductibilité qu’au vu des contreparties retirées par la société émettrice.

Tel n’aurait pas été le cas si la Cour s’était prononcée soit sur la possible concordance de l’intérêt d’une société avec celui de ses associés soit, et comme l’y invitait d’ailleurs son Rapporteur Public, sur l’impossibilité de caractériser un acte anormal de gestion à raison d’une décision d’actionnaires.

Les praticiens, conscients que le refus d’obéissance n’est pas un concept opposable par les sociétés à leurs actionnaires, auraient été probablement confortés de savoir que la docile passivité d’une société, inhérente à la mise en œuvre d’une décision des actionnaires, n’est pas critiquable sur le terrain de l’acte anormal de gestion, quand bien même l’exécution de cette décision impliquerait la souscription d’un emprunt par la société émettrice.

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  1. Conseil d’Etat, 25 novembre 2009 n° 307227, Cie Rhénane de Raffinage.
  2. CE 20 décembre 1963, n° 52308 ; CE 27 juin 1984, n° 35030 ; CE 30 décembre 2003 n° 233894, SA Andritz.
  3. TA Paris 29 octobre 1998, n° 94-1885, Sté Van Ommeren Tankers.
  4. Cass. Com. 19 novembre 1991, Société Galtier ; Cass. Com. 8 novembre 1991, SA « Au joyeux Gourmet ».
  5. Conclusions de Gilles Bachelier sous CE 30 décembre 2003, n° 233894, SA Andritz, RJF 03/04, page 166.

Auteurs

Portrait deJean-Philippe Bidegainberry
Jean-Philippe Bidegainberry
Associé
Paris
Mathilde Gauthier