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La responsabilité extracontractuelle en matière de rupture brutale des relations commerciales par ricochet

Fondement exclusif des demandes en réparation des tiers à la relation commerciale

29/09/2020

Seule la victime directe peut rechercher la responsabilité spéciale de l’auteur de la rupture brutale d’une relation commerciale établie sur le fondement de l’ancien article L.442-6, I, 5° (aujourd’hui L.442-1, II) du Code de commerce. Tiers à cette relation, la victime indirecte ne peut demander la réparation du préjudice subi que sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle organisée par les articles 1240 et suivants du Code civil. Telle est la solution retenue dans un arrêt du 18 mars 2020 (18-20.256) de la Chambre commerciale de la Cour de cassation.

La cause du litige : la cessation de commandes par des distributeurs auprès d’un grossiste porterait préjudice aux fabricants des produits distribués

Un grossiste français se fournissait en produits de boulangerie industrielle auprès de deux sociétés françaises membres de son groupe. Le grossiste revendait les produits à trois distributeurs allemands avec lesquels il entretenait des relations commerciales depuis 2002. Le volume des commandes des distributeurs a baissé dans le courant de l’année 2014 en raison d’un défaut d’accord sur la renégociation des prix des produits entre le grossiste et les distributeurs. Leurs relations commerciales ont ensuite définitivement cessé en juin 2015.

Le grossiste a assigné les distributeurs sur le fondement de l’ancien article L.442-6, I, 5° du Code de commerce afin d’obtenir la réparation de son préjudice, estimant qu’il résultait d’une rupture brutale. Les fabricants des produits qui n’avaient pas de liens contractuels directs avec les distributeurs, sont intervenus volontairement pour se joindre à l’instance. Ils arguaient - sur le même fondement textuel que le grossiste - qu’ils subissaient eux aussi une perte de marge due à la rupture brutale.

Déboutés en première instance, les fabricants des produits obtiennent ensuite gain de cause le 30 mai 2018 devant la cour d’appel de Paris. Cette dernière constate une rupture sans préavis de la relation commerciale entre le grossiste et les distributeurs et estime que ce manquement constitue une rupture brutale qui a causé un préjudice immédiat aux fabricants des produits distribués.

Elle considère en effet que les fabricants, tiers à la relation brutalement rompue, n’ont pas bénéficié du temps nécessaire à leur reconversion et ont subi une perte de marge en lien direct avec la rupture brutale. Les distributeurs sont condamnés à verser des dommages-intérêts à hauteur d’environ un million et demi d’euros aux fabricants des produits pour réparer le préjudice qu’ils ont subi.

Le tiers à la relation commerciale brutalement rompue ne peut pas agir sur le fondement de l’ancien article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce (L. 442-1, II nouveau)

Saisie d’un pourvoi par les distributeurs, la Cour de cassation juge qu’un tiers à une relation commerciale établie ne peut se fonder sur le régime de responsabilité spéciale en matière de rupture brutale de l’ancien article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. Elle fait donc droit au pourvoi et casse l’arrêt d’appel sur ce point.

Le raisonnement de la Cour de cassation peut s’expliquer par le caractère spécial et dérogatoire au droit commun du régime de responsabilité en matière de rupture brutale : le droit spécial de la responsabilité économique entre deux acteurs commerciaux offre à la victime davantage de protection que le droit commun de la responsabilité. Par ailleurs, il peut paraître logique qu’une relation commerciale établie se comprenne comme étant constituée d’échanges commerciaux conclus directement entre des parties et ne concerne pas les tiers. Ainsi, seule la victime partie à la relation nouée avec l’auteur de la rupture subit un préjudice direct et peut agir à ce titre. L’ancien article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce est donc inapplicable à un tiers lorsque celui-ci l’invoque isolément.

Selon la logique de la Cour de cassation, l’absence de relations commerciales directes entre les distributeurs et les fabricants empêche l’établissement du caractère direct du préjudice subi par ces derniers. La perte de marge des fabricants n’étant alors qu’une conséquence indirecte de la rupture brutale de la relation commerciale existant entre le grossiste et les distributeurs, elle n’est donc réparable qu’en tant que préjudice indirect.

