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Cantonnement de l’interdiction des avantages sans contrepartie

Impossibilité de sanctionner une réduction de prix au titre de l’obtention d’un avantage sans contrepartie

26/03/2021

La cour d’appel de Paris a apporté une importante précision sur le champ d’application des dispositions relatives aux avantages sans contrepartie ou manifestement disproportionnés :  elles n’autorisent pas le contrôle judiciaire d’une réduction de prix ; seules les dispositions relatives à l’interdiction du déséquilibre significatif le permettent (CA Paris 4 novembre 2020 n° 19/09129)

Les interrogations

Lors de la réforme du titre IV du livre IV du Code de commerce opérée par l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, le choix avait été fait de ne retenir, au titre des pratiques restrictives de concurrence visées à l’ancien article L. 442-6, I du Code de commerce, à côté de la rupture brutale d’une relation commerciale établie, que les deux pratiques suivantes (voir notre flash) :

  • l’obtention ou la tentative d’obtention d’« un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie » (art. L. 442-1 I, 1° C. com.) ;
  • la soumission ou la tentative de soumission de « l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » » (art. L. 442-1 I, 2° C. com.).

La proximité de ces deux textes avait suscité des interrogations quant au fait que la notion d’avantage sans contrepartie était susceptible de prendre le pas sur celle de déséquilibre significatif pour devenir l’instrument privilégié de contrôle des déséquilibres contractuels, notamment tarifaires, dès lors que pour être sanctionnée, cette pratique ne suppose aucune démonstration de soumission, c’est-à-dire d’une absence de négociation effective du contrat.

Bien que rendu sous l’empire de l’ancien article L. 442-6, I 1° du Code de commerce qui interdisait « d'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu », l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 4 novembre 2020, transposable à l’application du nouvel article L. 442-1 I, 1° permet de préciser l’articulation entre les pratiques d’avantage sans contrepartie et de déséquilibre significatif, à tout le moins jusqu’à la prise de position de la Cour de cassation saisie d’un pourvoi.

Le contexte

L’affaire soumise à la Cour d’appel opposait un constructeur de maisons individuelles aux services du ministre de l’économie intervenu à la suite d’une plainte d’un sous-traitant. Ce dernier reprochait au constructeur la déduction appliquée unilatéralement sur les factures des prestations de travaux d’une remise exceptionnelle de 2% présentée comme un effort tarifaire consenti.

Le tribunal de commerce de Bordeaux avait accueilli l’action du ministre estimant que cette pratique constituait un avantage sans contrepartie.

La cour d’appel de Paris a censuré cette analyse.

La réponse de la cour d’appel de Paris

Avant de se pencher sur l’applicabilité de la notion d’avantage manifestement disproportionné à une réduction de prix, la Cour d’appel devait trancher la question de l’applicabilité même de cette notion dans le cadre d’une relation de sous-traitance.

  • La notion d’avantage manifestement disproportionné applicable à une relation de sous-traitance

Le constructeur soutenait que la rédaction de l’ancien article L. 442-6, I 1° du Code de commerce faisant référence à la notion de partenaire commercial, la relation de sous-traitance se trouvait nécessairement exclue du champ d’application du texte.

Tel n’est pas l’avis de la Cour d’appel qui juge au contraire qu’un constructeur de maison individuelle et son sous-traitant sont bien en relation commerciale, dès lors que celui-ci procède à une activité de services.

Elle précise par ailleurs que le régime spécifique prévu pour les relations de sous-traitance du constructeur de maison individuelle et de son sous-traitant par le Code de la construction et de l’habitation ne sont nullement incompatibles avec la qualité de partenaire commercial au regard de l’ancien article L. 442-6, I du Code de commerce.

Pareille question ne devrait plus se poser depuis que l’ordonnance de 2019 a élargi le champ des pratiques restrictives de concurrence en remplaçant la notion de « partenaire commercial » visant la victime de la pratique par celle de « l’autre partie ».

  • L’inapplicabilité de la notion d’avantage manifestement disproportionné à une réduction de prix

Le constructeur soutenait que pour déterminer la validité d’une réduction de prix, laquelle est négociée par les parties, le juge ne peut pas s’appuyer sur la notion d’avantage manifestement disproportionné, seule une action exercée sur le terrain du déséquilibre significatif permettant de contrôler un avantage tarifaire.  

A cela, le ministre de l’économie rétorquait « qu'en sanctionnant la pratique de l'avantage sans contrepartie, qui a obligatoirement pour objet la sanction d'une pratique abusive relative à la détermination du prix ou aux éléments rentrant dans sa composition, l'article L.442-6 I 1° du code de commerce permet de sanctionner des abus des parties dans la détermination du prix convenu ce qui n'est pas circonscrit à l'établissement d'un déséquilibre significatif ».

La Cour d’appel rejette l’argument du ministre et donne raison au constructeur.

Elle considère qu’en raison du principe de la libre négociation du prix, le contrôle judiciaire du prix demeure exceptionnel en matière de pratiques restrictives de concurrence. Il en résulte que, lorsque le prix n'a pas fait l'objet d'une libre négociation, ce contrôle ne peut pas s'effectuer en dehors d'un déséquilibre significatif, ainsi que l'a rappelé le Conseil constitutionnel (décision n° 2018-749 QPC ; considérant n°7) à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2017 (Cass.com. 25 janv. 2017, N° 15-23547).

Des lors, les dispositions de l'article L.442-6, I, 1° du Code de commerce ne s'appliquent pas à la réduction de prix obtenue d'un partenaire commercial.

Ainsi, faute pour le ministre de l'économie d’avoir caractérisé la soumission et le déséquilibre significatif, la pratique relative à la remise de 2% n’était donc pas critiquable.

Une décision soumise à la Cour de cassation

Il résulte de cet arrêt que la notion d’avantage manifestement disproportionné ne peut pas être utilisée pour apprécier le niveau d’un prix ou d’une remise, parce qu’en l’absence de soumission (non requise par le texte), il n’est pas nécessaire de procéder à un rééquilibrage de la relation commerciale.

Reste à connaître le sort que réservera à cette question la Cour de cassation, étant rappelée l’opinion contraire émise dans le cadre de cette affaire par la Commission d’examen des pratiques commerciales (Avis CEPC n°18-6 du 7-6-2018).

D’ores et déjà se pose la question de l’avenir d’une notion d’avantage manifestement disproportionné réservée aux avantages non tarifaires.

Soulignons enfin qu’après la réduction drastique opérée en 2019, la liste des pratiques restrictives de concurrence s’est enrichie en 2020 de deux pratiques, l’une nouvelle, l’autre réactivée, avec la loi ASAP, à savoir : imposer des pénalités disproportionnées au regard de l’inexécution d’engagements contractuels ; procéder au refus ou retour de marchandises ou déduire d’office du montant de la facture établie par le fournisseur les pénalités ou rabais correspondant au non- respect d’une date de livraison, à la non conformité des marchandises, lorsque la dette n’est pas certaine, liquide et exigible, sans même que le fournisseur ait été en mesure de contrôler la réalité du grief correspondant  (voir notre flash).


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