Ainsi, en l’espèce, sa réparation sur le fondement du droit spécial de la rupture brutale ne peut pas aboutir.

La responsabilité extracontractuelle constitue le fondement exclusif de l’action en rupture brutale du tiers

Sur quel texte un tiers à une relation commerciale peut-il alors se fonder pour demander réparation des préjudices qu’il subit à raison de la brutalité de la rupture ?

En vertu d’une jurisprudence dominante, le préjudice par ricochet subi par le tiers à raison d’une rupture brutale est réparable sur le fondement de l’article 1240 du Code civil relatif à la responsabilité civile extracontractuelle (Cass. com., 6 septembre 2011, n° 10-11.975, Cass. com., 20 mai 2014, n° 13-16.398). La cour d’appel de Paris l’a rappelé dans un arrêt du 27 février 2020 qui a fait l’objet d’un commentaire de notre part.

En l’espèce, la Cour de cassation apporte toutefois une précision importante : le droit commun de la responsabilité civile extracontractuelle constitue pour le tiers lésé le seul fondement possible pour demander réparation des préjudices résultant de la rupture brutale.

La législation relative à la rupture brutale doit bien entendu être invoquée par le demandeur car il s’agit du texte sanctionnant le comportement fautif initial. A défaut, la demande ne pourra pas prospérer.

La solution de l’arrêt commenté fait écho à d’autres décisions ayant énoncé la même solution (Cass. com., 3 novembre 2004, n° 02-17.078 ; Cass. Com., 7 octobre 2014, n° 13-20.390 ; Cass. com., 21 juin 2017, n°16-13.860).

Ainsi, lorsqu’un tiers à une relation commerciale brutalement rompue veut obtenir réparation du préjudice consécutif à ce manquement, il doit invoquer le droit commun de la responsabilité extracontractuelle. Celui-ci joue le rôle de levier permettant à la victime indirecte de se prévaloir d’une faute au titre de la législation sanctionnant le comportement fautif de rupture brutale. L’action doit donc conjuguer les deux fondements juridiques lesquels sont indissociables dans ce type de demande.  

Des implications pratiques importantes

Dans le cadre d’une telle action, il est nécessaire de réunir les trois critères traditionnels permettant de retenir la responsabilité extracontractuelle sur le fondement de l’article 1240 du Code civil : faute, préjudice et lien de causalité.

  • Une faute - La victime indirecte doit établir l’existence d’une rupture brutale des relations commerciales établies entre la victime directe et l’auteur de la prétendue rupture au sens du nouvel article L.442-1, II du Code de commerce. Pour constituer une faute, la rupture doit être déclenchée sans préavis ou avec un préavis insuffisant, la durée de ce dernier étant appréciée au regard de plusieurs critères, en particulier celui de l’ancienneté de la relation.

En présence d’un préavis qui serait considéré comme suffisant, aucune faute de l’auteur vis-à-vis de la victime directe ne pourrait être caractérisée et, dans ce cas, sa responsabilité ne pourrait tout simplement pas être engagée par la victime indirecte.

  • Un préjudice - Le préjudice de la victime indirecte doit être réel et existant. Elle doit justifier d'un préjudice distinct de celui de la victime directe. Se pose alors la question de l’évaluation de ce préjudice pour la victime indirecte.
  • Un lien de causalité entre la rupture brutale et le préjudice réel de la victime indirecte - La brutalité avérée de la rupture entre la victime directe et l’auteur de la rupture doit être à l’origine du préjudice distinct subi par la victime indirecte. Elle doit véritablement impacter le tiers, de sorte qu’il ait subi un préjudice réparable. Du point de vue de l’auteur potentiel d’une rupture brutale, ce lien de causalité doit être évalué avec attention afin d’anticiper toute demande d’indemnisation en cascade des tiers à la relation brutalement rompue.
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Lire également : Préjudice par ricochet du tiers à la relation commerciale établie rompue brutalement : une action contentieuse est possible

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